Jeu. 07 Nov. 2019, 23:57
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On pensait l'affaire réglée… Les éléments lourds de l'Univers devaient avoir été forgés au cœur de collisions d'étoiles à neutrons.Mais aujourd'hui, un nouveau monstre s'impose comme le vrai créateur de l'Univers : le collapsar. Soit un cataclysme stellaire d'une violence inouïe, dont Benoît Rey nous dresse le portrait.
L'étoile est monstrueuse : des dizaines de fois la masse du Soleil ! Une toupie incandescente, qui tourne 50 fois plus vite sur elle-même que lui. En fin de vie, elle se contracte brutalement puis explose, dans une effusion de lumière qui la rend visible à l'autre bout de l'Univers.
Surtout, en un instant, jaillissent des gerbes gigantesques de nouveaux éléments : l'équivalent de 300 Terres d'or massif, 180 d'argent, 30 d'uranium, 700 de platine… Une profusion de bismuth, de radium, un déluge de gadolinium, de francium, une débauche de polonium et d'europium… Et voilà comment se-raient apparus les atomes les plus lourds du tableau périodique, lors de la mort de ces étoiles extrêmes : les collapsars, contraction en anglais de collapse, "effondrement", et star , "étoile". Génération après génération, ces explosions monstrueuses auraient injecté les atomes lourds dans les galaxies, fertilisant les nuages de poussières qui ont peu à peu donné naissance à des milliards de systèmes solaires, dont le nôtre, initiant la radioactivité des roches des planètes, générant leurs champs magnétiques protecteurs… et truffant leurs entrailles de filons qui fondent aujourd'hui notre civilisation technologique.
Repères
Le concept de collapsar est apparu dans les années 1980 comme cause possible des sursauts gamma longs, de brèves et brillantes explosions détectées par les télescopes.
Voilà la nouvelle genèse, proposée par l'astrophysicien Daniel Siegel, de l'université de Guelph, au Canada. "Quand une étoile d'au moins 30 masses solaires naît avec une vitesse de rotation initiale de 100 à 300 km/s à son équateur, elle finit en collapsar", détaille-t-il. Lors de la contraction, toute cette énergie cinétique se concentre au cœur de l'étoile, où se forme un trou noir. "Nos simulations hydrodynamiques laissent apparaître autour du trou noir un disque de matière d'une centaine de kilomètres de rayon, et d'une densité sans commune mesure : plus de 100 000 t/cm3 ." C'est ce disque qui serait le siège du "processus r" (pour "rapide"), nom donné à la fontaine miraculeuse d'où émergeraient, par l'agrégation de dizaines de neutrons, et leur désintégration en protons, les éléments les plus lourds. Ainsi, pour la première fois, quelqu'un semble enfin parvenu à trouver dans une explosion d'étoile le siège du processus r, qu'on cherche depuis des décennies !
Car cette histoire remonte à 1957, lorsque est publié l'article qui pose les bases théoriques de la nucléosynthèse : la genèse de tous les noyaux d'atomes de l'Univers y est méticuleusement décortiquée. Au commencement apparaissent les éléments les plus légers, l'hydrogène et l'hélium, en même temps que l'Univers lui-même, lors du big bang. Puis s'allument les premières étoiles, qui étoffent leurs atomes d'hydrogène avec des neutrons et des protons supplémentaires, forgeant ainsi le carbone, l'azote, l'oxygène… jusqu'au fer. Les éléments plus lourds - cuivre, zinc, plomb… - requièrent des conditions de densité et de températures plus drastiques : il faut un surplus d'énergie que les étoiles ordinaires sont incapables de fournir. Il viendra avec la mort et l'explosion en supernovae d'étoiles d'au moins huit fois la masse du Soleil.
LES NEUTRINOS EN DÉTONATEURS
Quant aux atomes les plus lourds, comme l'or ou l'uranium, là, ça coince. Pour les forger, les conditions doivent être redoutables. Et voilà les théoriciens contraints d'invoquer un procédé exceptionnel, le processus r : le principe est de saturer des noyaux d'atomes de centaines de neutrons en quelques millisecondes pour ne pas leur laisser le temps de se désintégrer par radioactivité et ce, jusqu'à ce qu'ils atteignent un seuil de stabilité qui leur permet de durer pendant des milliards d'années. Ce qui implique des concentrations colossales : 1020 neutrons par cm³ !
Où, dans la nature, peuvent régner de telles conditions ? Les astrophysiciens pensent vite aux plus énergétiques des explosions stellaires, les supernovae - mais aussi, déjà, aux collapsars : en leur cœur, peut-être que la matière pourrait être assez concentrée. Seulement, les simulations restaient désespérément incapables de produire le moindre élément r… jusqu'à aujourd'hui. "Il fallait prendre en compte les neutrinos du disque de matière qui naît dans les collapsars ! s'exclame Daniel Siegel. En effet, lorsque l'étoile explose, elle expulse deux grosses bulles de ces petites particules neutres qui irradient le disque de gaz (voir infographie). "Ce sont elles qui transforment la matière ordinaire de l'étoile en un matériau très riche en neutrons, déclenchant le processus r." Et le chercheur de procéder à des études quantitatives… Bingo : chaque collapsar produit 1 000 fois la masse de Jupiter en or, platine et autres éléments lourds. Ces explosions se révèlent extrêmement prolifiques. Trente fois plus que les fusions d'étoiles à neutrons !
Car, entre-temps, avant que Siegel achève sa simulation, les astrophysiciens avaient fini par se rabattre sur un modèle alternatif : la fusion, ou coalescence, d'étoiles à neutrons. Lorsque deux de ces astres morts devenus incroyablement denses se percutent, ils peuvent eux aussi générer les conditions extrêmes nécessaires à la naissance d'éléments lourds. Ce mécanisme avait même été confirmé par l'observation : le 17 août 2017, les détecteurs d'ondes gravitationnelles Ligo et Virgo avaient annoncé la détection d'une fusion de deux étoiles à neutrons via le signal GW170817, et 70 observatoires avaient suivi en direct l'éjection de l'équivalent de 3 à 13 Terres d'or, et tous les éléments r dans les proportions correspondantes… Un trésor diffus, bien loin cependant de celui convoité par les agences spatiales (voir p. 34).
Mais les collapsars semblent encore mieux coller aux observations que les fusions d'étoiles à neutrons. En particulier les teneurs en éléments r élevées mesurées dans les météorites et les teneurs faibles mesurées dans les sédiments marins. "À 5 000 m de profondeur, dans l'océan Pacifique, les sédiments contiennent un taux élevé de matériaux extraterrestres, explique Michael Paul, de l'Université hébraïque de Jérusalem. Ils indiquent la densité d'éléments r de notre environnement depuis quelque 100 millions d'années." Les météorites, quant à elles, donnent la densité d'éléments lourds qui régnait sur le lieu de naissance du Système solaire, il y a 5 milliards d'années. En clair, ces deux sources montrent que les éléments r sont distribués de manière très hétérogène dans notre Galaxie. Il faut donc privilégier les mécanismes de production d'éléments r les plus rares possible. Or, justement, les collapsars sont rares : il y en aurait un tous les millions d'années - contre une coalescence d'étoiles à neutrons tous les 100 000 ans.
Et les collapsars résolvent aussi un autre mystère laissé sans réponse par les étoiles à neutrons : la composition chimique des étoiles qui orbitent à la périphérie de la Voie lactée, dans l'obscur "halo galactique". La majorité d'entre elles sont très vieilles, elles se sont formées peu après le big bang, à partir d'un gaz forcément pauvre en éléments autres que l'hydrogène ou l'hélium. Et pourtant, certaines sont relativement concentrées en éléments r, ce qui indique que leur mécanisme de production a eu lieu très tôt… "Sans doute trop tôt pour les coalescences" , estime Daniel Siegel. Pour que de telles collisions puissent avoir lieu, il faut d'abord que des couples d'étoiles se forment, qu'elles vieillissent jusqu'à épuiser leur réservoir d'énergie, puis explosent en supernovae avant de se rapprocher progressivement. "Tout cela prend des centaines de millions d'années, trop pour avoir eu le temps d'enrichir les étoiles du halo à ce point" , conclut-il. À l'inverse des collapsars, dont on sait qu'ils ont pu survenir très tôt dans l'histoire de l'Univers : les toutes premières étoiles étaient énormes (des centaines de masses solaires), justement en raison de leur contenu pauvre en éléments. Or les grosses étoiles meurent très vite…
Au bilan, Daniel Siegel estime que les collapsars seraient à l'origine de 80 % des atomes lourds de l'Univers. Ce serait donc eux, les véritables créateurs.
Mais les partisans du modèle des coalescences ne s'avouent pas vaincus. Tsvi Piran, de l'Université hébraïque de Jérusalem, met en avant des calculs statistiques qui montrent que les fusions d'étoiles à neutrons pourraient se former plus vite qu'on ne le pensait : "Nous trouvons qu'environ 15 % fusionnent en moins de 100 millions d'années, ce qui est assez rapide pour enrichir même les vieilles populations d'étoiles du halo galactique." "Ces proportions de 80 % contre 20 % vont certainement changer, récapitule Stéphane Goriely, de l'Université libre de Bruxelles, un autre spécialiste du domaine. Mais cette découverte a le mérite de rappeler à notre communauté qu'elle a systématiquement tendance à se focaliser sur un unique candidat." "C'est vrai qu'on s'est un peu emporté lors de l'annonce de GW170817…" , reconnaît Benoît Côté, de l'Académie des sciences hongroise.
Un nouveau monstre s'est invité dans la genèse de l'Univers. Les collapsars n'ont pas fini de faire parler d'eux…
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers
L'un des collapsars les plus brillants, SN 1998bw, a été découvert en 1998.
Comment le disque du collapsar forge les éléments lourds
Les plus grosses des étoiles finissent leur vie dans une explosion gigantesque (1) ; en une fraction de seconde, le cœur s'effondre en trou noir, qui s'entoure d'un disque de matière dense et surchauffée : une soupe de protons et de neutrons (2). Ce disque réagit avec un vent de neutrinos jusqu'à atteindre 6.1034 neutrons par cm3 : neutrons et protons s'assemblent, formant des éléments lourds (4)… qui s'échappent ensuite vers l'espace (5).
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers© B.BOURGEOIS
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers
Collapsar : les vrais créateurs de l'univers
Voir les collapsars en action
Les monstres se cachent pour produire leur or. "Nous savons que les longs sursauts gamma que nous observons sont pour les plus intenses issus des collapsars, explique Daniel Siegel. L'idéal serait d'y trouver la signature en infrarouges des éléments r, comme ça a été le cas avec la fusion d'étoiles à neutrons. " Sauf que l'origine des sursauts gamma est très difficile à localiser et que les collapsars n'émettent pas assez d'ondes gravitationnelles pour être détectés par Ligo et Virgo. Pis, ils produisent une profusion de nickel 56 radioactif, dont la lumière noie celle qui est en théorie prédite par les éléments r. Seul espoir pour les voir : le télescope spatial James Webb, successeur de Hubble (voir p. 24).
En savoir +
A consulter :
La publication de Daniel Siegel, Nature, 2019
A voir :
Un collapsar en direct… en simulation :