Mar. 31 Juil. 2018, 13:59
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Pour les non-russophones, je traduis :
Zone Interdite
Les catacombes de Paris
La vie souterraine des villes à travers le monde
Fort intrigué, j'achète. L'article, agrémenté de quelques photos (je posterai le scan quand je rentre en France) suit les descentes d'une journaliste au Musée des Egouts, à l'Ossof, sous l'Opéra, et, vous l'aurez deviné, aux catas.
J'ai fait une petite traduction artisanale de la partie qui parle des catacombes (hors Ossof), que je poste ici. Pas trop de conneries, quelques passages marrants, amusez-vous :
Magazine Autour du Monde, août 2018 a écrit :UN PASSÉ CLANDESTIN
‒ Quand j'ouvre la plaque, on descend vite, tant que la police ne nous voit pas, me briefe Sylvain. Ça fait déjà dix ans que ce gars de 30 ans passe tous ses week-ends sous terre. À Paris, les personnes comme lui, on les appelle des cataphiles ("amateurs de catacombes"). Ce qu'ils font est illégal. Descendre dans les catacombes hors du circuit officiel est interdit depuis 1955. Mais l'amende, d'une valeur de 60 euros, n'arrête pas les cataphiles.
Je suis Sylvain et plonge dans le puits sous le regard des passants étonnés. Je m'agrippe aux échelons, les doigts tremblants. Je m'éclaire le chemin avec ma lampe frontale - sous mes pieds, c'est le vide. Pendant près de 10 minutes, on descend les échelons, jusqu'à une profondeur de 30 mètres. Une fois le fond atteint, on a de l'eau jusqu'à la ceinture. Voilà pourquoi Sylvain m'a conseillé d'acheter des cuissardes. Ici, tous les cataphiles en utilisent pour se promener.
‒ Ce sont des eaux souterraines, dit Sylvain. Nous sommes actuellement plus bas que les parkings souterrains, les égouts et le métro. Tu peux crier autant que tu veux, personne ne pourra t'entendre.
Ma montre indique 18 heures. Sylvain met son enceinte au volume maximal, pour qu'on puisse mieux s'orienter, grâce au son. Les galeries de pierre sont larges, puis plus étroites, puis de nouveau plus larges. Par endroits il faut se pencher, parfois même ramper. Et bien que je ne sois pas claustrophobe, parfois je ne me sens pas tout à fait dans mon assiette. Ce labyrinthe souterrain se divise en une multitude de rues, qui serpentent sous la ville sur une longueur de 280 km.
‒ Ces carrières étaient auparavant considérées comme loin de la ville. Les Romains ont commencé à extraire la pierre d'ici pour la construction de Paris. A l'époque, la ville s'appelait Lutèce, dit Sylvain.
Mais la ville grandissait, et ses besoins en pierre pour la construction augmentaient. Le réseau de carrières grandissait donc également. Quand il n'y avait plus de pierre, les carrières étaient laissées en l'état. Ainsi s'est formé ce labyrinthe de galeries abandonnées, au-dessus duquel apparaissaient des rues et des quartiers. Mais au Moyen-Age, les effondrements se sont faits de plus en plus fréquents, et des maisons disparaissaient sous terre. La plus grande catastrophe de ce genre a eu lieu en 1774, quand toute une rue au nom parlant, la rue d'Enfer (sic) (rue infernale), s'est effondrée. À sa place se trouve aujourd'hui l'avenue Denfert-Rochereau, sur laquelle se situe l'entrée des catacombes officielles. Après cet incident, Louis XVI décida de consolider les carrières souterraines. Cette mission a été confiée à l'architecte royal Charles-Axel Guillaumot, qui était également responsable du transfert des cimetières de la ville vers les catacombes. Sous sa direction a été créée l'Inspection Générale des Carrières. Elle surveille toujours la stabilité de ces labyrinthes souterrains.
‒ Tu vois ça ? Sylvain me montre une inscription, "96. G. 1779", gravée dans la pierre du mur. ‒ La lettre G signifie que Guillaumot était responsable de la reconstruction du mur. À droite de la lettre, c'est l'année en laquelle il a consolidé la galerie souterraine. À gauche, le numéro d'ordre du mur, que l'architecte a restauré en l'année indiquée. Ce système, inventé par Guillaumot, a ensuite été aussi utilisé par d'autres inspecteurs.
Sur les murs, pour pouvoir s'orienter, sont indiqués les noms des rues sous lesquelles passent les galeries souterraines. Comme dans les égouts. Une plaque bleue en céramique sur le mur nous indique que nous nous trouvons sous le Boulevard du Port-Royal, au centre de Paris. Encore ce matin, je me promenais là.
LES GARDIENS DES CATACOMBES
‒ Nous sommes maintenant dans les Bermudes. Sylvain entoure l'endroit avec le moins de détails sur le bout de papier froissé qui nous sert de carte. ‒ C'est l'une des parties les plus anciennes et les plus alambiquées de ces souterrains. Ici, même des cataphiles expérimentés peuvent se perdre et chercher leur chemin pendant des heures. Nous marchons actuellement sous le quartier du Val-de-Grâce, tout près du jardin du Luxembourg.
Sous nos pieds craquent des tessons. Ce sont des fragments de vaisselle, qui a été jetée aux catacombes avec d'autres détritus par un puits, d'abord par l'abbaye du Val-de-Grâce, fondée au XVIIème siècle par Anne d'Autriche, puis par l'hôpital militaire, placé après la Révolution Française dans l'enceinte du monastère.
‒ Ça doit être une tasse. Sylvain observe le tesson qu'il a dans les mains puis le remet à sa place. ‒ On laisse tout en place. On ne peut prendre que les messages que les cataphiles cachent dans des lieux peu fréquentés. Ce sont des sortes de dessins, qui appellent à sauvegarder ce monde souterrain. La dernière fois, j'ai trouvé une note que quelqu'un avait laissé dans la fissure d'un mur en 1992 !
Pendant ce temps-là, ça fait la troisième fois que l'on passe devant le même dessin sur le mur. Je me rappelle avec angoisse les récentes nouvelles relatives à la disparition d'un groupe d'adolescents dans les catacombes. Ils ont eu de la chance : on les a trouvés après 3 jours de recherches vivants, mais très amaigris.
‒ Il faut descendre sous terre préparé, et avec un guide expérimenté, explique Sylvain. Il y a beaucoup de puits dans les tunnels, et il n'y a pas de barrières. Ceux dont même les inspecteurs ne connaissent pas la profondeur, on les appelle les "trous noirs". Si on y tombe par mégarde, on peut y rester. Les souterrains n'aiment pas les insouciants. Et nous, on n'aime pas les inconnus, et on protège les catacombes des intrus. Pour nous, 300 cataphiles que nous sommes, ces souterrains sont un autre chez-nous.
Sylvain dort chaque week-end ici, dans le hamac qui ne le quitte pas. Il a aussi des affaires de rechange dans son énorme sac à dos – parfois, Sylvain se rend à son travail au bureau directement après sa descente du week-end.
Ma montre indique 23 heures, on a déjà passé 5 heures sous terre, alors qu'on a l'impression que c'est deux fois moins. Sylvain propose de se reposer et de se ressourcer. Après lui, je tourne dans une salle avec des bancs en pierre et des graffiti sur tout le mur.
‒ Ce sont des personnes de mes connaissances qui ont fait ça. Ils ont apporté des marteaux-piqueurs pour sculpter ces bancs, dit Sylvain. C'est aussi eux qui ont cimenté les fissures dans les murs. On essaie de garder l'endroit propre.
Effectivement, les catacombes sont propres : il n'y a ni déchets, ni odeur désagréable. Peut-être sent-on parfois l'odeur de la peinture qui recouvre les murs. La fresque la plus connue est "La Vague", d'après une gravure du peintre japonais Hokusai. Elle se trouve dans une salle que les cataphiles ont appelé "la plage" à cause du sable par terre. Il a été spécialement amené là d'au-dessus. Le week-end, la salle est pleine à craquer, elle se transforme en un club nocturne, réservé aux initiés. Il y a beaucoup de salles de ce genre sous terre. Certaines accueillent des soirées poétiques, d'autres servent de salles de cinéma ou permettent d'organiser des soirées.
Alors que je m'apprête à croquer dans mon sandwich, je remarque un crâne dans une niche creusée dans le mur.
‒ C'est un vrai, me répond Sylvain avant que j'aie eu le temps de formuler la question. Derrière ce mur, il y a des puits, remplis d'ossements humains. C'est de là qu'on a pris des squelettes pour les catacombes officielles. N'aie pas peur, mange. Si les âmes de ces personnes sont encore sous terre, elles doivent apprécier n'importe quelle compagnie.
Vers minuit, l'espace disponible se réduit dans les galeries étroites. De la musique forte sort des salles. Des personnes dans des habits crasseux s'amusent : certains dansent, d'autres boivent, d'autres enfin consomment la poudre blanche, interdite au-dessus.
‒ C'est ça le vrai Paris. Sans bruit, sans touristes, sans règles imposées par la société, reconnaît Sylvain. Ici, chaque cataphile se tr
ouve libre. Une liberté qui le protège du monde extérieur.
‒ Maintenant, moi aussi je suis une cataphile ?
‒ Non, pour le moment tu es une touriste. Mais quand ce monde souterrain t'attirera réellement, tu seras une des nôtres.
Après neuf heures passées dans les souterrains, je me réjouis comme jamais de retrouver la lumière du jour. Je m'allonge sur l'herbe d'un parc avec un plaisir particulier, tournant mon visage vers le soleil. Je souris sincèrement aux habitants locaux, qui s'émerveillent de leur ville sans gêne. Devinent-ils ce qui se trouve sous leurs pieds ?
Natal’ya Mayboroda – Наталья Майборода
Vous n'allez pas faire des trous au-dessus, alors qu'il y a de si beaux trous en-dessous !
Playlist du topic "Vous écoutez quoi là, maintenant ?"
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