Lun. 08 Nov. 2004, 01:10
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Gad
Citation :Guerre de tranchées à Paris autour de la ferme de Montsouris
LE MONDE | 06.11.04
Les restes de la dernière ferme de la capitale, datant du XIXe siècle, posés sur des carrières classées, font l'objet d'une âpre bataille entre un promoteur immobilier, la Ville et un collectif d'associations.
Prenez une ancienne ferme en plein Paris, des carrières médiévales classées en sous-sol, un soupçon de vestiges romains. Ajoutez un promoteur immobilier soucieux de rentabilité, un maire d'arrondissement inquiet pour la solidité du quartier et un collectif d'associations déterminé à obtenir la restauration de ce patrimoine et son ouverture au public. Voilà les ingrédients de la guerre de positions qui dure depuis bientôt quatre ans rue de la Tombe-Issoire (Paris-14e).
Derrière une rare et imposante porte charretière, subsistent autour d'une vaste cour en triste état les restes de la dernière ferme de Paris, en activité jusqu'à la fin des années 1930. Nulle moisson dans cette ferme de ville, o๠des "nourrisseurs" de vaches fournissaient le quartier en lait frais.
La parcelle de 2 730 m2 compte plusieurs bâtiments disparates de la seconde moitié du XIXe siècle. Un patrimoine plus intéressant pour le témoignage historique que pour la qualité des constructions. Rue de la Tombe-Issoire, s'élèvent les quatre étages d'un immeuble de rapport décrépi, occupé par une cinquantaine de squatters, et les deux maisons de faubourg, murées, qui le jouxtent. Dans la cour, la maison des fermiers a disparu, mais reste la longue grange, de belle facture. Enfin, côté Villa Saint-Jacques, on trouve un pavillon néo-Renaissance, dit "troubadour" et un ancien atelier à demi effondré.
La Société française d'études et de réalisations immobilières (Soférim), qui a racheté les lieux à la fondation catholique Les Berceaux du souvenir en mars 2003, projette depuis 2000 un programme sur ce terrain, sur la base d'un permis de construire déposé en octobre 2002 et moult fois modifié. "Ce projet s'est fait dans une grande concertation, assure Jean Papahn, président de la Soférim. Nous avons intégré les demandes de la Ville de Paris, de la mairie du 14e, du ministère de la culture, des Bâtiments de France..." Au final, la Soférim propose, sur 500 m2 d'espace vert, un ensemble de constructions nouvelles et restaurées, mêlant propriété privée de standing et logement social.
L'immeuble de rapport serait rehaussé de deux étages, mais son porche serait conservé. La façade du pavillon troubadour serait reproduite sur un bâtiment neuf. La grange réhabilitée accueillerait un équipement public, des locaux seraient réservés à des Åuvres sociales paroissiales et le cellier voà»té, transformé en chapelle en 1954, reviendrait à la paroisse Saint-Dominique.
Malgré cette "concertation", la Soférim a eu "la surprise d'apprendre par la presse", en mars 2004, le rejet du permis de construire par le maire de Paris, Bertrand Delanoà«. L'opposition à laquelle elle se heurte n'est pourtant pas nouvelle.
RISQUE D'EFFONDREMENT
Un collectif de 39 associations occupe une partie des lieux et se bat pied à pied depuis l'origine pour empêcher toute construction sur le site. "Il est impensable de défigurer ce témoignage exceptionnel du Paris rural, estime Thomas Dufresne, le président du collectif. De plus, la cour recouvre probablement l'aqueduc gallo-romain qui alimentait les thermes de Cluny, voire un morceau de la voie romaine qui permettait d'accéder à Lutèce."
Le collectif s'inquiète aussi des possibles dommages infligés au sous-sol par les fondations des futurs immeubles. Car, à 18 mètres sous terre, s'étend, intacte, la carrière du chemin de Port-Mahon, exploitée dès le XIVe siècle et classée monument historique en 1994. Une expertise commandée en 2002 par le collectif à la société Aimé Paquet Consultant fait part de son "grand pessimisme concernant la stabilité de la carrière (...) sous les poussées exercées par le béton". La Soférim lui oppose son propre expert, Albert Pickaert, selon qui "les fondations des immeubles seront l'occasion d'une consolidation respectueuse du site, à base de micropieux ou de piliers maçonnés".
Le risque d'effondrement des carrières - et, partant, des immeubles en surface - a en tout cas convaincu le maire (PS) du 14e arrondissement, Pierre Castagnou, de multiplier les avis défavorables auprès du maire de Paris en vertu du "principe de précaution". Selon M. Castagnou, "ce projet conduit à une surdensification d'une parcelle typique du patrimoine faubourien du quartier, qu'il faudrait valoriser".
Seul problème : la Ville n'a pas exercé son droit de préemption en 2003, le terrain est constructible, la Soférim a en poche les avis favorables de la direction régionale des affaires culturelles, de l'Inspection générale des carrières, de l'architecte des Bâtiments de France, et le principe de précaution n'est pas un motif recevable de refus de permis de construire.
C'est donc parce que "les constructions neuves projetées sur la rue", par leur "écriture architecturale", "portent atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants", que la Ville a refusé le permis. Un argument d'apparence fragile dans un quartier très hétéroclite. La Soférim a déposé une requête en annulation auprès du tribunal administratif de Paris.
En attendant que la justice tranche, les bâtiments continuent de se dégrader et chacun rêve de les sauver à son idée. Le collectif a élaboré un plan de rachat, de restauration et d'exploitation de la ferme, à base de centre culturel, de ludothèque, de guinguette, d'activités associatives et pédagogiques. Pierre Castagnou, lui, dit avoir le soutien du maire de Paris pour réfléchir à "un usage collectif de la ferme et de sa cour pour les habitants du quartier. Vous imaginez la belle crèche que ferait la grange ?".
Dans l'espoir de prendre la Ville à son propre piège, la Soférim a déposé au mois d'aoà»t un nouveau permis de construire qui ne comprend ni restauration, ni équipement public, ni logements sociaux, mais s'abstient d'intervenir sur les immeubles sur rue. Le maire du 14e arrondissement a émis un nouvel avis défavorable en octobre.
Grégoire Allix
⢠ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.11.04