2 Gastrik YannSolo |
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(Lun. 12 Sep 2016, 20:28)atkrea a écrit : http://www.lemonde.fr/m-perso/article/20...1473432955
Pour ceux qui voudraient lire l'article d'atkrea et n'auraient pas l'édition abonnés...
Indiana Jones et Lara Croft ont fait des petits. Ils n’arpentent ni les déserts ni les tombes à la recherche de vestiges enfouis, mais se contentent de passer leurs week-ends à visiter des ruines, industrielles ou résidentielles, en marchant sur des débris de verre et en tremblant à l’idée d’une mauvaise rencontre. Curieux passe-temps ? Drôle de façon d’inventorier et de faire vivre le patrimoine ?
« C’est ma respiration, ma bulle d’oxygène, répond Bastien Buchla, 17 ans. J’ai besoin de cette déconnexion, d’aller dans la nature, de retrouver le silence. Dans la vie moderne, on est constamment sous pression. » Féru d’histoire et d’architecture, cet adolescent au teint pâle pratique l’« urbex » – condensé d’urban exploration. Des visites illégales de lieux abandonnés, que les pionniers de ce loisir surprenant pratiquent depuis des lustres. Sauf qu’ils sont aujourd’hui rejoints par de nouveaux curieux, toujours plus nombreux. Pas moins de 5 millions d’occurrences du mot sur le moteur de recherche de Google. Le symptôme d’une envie de déconnexion, et de retour aux vieilles pierres. Une échappée très physique dans une époque trop numérique.
« Explorateurs invisibles »
Comme de nombreux « urbexiens », Bastien aime partir, souvent seul, « à la recherche de traces du passé, pour garder des images d’un patrimoine menacé de disparition ». Bastien Buchla a commencé en visitant un château abandonné près de son lycée, à Lagny-sur-Marne (Seine- et-Marne). D’autres, comme Bruno Mellier, la cinquantaine, cheveux longs et regard bleu délavé, logisticien à l’aéroport de Roissy, vont encore plus loin, cherchant à remonter le temps pour toucher du doigt l’histoire de France. « Mon truc, ce sont les carrières qui servaient de refuges aux soldats de 14-18, dit-il. On y trouve des tas de choses : des grenades, des casques, des poèmes, des témoignages poignants de jeunes gens face à la mort. »
Avec Isabelle Leclerc, une ex-infirmière au caractère bien trempé, ils forment les « Gaspards », un duo emblématique de l’urbex. « La transgression, l’aventure, le goût du risque, de l’illicite, de la liberté, énumère Isabelle Leclerc. Nous vivons dans un monde hypernormé : on ne peut plus fumer, la vitesse est limitée, tout est encadré... Avec l’urbex, on s’évade ! »
Un besoin partagé par un autre de ces « explorateurs invisibles », Adrien, alias « Tiski », 28 ans, qui expose ses photos d’urbex à La Recyclerie, à Paris, à partir du 13 septembre (http://www.larecyclerie.com/lurbex-en-photo-par-tiski/) , et pour qui cette pratique est une façon d’appuyer sur « pause » : « Les gens disent qu’ils n’ont plus assez de temps. Nos existences sont chronométrées. Avec les smartphones, ton employeur, tes amis, ta famille peuvent te pister n’importe où, n’importe quand. Nos espaces de liberté rétrécissent. Avec l’urbex, au moins, on prend le temps de vivre quelque chose à fond. » Ou par Raphaël Lopez, 29 ans, créateur
d’Urbexsession.com (http://urbexsession.com/) , l’un des sites les plus visités : « Sur Facebook, chacun d’entre nous a un double numérique, une réalité enjolivée qu’il faut constamment actualiser, ça t’accapare. Partir en exploration nous permet d’échapper à ce conditionnement. »
Usine, hôpital, caserne, parc d’attractions, hôtel, prison, orphelinat... Tous ces lieux désaffectés constituent « un univers parallèle dont la plupart des gens ne soupçonnent pas l’existence », glisse Pierre-Guillaume, fringant Parisien de 25 ans, barbe noire bien taillée, appareil Canon en bandoulière. En cela, l’urbexeur est un proche cousin du cataphile (qui explore les catacombes) et du toiturophile (qui visite les toits des bâtiments).
« J’ai commencé dans les années 1980 après avoir vu Les Goonies, de Richard Donner, dans lequel une bande d’ados part à la recherche d’un trésor de pirates, confieTimothy Hannem, dit « Tim ». Avec l’urbex, on apprend à surmonter ses peurs, sa timidité. En exploration, on guette le danger, on redevient animal, les sens s’aiguisent. » A 36 ans, ce grand adolescent au look de Géo Trouvetou, casquette vissée sur le crâne, réalise une ou deux sorties par semaine, souvent seul, parfois en couple. Pionnier de l’exploration urbaine en France, il a créé le site Glauque-Land (http://www.glauqueland.com/) et publié en mars Urbex (Flammarion), un ouvrage qui présente 50 lieux incontournables en France.
Comme lui, les plus mordus peuvent visiter un bâtiment plusieurs dizaines de fois, à la recherche de détails (photos, lettres, livres, journaux, jouets...) qui leur permettront de retracer l’histoire du lieu et de ses habitants, faisant quasiment un travail d’archiviste, avec le goût du secret. « Pour préserver l’endroit, on n’indique pas l’emplacement exact. La quête fait partie du jeu », recommande Pierre-Guillaume en pénétrant dans une superbe maison bourgeoise du XIXe siècle, quelque part en Picardie.
Le feu a détruit la moitié de la toiture, transformant le manoir en champignonnière à ciel ouvert. Au premier étage, des arbres poussent dans les couloirs. La bâtisse, pourtant, a eu ses heures de gloire. En témoignent les restes de l’élégante marquise qui accueille les visiteurs sur le perron. Au rez-de-chaussée, le volume des salles de réception impose encore le respect, malgré les tags et les graffitis. Brisant un silence de cloître, mon guide dégaine son smartphone qui sait tout : « Le château a été construit en 1865 par un riche industriel. Il a ensuite été utilisé comme parc d’artillerie par l’armée française, comme prison par l’armée allemande, avant de devenir un centre de formation aux métiers de la restauration. Il a été incendié en 2010. »
Pour les plus engagés, la préservation d’un patrimoine ignoré peut devenir une raison de vivre. « Il y a des centaines de livres sur les châteaux de la Loire, très peu sur notre patrimoine industriel alors que nos usines ferment les unes après les autres », regrette Timothy Hannem. Loin des regards, les usines mangées par la rouille et les pissenlits peuvent disparaître en quelques décennies.
Pour les bâtisses dont la charpente est en bois, les choses peuvent aller beaucoup plus vite. « Un simple trou dans la toiture et l’eau s’engouffre. Le bois gonfle, la charpente explose. En quelques mois, c’est réglé. Les gens ne sont pas du tout conscients de la fragilité des bâtiments anciens », ajoute Isabelle Leclerc. Les Gaspards ont ainsi créé une association pour protéger et restaurer le château de Lesches, une belle demeure du XIXe siècle située près de Disneyland Paris. Un trésor découvert au cours de l’une de leurs expéditions.
Des files de visiteurs
Longtemps confidentielle, la pratique attire un public de plus en plus large. Et de plus en plus jeune.
« C’est devenu une mode. Il y aura bientôt autant de pages Facebook consacrées à l’urbex que de pages de fans de Justin Bieber », ironise Raphaël Lopez.
Sur les sites spécialisés, ils découvrent les spots mythiques de l’urbex : Detroit, l’ex-capitale américaine de l’automobile ; Hashima, une île japonaise déserte visible dans Skyfall, l’avant dernier James Bond ; et Pripyat, une ville située à proximité de la centrale de Tchernobyl. Cette nouvelle génération expose ses photos sur Facebook, espérant une brassée de « like », l’étalon de la reconnaissance. Sur les spots emblématiques, des files de visiteurs se forment parfois le week-end. « On y croise des groupes venus de Belgique, des Pays-Bas ou de plus loin. Ça devient du tourisme de masse », s’agace Isabelle Leclerc.
Inévitablement, ce succès entraîne des dérives. L’une des règles de base est de ne jamais dévoiler les adresses pour ne pas attirer les vandales. Pourtant, des groupes fermés s’échangent des fichiers entiers sur Facebook. Il arrive ainsi que plusieurs centaines de personnes « visitent » un site en quelques mois. « Un bâtiment peut être complètement massacré », s’indigne Tiski. Une surenchère que les pionniers dénoncent. « Sur Internet, c’est à qui fera le plus de spots, les lieux les plus difficiles d’accès, regrette Timothy Hannem. C’est contraire à l’esprit. Dans cette pratique, il faut être patient, on ne réussit pas toujours du premier coup. »
Le phénomène prenant de l’ampleur, des images d’urbex commencent à pulluler dans les médias traditionnels. Il n’est pas rare de croiser sur les sites les plus connus un photographe de mode ou de tomber sur le tournage d’un clip – Louise Attaque a tourné celui du morceau Du grand banditisme, en 2015, dans un ancien hôpital psychiatrique de Seine-Saint-Denis (https://www.youtube.com /watch?v=1CwHjDMQJ-Q). Le début de la normalisation qui signe peut-être la fin d’une époque.