Mar. 07 Sep 2010, 21:43
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Citation :àconomie 06/09/2010 à 00h00
Paul Petzl. A Crolles, près de Grenoble, cet inquiet créatif défend une «success story»familiale dans le matériel de montagne.
Par ELIANE PATRIARCA
Câest vrai, lâimage semble dâEpinal, presque trop séduisante pour être plausible. Paul Petzl, 60 ans, est un chef dâentreprise rafraîchissant comme une balade en montagne; un intuitif qui abhorre les mots «leader», «produits», «objectifs», qui a «horreur du monde de la finance qui détruit les savoir-faire». Un patron qui confesse une «vision idéaliste», revendique, au risque de paraître ringard, lâamour du «travail bien fait» et rejette les délocalisations qui font perdre le contrôle de la production. A contre-courant du modèle dominant, donc, mais fort du succès de son entreprise éponyme.
Créée en 1975 à Crolles, près de Grenoble, Petzl est devenue une référence pour les alpinistes, grimpeurs ou spéléos mais aussi pour tous ceux qui travaillent en hauteur (ouvriers du bâtiment, des sociétés de nettoyage ou dâélagage, pompiers). Résultat, trente-cinq ans plus tard, un chiffre dâaffaires de 90 millions dâeuros en 2009 dont 80% à lâexport. Une croissance sur les trois dernières années de 15%, 450 salariés et une présence dans quarante pays. Evidemment, la success story attire les prédateurs. «Les offres de rachat, je les classe dans la poubelle ! Vendre serait trahir», assène ce chantre dâune entreprise familiale aux allures de légende.
Paul Petzl est issu dâune famille dâ«immigrés allemands qui vivaient en Roumanie», avant que son grand-père, ingénieur, arrive en France et obtienne la nationalité française via un engagement dans la Légion. Son père Fernand, né en 1913, est modeleur-mécanicien à Crolles, et grand écumeur de gouffres. Une passion dont lâhomme, réservé et orgueilleux, parle peu, mais qui impressionne son fils. «En 1933, il a ouvert le réseau des galeries de la Dent de Crolles. En 1952, il a pris la tête de lâexpédition du gouffre Berger dans le Vercors. Quatre ans plus tard, ils atteignaient les mille mètres de profondeur, un record mondial alors.»
Dans les locaux de Petzl, au pied de la Dent de Crolles, lâhistoire est reconstituée en accéléré. Une grande photo montre Fernand Petzl au travail, penché au-dessus de lâétabli. A côté, exposées avec minutie, comme dans un atelier de mécanique, les collections colorées de harnais dâescalade, casques, piolets, assureurs, descendeurs, mousquetons et lampes aux couleurs acidulées. Des outils qui ont changé les pratiques verticales.
Bricoleur ingénieux, Fernand Petzlcherche comment faciliter la descente et la remontée sur corde : il teste avec son ami dâexploration Pierre Chevalier la première corde en nylon qui va remplacer le lourd chanvre qui se gonflait dâeau; en 1968, il met au point les premiers bloqueurs et descendeurs sur corde. Ses fils lâassistent dans ce qui devient, à partir de lâatelier, une entreprise de vente par correspondance. «La semaine on fabriquait, le week-end on remplissait la voiture et on allait vendre dans des congrès de spéléo.»
Après des études de mécanique à Grenoble, le jeune Paul, lui aussi passionné de spéléo et dâescalade - «ma mère, tendre et émotive, était toujours angoissée !» - rejoint lâatelier paternel o๠travaille déjà son frère Pierre. Ils enchaînent des innovations qui vont asseoir la réputation de Petzl. Lassé de fabriquer les lourdes lampes à acétylène des spéléos, Paul imagine, avec son père, de réunir lampe et boîtier de piles. Il demande à sa femme Catherine, qui a rejoint lâentreprise, de lui ramener du marché des porte-jarretelles : les larges élastiques serviront à fabriquer un bandeau qui maintienne le tout sur la tête et libère les mains des explorateurs des profondeurs. La lampe frontale voit le jour en 1973, révolutionne la spéléo et devient un objet culte pour les alpinistes. La SARL Petzl est fondée deux ans plus tard.
«Dans mon entreprise comme en escalade, jâai beaucoup utilisé mes peurs», analyse cet homme svelte, au pas vif. Il grimpe une fois par semaine mais regrette de «nâêtre pas plus aventurier dans la nature», trop obsédé par la sécurité. «A la fin des années 80, on savait faire des descendeurs et des assureurs mais quand je grimpais, je ne me sentais pas en confiance.» Paul et son père planchent durant quatre ans. Jusquâà ce quâun jour, eurêka !, il trouve le principe de lâassureur autofreinant. Sorti en 1991, le Grigri améliore la fiabilité de lâassurage en escalade.
A Crolles, dans le hall de lâentreprise, sont exposés tous les catalogues de matériel, la marque de fabrique de Petzl. Depuis le tout premier, ils sont assortis de dessins pédagogiques qui ont forgé une relation particulière avec les utilisateurs. Parce que «vendre sans former, ça nâa pas de sens». 4,7 millions dâarticles produits, «ça fait des dizaines milliers de gens suspendus en lâair par jour, câest lourd comme responsabilité», ajoute lâinquiet permanent.
Patron tatillon qui ne pardonne pas lâà -peu-près, objet de colères volcaniques. Lorsquâen 2007, des clients lâalertent sur une fragilité des crampons Petzl, il ordonne leur rappel immédiat. De même, il impose à son équipe de cesser de fabriquer des bâtons de randonnée tant quâils nâauront pas trouvé comment les rendre plus fiables.
La sécurité, Paul Petzl en a aussi fait un principe de gestion. Et une manière de conjurer quelques complexes. «Je viens de rien, je nâai pas fait de grandes études. Alors jâai dà» bâtir mes propres règles : rester ancré dans ce quâon maîtrise, ne pas se disperser, ne jamais dépenser plus que ce quâon a gagné, distribuer au moins 20% des bénéfices au personnel.» On pourrait ajouter : ne jamais afficher une affinité politique, rester hors champ. La pire de ses peurs ? «Ne plus maîtriser, être hors du coup, ne pas comprendre.» Alors il sâ«ouvre lâesprit» grâce aux rencontres avec des philosophes, des chercheurs, des prêtres, des policiers du Raid, des écolos, organisées par un club dâentrepreneurs, lâassociation Progrès management.
Petzl dit devoir beaucoup à sa femme. «Dans lâentreprise, Catherine mâa obligé à résoudre les problèmes, à ne pas fuir avant dâavoir trouvé la solution.» Dans la sphère familiale, elle«a assuré pour nos fils», Sébastien, 31 ans, expert-comptable à Grenoble, et Olivier, 27 ans, qui dirige lâun des sites de production Petzl. Leur père rêve de leur transmettre lâentreprise mais observe que «ce nâest pas évident pour les enfants Petzl de trouver leur place ici». Conscient que son charisme, sa force de caractère, peuvent être écrasants.
En montagne, Paul Petzl se transforme : à pied ou en ski de randonnée autour de son chalet dâalpage du Beaufortin, il exulte, cavale, léger comme un chamois. Mais on ne se refait jamais complètement. Sa femme trouvait la bâtisse trop sombre : Petzl a conçu des volets en bois qui fonctionnent comme des ponts-levis devant les baies vitrées, sans dénaturer lâarchitecture traditionnelle.
Photo Jean-François Marin. Fédéphoto
En 6 dates
1950 Naissance à Saint-Ismier (Isère).
1970 IUT mécanique à Grenoble et spéléologie.
1975 Création de la SARL Petzl à Crolles.
1991 Implantation dâune filiale aux Etats-Unis et invention du Grigri.
2000 Invention de la première lampe frontale à Led.
2003 Mort de son père, puis de sa femme
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