Mar. 03 Août 2021, 11:44
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Le Figaro (site web)
lundi 2 août 2021 - 14:22 UTC +02:00 1747 mots
Culture
Le silence envoûtant des catacombes de Paris
Conruyt, Claire
OUVERT LA NUIT (2/12) - Sous les rues de la capitale, un important réseau de galeries et de salles permet au promeneur intrépide d’effectuer une virée nocturne, clandestine et dépaysante.
Une fois les ténèbres tombées, les monuments, les lieux se vident de leurs visiteurs et s’apaisent, rendus à leur silence et à leur mystère. Voire… Les journalistes du «Figaro» sont restés sur place pour une nuit pas comme les autres. Suivez le guide.
« Prête? » Mon guide m’a donné rendez-vous à minuit. Le couvre-feu a rangé ses habitants, la ville dort sagement. Désobéissante, j’avance à la rencontre des catacombes que je connais si peu, et qui m’attendent. L’entrée est étroite et la descente, longue. Les mains agrippées à la barre d’une mince échelle, je m’enfonce dans un sombre puits. Mes pieds trouvent enfin le sol. Me voilà dans le ventre de Paris.
Je respire l’air d’un autre monde, plus épais, plus humide. Un monde de pierre et de câbles électriques. À la lueur de ma lampe frontale, des milliers de petites particules tournoient. Ici, l’on voit ce que l’on inspire ; une poudre blanchâtre gante mes mains et infiltre ma gorge. Le silence est assommant. Une légère brise vient balayer mon visage. La galerie respire. Je me retourne, je veux suivre ce souffle, imaginer sa danse sur des dizaines de kilomètres dans le noir. Mais il n’y a rien ; les battants d’une porte taguée, seulement.
Nous écoutons de la musique. Sinon l’immersion est trop angoissante. «En route!» Je longe ce premier couloir, évitant les câbles qui jonchent le sol et barrent mon chemin. Sur la gauche, une petite trappe. Il me faut ramper, adapter mon corps à ce passage exigu et moite. Et enfin, marcher. Emprunter des rues, certaines baptisées, d’autres innomées. Il fait une vingtaine de degrés, mais en réalité, je ne sais plus très bien si j’ai froid ou chaud. Notre marche régulière, soutenue, me plonge dans un état de somnambulisme. Le corps s’oublie et progresse dans un dédale inhabité. Ou presque. Des voix, l’odeur de bougies et d’alcool. Nous rencontrons un groupe de cataphiles, des habitués du lieu. «Vous remontez de temps en temps? La lumière du jour ne vous manque pas?», lance, taquin, notre guide. Sourires crispés. «Vous allez où?», rétorque un jeune homme. Nous leur répondons. Notre circuit impressionne. «Ah oui, ça fait une trotte.» Nous les quittons et je m’interroge: que viennent-ils chercher ici?
Le calme, sous terre, est absolu. Il règne en maître. Le bruit, ici, signifie quelque chose: l’approche d’un inconnu, le métro qui passe, un cours d’eau que l’on dérange. Il n’y a pas de tapage artificiel, ni de sons inutiles. Ce lieu ne triche pas, il tient ses promesses: si un voyageur cherche à quitter le monde, il est au bon endroit.
Des ramifications interminables
Je croyais les tunnels uniformes, mais, en fait, chacun est unique. Certains sont voûtés quand d’autres prennent la forme d’un cercueil. Il y a des galeries qui, indulgentes, me laissent progresser debout. D’autres, cruelles, m’obligent à m’accroupir. Certaines, enfin, sont particulièrement indécises ; la hauteur du plafond varie. Heurter cette pierre, c’est heurter des siècles de calcaire. De quoi sonner. «Ciel!» , faut-il crier lorsque le risque est imminent. Mais le sol est lui aussi traître. L’eau dans laquelle nous pataugeons, et qui arrive parfois à notre taille, cache ses irrégularités: des crevasses ou un monceau de cailloux. «Terre!», prévient-on alors.
Je devine des salles taillées dans la roche. Les objets de l’extérieur y ont rarement leur place. Les tables et les bancs naissent de la pierre. Les endroits que je découvre ont un nom que je lis sur une carte et que nous suivons minutieusement. Il y a la «salle de l’apéro», celle de «l’Anschluss» mais aussi, «l’ancien bunker allemand», situé sous l’actuel lycée Montaigne. Je franchis une grille rongée par la rouille et découvre cette vaste pièce. Je tombe sur une inscription ancienne: «Rauchen verboten» («Interdiction de fumer»). Non loin de là se trouve la Fontaine des Chartreux, construite sous l’ancien domaine des religieux. La pièce, portée par des colonnes et dotée d’un escalier, est singulière. La paroi rocheuse retient la trace de l’eau que recueille une vasque. Quelques stalactites pendent. J’allume une bougie afin que le prochain voyageur trouve un peu de lumière.
Le temps, ici-bas, obéit à d’autres règles. Nous marchons depuis bientôt deux heures. Toutefois, je jurerais qu’une demi-heure me sépare du début de l’excursion. Et j’ai déjà oublié le chemin que nous venons de parcourir. À croire que les catacombes, en plus d’être labyrinthiques, sont mouvantes. «Le sous-sol de Paris, si l’œil pouvait en pénétrer la surface, présenterait l’aspect d’un madrépore colossal» , écrit Victor Hugo dans Les Misérables . C’est cela précisément: une créature bizarre aux ramifications interminables.
L’une d’entre elles abrite la demeure d’un mort, dont l’histoire est connue de tous les passionnés des catacombes. En 1793, Philibert Aspairt, le portier du Val-de-Grâce, se perdit dans les galeries. Le malheureux fut retrouvé onze ans plus tard à l’état de squelette. On raconte qu’il portait encore les clefs de l’abbaye. L’homme fut enterré à l’endroit où il périt, à 20 mètres de profondeur, là où repose une imposante stèle commémorative. Par prudence, et parce que la tradition le veut, j’allume quelques bougies. Tandis que mon guide baisse son regard (peut-être prononce-t-il une prière), je me figure la fin d’une vie. À quoi ressemble cet instant, ici? Philibert a-t-il fermé les yeux? Je ferme les miens. Le noir qui danse sous mes paupières est moins obscur, j’en suis certaine, que celui des catacombes.
Peur de se perdre
Nous rejoignons la salle «Inri» située sous le couvent des Ursulines. La pièce ressemble à une vaste grotte. À quelques mètres du muret sur lequel nous nous sommes assis, la pierre a été creusée. Une alcôve abrite une statuette et deux bougies: Paris dort et, sous elle, brille une Sainte Vierge.
La faim tenaille mon ventre. Je dépose mon sac, en sors le fromage, un morceau de pain et du saucisson. Puisque la nuit révèle les troubles de l’âme, nous prêtons nos voix à des interrogations existentielles aussi vieilles qu’universelles. Parce qu’elles sont universelles, il est inutile de les rapporter ici. Retranscrites, elles paraissent souvent futiles. Certaines questions vivent mieux dans le noir.
Il est bientôt trois heures du matin. Nous sortons une boussole. À partir de maintenant, il faut être prudent. Se perdre serait désormais un risque: les couloirs se multiplient.
«Tu veux qu’on éteigne la musique pour voir?» Je réponds «Oui.»
Nous longeons la rue Saint-Jacques, interminable. Un frisson me guette, frôle ma nuque. Je me sens épiée. Sans doute est-ce le silence qui éveille mes instincts les plus primitifs. Je crois entendre des pas, une légère respiration. Je me retourne régulièrement, persuadée d’être suivie. Je pivote et ne vois rien d’autre qu’une gorge obscure. «C’est de là que nous venons», me dis-je. De ce couloir dépeuplé qui demeure alors qu’au-dessus de nos têtes la vie explose.
Après le «Cabinet de minéralogie», la «Galerie des promos de l’école des Mines», la «Librairie», la «Salle des Dinos» et «La Plage», me voici dans une fascinante pièce. La «Salle Zlard». «Tu vois les taches de peinture? Éclaire-les de ta lampe torche.» Je m’exécute et, enfin, m’assieds. «Maintenant, on éteint tout.» Les taches, phosphorescentes, tapissent les murs et le plafond de ce repaire. Enchantée, je m’endors sous les étoiles d’un ciel qui n’existe pas, à l’ombre du monde. Dans une heure, le jour se lèvera. Il faut continuer.
Un spectacle irréel
L’eau, très fraîche, s’engouffre dans mes chaussures. Je poursuis ma route sur quelques mètres et voilà qu’elle atteint ma taille. Il n’y a ni odeur ni détritus. L’eau, absolument limpide, change de couleur à mesure que nous y pataugeons. Cela fait bientôt trente minutes que je chemine dans ces couloirs inondés. Ma progression crée des petits courants. Devant moi, des vaguelettes ondulent et déferlent jusqu’au rivage que je ne vois pas encore. Le sol que je foule m’est inconnu, je m’agrippe aux murs afin de ne pas perdre l’équilibre. Mes jambes sont lourdes, nous en sommes bientôt à plus de cinq heures de marche.
Par miracle, nous ne nous sommes pas perdus. Sur le côté, surgissent de temps à autre un puits ou une chatière, assez grands pour avaler les plus étourdis. Nous cherchons un petit escalier. Discret, il apparaît. Je l’emprunte, curieuse de savoir ce qui se trouve dans cette salle obscure. Me voilà désormais à 30 mètres de profondeur, là où dorment des centaines d’os et de crânes brisés. Le spectacle est irréel. Les squelettes ont depuis longtemps disparu, il n’y a plus que des fragments dispersés sur un sol aride. Certains voyageurs n’ont visiblement pas supporté la vue de ce chaos ; devant moi, une étrange sculpture faite de… tibias? de fémurs? et de crânes sans orbites a été érigée. Je frémis à l’idée qu’on ait pu manipuler si aisément les restes de ces vies inconnues .
«On y va?», je demande. Il n’y a plus rien de vivant, ici.
Je marche, je marche, je marche. La surface m’appelle, je ne reconnais plus rien. Quelque chose m’inquiète: l’idée de m’être habituée à un lieu si infertile et de ne pas en avoir peur. Je suis fatiguée, je m’allongerais volontiers. Mais il faut retrouver un lendemain que les catacombes m’ont fait oublier. Le passage étroit du début, la trappe, les câbles électriques. Nous y sommes. L’échelle et au bout, la plaque. Un trait de lumière, la transperce. Je quitte les sombres galeries. Je grimpe et j’atteins une avenue déjà réveillée. Il est 5h45 et le jour m’attend.
https://www.facebook.com/photographie.souterraine/
"Les catacombes disparaîtront sous les injections. Les cataphiles disparaîtront sous leurs déjections" (Nostradamus)
"Les catacombes disparaîtront sous les injections. Les cataphiles disparaîtront sous leurs déjections" (Nostradamus)