Dim. 14 Fév. 2021, 20:46
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Homo sapiens, homo destructor ?
Tigres à dents de sabre ou marsupiaux géants ont disparu de la surface de la Terre au moment où Sapiens l'a colonisée. Coïncidence ? Non, affirment de nombreux scientifiques, qui accusent l'homme moderne de détruire son environnement… depuis toujours.
Pyromane, viandard et destructeur. Voilà le portrait peu reluisant qui émerge des travaux de paléontologie les plus récents. Homo sapiens n’a jamais été en paix avec son environnement. Pire, alors qu’il en dépend pour sa survie, il le violente depuis ses origines. "L’espèce humaine a deux caractéristiques principales, détaille Jean-Jacques Hublin, professeur au Collège de France. Elle s’attaque à des animaux plus gros qu’elle, et s’oriente de préférence vers des proies jeunes – ce qui n’est pas le cas des autres prédateurs." Il n’existe pas de meilleur moyen d’éradiquer une espèce occupant le haut de la chaîne alimentaire que de tuer ses jeunes. Les plus gros animaux se reproduisent peu, en effet : les gestations sont longues, très espacées dans le temps, et ne donnent naissance qu’à un ou deux petits à la fois. Qu’une génération s'affaiblisse, et toute l'espèce est menacée. Or, la colonisation de la planète par l'Homme, à partir de la dernière sortie d'Afrique (- 70.000 ans), coïncide avec la disparitions en quelques milliers d'années de la mégafaune : tigres à dent de sabre, marsupiaux géants, ours des cavernes… les victimes ?
La question divise la communauté scientifique depuis plus de soixante ans… sans être tranchée. Les uns, comme Stephen Wroe de l'université de Sydney (Australie), estiment que la principale cause de ces extinctions est le changement climatique, et notamment la remontée des températures du début de l'Holocène il y a 11.500 ans, après un maximum glaciaire particulièrement froid. Impossible, selon eux, que le peu d'hommes peuplant alors la Terre - les estimations de la population européenne lors de ce dernier maximum glaciaire oscillent entre 11.000 et 28.000 individus ! - puissent être responsables de la disparition de dizaines de milliers de grands mammifères. L'inadaptation de cette mégafaune à l'élévation des températures, l'incapacité de changer de diète alors que le couvert végétal se modifie paraissent être des explications plus raisonnables.
Les ancêtres des Aborigènes utilisaient des armes à manche pour chasser il y a 50.000 ans
D'autres chercheurs désignent Homo sapiens comme le coupable idéal… avec des arguments plutôt convaincants. Ils soulignent, d'une part, que certaines espèces ont disparu bien avant le réchauffement du climat, d'autre part, que les sites archéologiques montrent que l'Homme se nourrissait bel et bien de ces animaux. Les preuves les plus convaincantes sont à chercher du côté de l'Australie et de l'Amérique du Nord, là où l'extinction de la mégafaune coïncide parfaitement avec l'arrivée des premiers hommes. Ailleurs, et notamment en Europe, le rôle de Sapiens n'est pas établi.
Alors que les estimations précédentes le voyaient débarquer sur l'île-continent il y a 40.000 ans, les plus récentes stipulent que notre grand ancêtre a posé le pied en Australie autour de -50.000. C'est la première information sensationnelle livrée lors de sa découverte, au début des années 2010, par le gisement archéologique de Warratyi, une grotte située dans le centre-est de l'Australie : 4300 objets divers, 200 fragments d'os issus de 16 mammifères différents et d'un reptile. Mieux, dans un article paru dans Nature en novembre 2016, l'archéologue Giles Hamm, de l'université de La Trobe à Melbourne, montre que ces ancêtres des Aborigènes utilisaient déjà des outils et des armes à manche pour chasser. Des os de diprotodon ou wombat géant, un marsupial de trois mètres de long pour deux de haut, ont été retrouvés sur le site, ainsi que des coquilles d'œufs d'un oiseau immense. Cette découverte assoit les convictions des tenants d'une Blitzkrieg - la destruction, en moins d'un millier d'années, d'une mégafaune australienne sans défense face à un nouveau prédateur - sans pour autant convaincre toute la communauté scientifique ! Stephen Wroe réfute cette hypothèse, estimant qu'elle "repose sur des interprétations simplistes de phénomènes biogéographiques et anthropologiques complexes".