Mer. 20 Nov. 2002, 11:18
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A LA DàCOUVERTE DE LA BEVERA FORTIFIàE
PAR YANN DUVIVIER
Au lendemain de la Grande Guerre, lâ Etat Major Français convaincu de lâimminence dâun nouveau conflit armé avec une Allemagne humiliée par sa défaite, entreprend très vite de concevoir un nouvel ensemble fortifié moderne qui restera célèbre dans lâhistoire sous le nom de Ligne Maginot. Cette Muraille de France destinée au départ à garantir nos frontières du Nord et Nord-Est sera édifiée rappelons-le entre 1928 et 1940. Cette ligne dâouvrages modernes, contrairement à certaines croyances, ne sâarrêtait pas au Rhin, mais se prolongeait par-delà les Alpes jusquâaux rivages méditerranéens.
En effet, le premier ouvrage de la nouvelle génération fut construit dans la vallée de la Tinée, près du petit village de Rimplas, dès 1928. Les travaux débutèrent précipitamment, à la suite de lâattitude menaçante de lâItalie fasciste envers la France. Le fort de la Madelaine, de son vrai nom, sera finalement opérationnel en 1937, après bien des avatars dâordre technique en particulier. Dans les années trente, les constructions se succédèrent pour aboutir, à la veille de la guerre, à la présence dans nos vallées de toute une série de positions puissantes, destinées à contenir éventuellement une agression de nos inquiétants voisins transalpins. La vallée de la Bevera, qui nous intéresse plus particulièrement aujourdâhui, présente quant à elle une densité imprésionnante de places fortes de tous modèles, allant du fort ancien type Seré de Rivière ou de gros ensemble C.O.R.F. jusquâaux petits ouvrages dâavant-poste, sans oublier çà et là les petites casemates dâintervalle, destinées à battre un point géographique particulier.
La fortification, dans notre région, remplira parfaitement son rôle au cours des combats de lâété 1940. Les duels opposant lâarmée française aux troupes italiennes ne dépasseront que rarement le stade des avant-postes. Le seul gros fort qui essuiera durement le feu de lâennemi sera celui du Cap-Martin. Sa riposte, appuyée par les tirs croisés des autres ouvrages le dominant, infligera de très lourdes pertes aux assaillants. Il terminera la guerre meurtri, mais avec ses moyens de défense intacts. Les autres grandes places fortes ne seront guère inquiétées directement. Par suite de la configuration montagneuse du terrain, leur artillerie donnera la pleine mesure de son efficacité, en particulier grâce aux pré-réglages de tir effectués en temps de paix. Ainsi, chaque col, défilé ou gorge commandant un passage stratégique était en principe sous le feu des pièces à tir rapide de lâun ou lâautre bloc, si bien que toute incursion ennemie pouvait être contrôlée et neutralisée rapidement. Les divisions du Duce en firent dâailleurs plusieurs fois la cruelle expérience au cours de leur tentative ambitieuse de conquête de notre département.
En découvrant le fort Saint-Roch à Sospel, on est amené à comparer la forteresse Maginot à un sous-marin terrestre. Ayant visité lâintérieur du âbâtimentâ, il nous reste maintenant à voir comment se présentent les super-structures de ce navire dâun genre particulier. Les beaux jours étant là , il vous arrivera peut-être de décider, à lâoccasion dâun week-end, de faire une promenade dans notre belle vallée. Au hasard des sentiers, il est alors possible que vous fassiez dâinsolites rencontres avec des structures bétonnées ou cuirassées, appartenant à lâun ou lâautre fort ayant contribué à la défense de la trouée de Sospel. Il est alors facile dâimaginer que beaucoup de questions vous viendront à lâesprit concernant lâutilité des équipements extérieurs des positions de défense que vous serez amené à renconter.
Les détails intéressants ne manquent pas mais ils peuvent passer inaperçus pour le profane, et câest pourquoi, en toute modestie, je me propose dâêtre votre guide. Lâexploration se déroulera cette fois en plein air et, espérons-le, sous un soleil radieux.
Comme nous lâavons déjà vu, les défenses extérieures dâun fort Maginot sont localisées dans des structures ou âblocsâ de combat dont lâarmement varie suivant la mission qui leur est assignée. Les blocs sont souvent mixtes, permettant, ainsi lâobservation du site environnant grâce à des cloches blindées ainsi que le tir sur des objectifs précis évoluant dans leur zone dâaction. Il existe aussi des blocs plus simples dont le rôle consiste à faire uniquement du repérage dâactivité, et de renseigner alors le P.C. dâouvrage, qui prendra les décisions qui sâimposent. Lâobservation peut être directe ou périscopique lorsque les ouvertures sont masquées par des volets dâacier amovibles. Il arrive aussi que le bloc soit isolé du reste de la forteresse, sa seule liaison avec lâouvrage principal étant téléphonique. Câest la cas de la casemate observatoire côté Italie de lâouvrage C.O.R.F. du Mont-Agel.
A côté de ces défenses de moyenne importance, on peut aussi rencontrer des constructions beaucoup plus imposantes, fortement armées et constituant une grosse position dâinfanterie. Ces blocs ont pour mission dâobserver et dâattaquer. Leur artillerie va du fusil-mitrailleur au canon de 75 mm, voire de 135 mm, en passant par le mortier de 81 mm. En découvrant un tel édifice, on ne manque pas dâêtre impressionné par son aspect imposant, par la masse de béton quâil a été nécessaire de construire. A lâouvrage de St-Roch, les alentours des casemates ayant été récemment débroussaillées, on peut facilement sâapprocher et regarder plus en détail.
On est tout dâabord intrigué par la présence dâun profond fossé à bords arrondis (ne pas trop se pencher!) ceinturant le bloc. Câest le fossé âdiamantâ. Pourquoi diamant? Simplement à cause de la forme géométrique de cette tranchée bétonnée qui a été conçue dans un double but: dâabord créer un obstacle naturel à lâaccès aux créneaux de tir, bien sà»r, et ensuite constituer une sorte de réservoir permettant absorber les gravats et autres projections de terre et de pierres provoquées par le tir adverse et risquant dâobstruer à la longue les embrasures des pièces.
Au fond de ce fossé, on remarque une porte métallique ne sâouvrant que de lâintérieur. Câest lâissue de secours de lâouvrage, une étroite galerie débouchant dans une des chambres de tir des mortiers de 81 mm (le bloc 4 du fort Saint-Roch était équipé de quatre de ces mortiers, dont trois subsistent encore aujourdâhui). A lâétage au-dessus se trouve la casemate du canon de 75 mm, seule grosse pièce à longue portée du fort. Elle nâest plus visible actuellement; il sâagit dâun modèle 1929 pouvant expédier 24 à 30 obus à la minute, à une distance de 10.000 mètres environ. Le tube était apparent et sortait de la meurtrière; au fort Saint-Roch il était orienté vers le débouché du col de Vescavo donnant sur lâItalie. Signalons au passage quâil y a peu de temps encore, des panneaux dâacier tenus par des crochets fixés dans les parois bétonnées étaient disposés devant les créneaux directement exposés à la vue des usagers de la R.N.2204 qui contourne lâouvrage. Actuellement, le fort ayant cessé dâêtre utilisé à des fins militaires, cette discrétion nâa plus sa raison dâêtre et, récemment, lâéquipe de bénévoles de lâA.D.A.S.F.A.M. a entrepris de déposer ces plaques au cours dâune séance de travail collective.
En levant les yeux, en haut du bloc 4, on aperçoit deux curieuses cloches dâacier à demi noyées dans le béton. Il sâagit de cloches JM (jumelé mitrailleuses). Ce genre de poste était en effet pourvu dâune mitrailleuse double type Reibel (calibre 7,7 mm, 750 coups/mm) montée dans lâouverture centrale, et la visée se faisait par les ouvertures latérales. En parcourant le circuit dit des tourelles, le visiteur est amené à rencontrer sur le bloc 3 (observatoire) une coupole dâacier très basse à demi-obturée par une plaque ronde en ferraille. Il sâagit dâune cloche LG (lance grenades); ce matériel, par suite de difficultés techniques de mise au point, ne fut toutefois jamais mis en service. Les cloches furent alors fermées soit par une plaque dâacier soudée, soit par un bouchon de béton.
La grosse artillerie dâun bloc dâinfanterie est parfois concentrée sous coupole blindée éclipsable. Lâensemble peut tourner sur lui-même à 360 degrés; il faut savoir que le mécanisme interne de lâengin est réparti sur deux étages du bloc. Le système est en équilibre indifférent grâce à un contrepoids de 20 tonnes. Le fonctionnement est électrique, mais en cas de coupure totale de courant on peut tout de même manoeuvrer la tourelle manuellement, de lâintérieur du blockhaus bien entendu. Ce type dâarmement présente lâavantage dâêtre difficile à repérer et à battre, dâautant plus que bien souvent lâépaisse carapace métallique était revêtue dâun camouflage sophistiqué lui donnant la possibilité de se fondre dans le paysage environnant. Nous avons donc là un ensemble dâattaque redoutable tirant en trajectoire tendue à cadence accélérée sur des objectifs assez lointains. Il existe aussi un autre modèle de coupole, équipée de canons plus gros (calibre 135 mm), travaillant en tir courbe à la façon des mortiers, comme par exemple au fort du Mont Grosso, exemple typique dans la fortification alpine. En ce qui concerne la solidité de ce matériel, il faut savoir que la tourelle de 75 mm de cette forteresse a encaissé sans dommage, en 1940, un coup de plein fouet de calibre 149 mm; la trace de lâimpact est encore visible de nos jours.
Nous avons évoqué plus haut la forte densité dâouvrages fortifiés dans la région sospelloise. Cela est si vrai que la montagne recèle parfois en ses flancs deux forts complets... Câest effectivement ce qui se passe au mont Barbonnet, visible de partout dans le secteur. Cet ancien ouvrage type Seré de Rivière domine en effet la crête; son armement lourd comprenait deux coupoles Mougin en fonte dure, calibre 155 mm. Ces pièces ont été baptisées respectivement âBayardâ et âJeanne dâArcâ. Seule la première est encore en place de nos jours, la deuxième ayant été démolie au profit du fort de la Pompelle, près de Reims. Au-dessous se situe la place forte moderne édifiée par la C.O.R.F. au cours des années trente; cette construction ne sâest dâailleurs pas faite sans problèmes et les bâtisseurs ont eu à lutter contre les infiltrations dâeau. Contrairement à ce que lâon pourrait penser, il nâest pas possible de communiquer physiquement (sauf par lâextérieur bien sur) entre les deux places fortes; il nây a que des liaisons téléphoniques et électriques. Câest à cet endroit que, durant les combats de lâété 1940, un accident causera deux morts : lâéclatement dans sa casemate dâune des pièces de 75 mm. Mais il sâagit là du seul drame de ce genre survenu sur toute la ligne; un obus resté dans la culasse rendue brà»lante à la suite dâune séance de tir prolongé serait sans doute à lâorigine de lâexplosion de lâarme.
En dehors des gros ensembles fortifiés, on trouve dans toute la Bevera quantité de petits ouvrages destinés à contrôler un point stratégique important, route ou voie ferrée. En se promenant vers les gorges de la Bevera, vers les ponts de Ca௠sur la petite route menant du départ du col de Brouis au col de Vescavo, on passe devant un gros blockhaus, communément appelé la casemate du Golf, du nom de lâancien hôtel situé à proximité. La mission de cet ouvrage était de tenir sous son feu les gorges du torrent et la ligne ferroviaire Nice - Breil qui passe non loin de là . A côté de types dâouvrages conçus à la fois pour attaquer et pour âencaisserâ les coups de lâadversaire se trouve un autre type de structure fortifiée : câest lâavant-poste. La C.O.R.F. nâa été pour rien ou presque dans la conception et la réalisation de ces moyens de défense. Il sâagissait dâouvrages relativement légers, dont la mission était dâinquiéter et dâaffaiblir le plus possible lâassaillant au cours de sa tentative dâinvasion. Parallèlement, les gros ensembles, situés plus loin de lâincursion ennemie, étaient prévenus. Ceci fait, et lorsque la situation devenait intenable, la garnison se réfugiait dans les grandes forteresses. Les structures de ces avant-postes, encore visibles de nos jours pour beaucoup dâentre eux, sont des plus sommaires, comprenant une partie à ciel ouvert et une galerie-tranchée ceinturant la position. De loin en loin, une position dâobservation ou de tir est établie sous forme dâabri sommairement bétonné. Une ou deux cloches pour lâobservation lointaine complètent le tout. Les équipements sont dâun type assez différent de ceux employés dans la ligne Maginot. La petite citadelle de Castes Ruines, qui domine la vallée de la Bevera sur sa rive droite, comporte par exemple une partie souterraine bétonnée avec dortoirs, chambres à munitions et casemates pour armes légères; le confort, très spartiate, rendait la vie des occupants très pénible : peu dâeau, pas de courant électrique, lâéclairage se faisant au moyen de lampes à pétrole. Mais ces fortins nâétaient pas conçus pour vivre longtemps. Câest pourtant en ces endroits que se dérouleront les plus violents accrochages lors de lâoffensive italienne; les divisions ennemies sâépuiseront en voulant enlever ces points stratégiques leur barrant la route. Lâarmistice de Juin 1940 arrivera à point nommé pour les sauver du désastre matériel et moral.
Nous voici maintenant arrivés au terme de notre exploration. Puisse ce modeste article avoir contribué à vous éclairer sur ces mystères de la fortification Maginot. Vous avez du vous rendre compte que point nâest besoin dâaller loin pour trouver ce type de fortifications que beaucoup ne veulent voir que dans lâEst de la France. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez évidemment consulter la bibliographie assez abondante qui commence à voir le jour sur cette question. Mais pourquoi rester isolé ? Pourquoi ne pas venir faire connaissance avec lâAssociation Départementale des Amis du Secteur Fortifié des Alpes Maritimes (A.D.A.S.F.A.M.) ? Venez donc nous voir au fort Saint-Roch, vous y trouverez des occasions dâen savoir plus encore sur se sujet, vous rencontrerez des membres bénévoles de lâAssociation qui, chaque mois, consacrent une journée à un travail collectif sur le site. Comme il a été dit, lâintérêt que nous portons à cette ligne de fortifications de notre région ne comporte évidemment aucune arrière-pensée guerrière. Il sâagit simplement de sâinstruire en tant quâamateurs dâHistoire, en mettant à profit ces témoins dâun passé que beaucoup dâentre nous ont encore bien vivant en mémoire.
Nous signalerons pour terminer que le visiteur du fort Saint-Roch trouve devant lâouvrage un parc-auto; il peut, sâil le désire, pique-niquer en famille sur des aires spécialement aménagées dans le circuit touristique des tourelles, balisé dès le départ du bloc 1. A lâintérêt de passer une journée au grand air, ajouter celui dâavoir appris quelque chose. Nul doute alors quâen rentrant chez vous, le soir, vous vous sentirez "fortifiés". si jâose mâexprimer ainsi!
Association Départementale des Amis du Secteur Fortifié des Alpes Maritimes (A.D.A.S.F.A.M.)
<!-- e --><a href="mailtot-roch@alcyonis.fr">st-roch@alcyonis.fr</a><!-- e -->