Mar. 18 Mai 2010, 19:17
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Citation :Publié le 24/04/2010 09:07 | Recueilli par P.C. | La dépêche
ARCHEOLOGIE
Montmaurin, patrimoine de l'humanité en péril
Cette mâchoire ? Plus vieille que néanderthal et « contemporaine de Tautavel, elle a peut-être 300 000 ans » estime Isaure Gratacos, manipulant la relique trouvée à Montmaurin, aux confins de la Haute-Garonne et des Hautes-Pyrénées. Montmaurin⦠Village dont le conseil municipal a approuvé en 2007 un projet de carrière industrielle qui arrachera annuellement 150 000 tonnes de calcaire, au cÅur d'un domaine préhistorique majeur. « Ce qui devrait rapporter environ 31 000,00 ⬠par an à la commune » justifie le maire Daniel Gaspin, revendiquant ce futur « développement économique » entériné par arrêté préfectoral l'an passé.
Alors, au pied de la falaise de calcaire convoitée, Isaure Gratacos résume « le scandale » d'une question : « Imaginez-vous l'ouverture d'une carrière de concassage à côté de Lascaux, Niaux ou Gargas ? Au cÅur d'un gisement archéologique dont le potentiel est reconnu par tous les spécialistes et o๠nous avons recensé de 150 à 200 cavités restant à fouiller ? »
« L'inimaginable » contre lequel des centaines de chercheurs continuent donc à se mobiliser, en signant la pétition des opposants à ce projet. L'incurie et l'inculture au bras de la barbarie économique : ce que dénoncent en effet les associations et élus locaux s'opposant à cette nouvelle carrière. Car si le grand public connaît Montmaurin à travers sa superbe villa gallo-romaine, rares sont les non-initiés à mesurer la valeur du patrimoine préhistorique du site.
« Saint-Perier ou Méroc, les préhistoriens qui ont fouillé ici, étaient des gens discrets » reconnaît Isaure Gratacos, ancienne disciple du second. Pourtant, c'est dans ce secteur au confluent de la Save et de la Seygouade qu'on a également trouvé la merveilleuse Vénus de Lespugue, vieille d'environ 23 000 ans, désormais au musée de l'Homme. Et c'est cette occupation continue depuis la nuit des temps jusqu'au moyen âge, avec les restes d'un château à l'emplacement même de la future carrière qui rend ce site unique. Mais pas seulement. Car cet éperon est aussi classé zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) « et sa diversité est exceptionnelle » souligne Marcel Delpoux, ancien professeur de l'université Paul-Sabatier, qui recense là trois espèces d'oiseaux protégés et des chauves-souris strictement protégées, bref, un microcosme fragile que le projet mettrait à mal « tout comme le régime des eaux souterraines » précise-t-il. Proposant au contraire d'exploiter la richesse patrimoniale de Montmaurin. A Tautavel, le site attire 80 000 visiteurs par an pour 510 000 ⬠de recette et « ça a créé 14 emplois et une dynamique économique dans un pays qui se vidait » confirme David Angelats, responsable du musée. Mais quelle volonté pour Montmaurin ? Pierre Challier
Pour le préhistorien Jean Clottes «mieux vaut abandonner le projet»
Ancien conservateur général du Patrimoine et responsable de l'étude scientifique de la Grotte Chauvet, Jean Clottes fut également président du Comité international sur l'Art rupestre (ICOMOS, International Committee on Monuments and Sites). Nous avons réussi à le joindre aux àtats-Unis, o๠il effectue une tournée de conférences.
« Je connais bien Montmaurin : lorsque j'étais directeur des antiquités préhistoriques de Midi-Pyrénées, j'avais ce site dans mes attributions. Sur le plan scientifique, les découvertes faites, cette mandibule prénéanderthalienne, notamment, et toutes les recherches publiées de Louis Méroc, sont très importantes, ainsi qu'à l'autre bout, la villa-gallo romaine fouillée par Georges Fouet. Il y a là un patrimoine considérable. Mais il y a aussi une question d'image qui se pose, incompatible avec un tel projet de carrière industrielle qui dégradera forcément le potentiel archéologique et l'environnement. Selon moi, mieux vaudrait renoncer à ce projet. Certes, je suis très conscient des réalités économiques, mais en l'occurrence, c'est une vue à court terme, tandis que l'image de marque, l'archéologie c'est à beaucoup plus longue distance. Quelles que soient les précautions prises et la qualité indéniable des archéologues qui conduiront la fouille préventive, je conclurai : même si vous avez un très bon pompier, mieux vaut éviter de mettre le feu à la maison. »
Le conseil général contre la carrière
Trois procédures sont en cours, devant le tribunal administratif. Les associations « Adaq Vie » et « Entre Save et Seygouade » demandent l'annulation du projet, tout comme le Conseil général de Haute-Garonne, le président Pierre Izard dénonçant les nuisances et l'impact à venir sur cet ensemble archéologique « irremplaçable », résumant « l'économie a primé sur le culturel et c'est lamentable »
Gérants de la SARL Dragage Garonnais qui prévoit d'extraire de 150 000 à 200 000 tonnes par an, Pascal et Bruno Giuliani ne souhaitent pas s'exprimer sur le dossier et renvoient vers Daniel Gaspin, maire de Montmaurin ainsi que le sous-préfet de Saint-Gaudens, Bernard Bahut.
La position de Daniel Gaspin ? « C'est le conseil municipal à l'unanimité (1) qui a proposé à l'entreprise d'ouvrir cette nouvelle carrière et non l'entreprise qui l'a demandée » rappelle-t-il en préambule, enchaînant « cela fait plus de 70 ans qu'il y a des carrières chez nous et tous les services de l'àtat ont donné un avis favorable sur ce projet. Pour l'instant rien n'a été découvert sur ce secteur, la procédure a été respectée et je ne comprends pas cette polémique » poursuit le maire de Montmaurin. Qui ne croit ni à la carte du développement touristique - estimant « qu'on est loin d'être Tautavel et que l'àtat n'a pas d'argent pour développer ces sites »- ni à la menace que pourraient représenter les tirs de mines, concassages et 80 camions par jour, pour le trésor naturel des gorges de la Save, son argument étant que « ce site était déjà exploité autrefois ». Néanmoins, « nous, on s'en référera au diagnostic de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives et s'il y a vraiment des richesses archéologiques, on arrêtera tout » assure-t-il. Respect des procédures et attente du diagnostic de l'INRAP, tout en tentant de dépassionner le débat : la position du sous-préfet aussi, dans ce dossier dont il hérite. Les archéologues n'auront cependant que trois semaines en juin pour fouiller plus de 2,5 ha⦠avant de rendre leur rapport en juillet.
(1) inexact : un élu sur les 11 s'est abstenu.