Le gruyère du sous-sol français
LE MONDE | 06.08.04 | 13h17 ⢠MIS A JOUR LE 06.08.04 | 16h25
Le BRGM, qui doit achever en 2006 le recensement des cavités souterraines en France, estime leur nombre à environ 500 000. Il s'agit de les identifier pour mieux prévenir les risques d'effondrement.
Châlons-en-Champagne (Marne) de notre envoyée spéciale
Il fait frais sous la terre. En cette chaude journée d'été, la température descend à 11 degrés à l'intérieur des galeries creusées dans les coteaux de craie qui bordent la Marne, à Châlons-en-Champagne. Les tunnels ont été taillés en ogive à la main. Ils s'enfoncent sur trois kilomètres et demi au moins, parfois jusqu'à 35 mètres sous terre. Sous les voà»tes sombres, dix millions de bouteilles de champagne sont entreposées. Cette ancienne carrière de craie sert, depuis plusieurs décennies, de cave.
"La première période d'exploitation de la craie dans ces galeries remonte sans doute à l'époque gallo-romaine", raconte Pascal Marteau, ingénieur géologue au service régional Champagne-Ardenne du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). Cette activité a sans doute continué jusqu'au XIXe siècle. Les façades blanches des vieux immeubles de Châlons témoignent de l'utilisation de la craie dans le bâtiment.
Au bout de la cave, un passage étroit permet de se faufiler dans un souterrain construit par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale pour y stocker des armes. Deux grandes cavités poisseuses d'humidité, toujours visibles, auraient servi de prison. Au-delà , d'autres galeries - dont on ignore l'époque et l'usage - aboutissent à une vaste salle, soutenue par un mince pilier de craie. Ce pilier "flambe", explique M. Marteau. Il s'effrite. Sous la ville dorment plusieurs dizaines de cavités souterraines, certaines connues et surveillées, comme les caves à champagne, d'autres abandonnées et complètement oubliées.
Le BRGM vient de terminer l'étude du sous-sol de Châlons, avec le soutien financier de la communauté d'agglomération. L'étude servira à la DDE pour élaborer un plan de prévention des risques, mettre des zones sous surveillance, définir des zones inconstructibles, ou constructibles sous conditions. "Certains événements ont sensibilisé les élus : lors de l'aménagement d'une voie rapide, un engin de chantier a versé dans une cavité. Une autre a été découverte lors de la construction d'un terrain de football", explique Patrick Barthe, responsable du service de l'aménagement et des risques naturels à la DDE. Des mesures ont été également été effectuées sous une ZAC."Il ne s'agit pas d'affoler tout le monde. Une cavité peut être stable pendant 10 000 ans. Mais pour "défantasmer" le sujet, il faut connaître le risque et mettre en place les mesures qui conviennent", poursuit M. Barthe.
CAVITàS OUBLIàES
Au total, 86 cavités souterraines ont été recensées dans la zone étudiée, dont 24 sont situées avec précision. Une carte d'aléas a été tracée. Une épaisseur de craie suffisante pour être exploitée suffit pour soupçonner la présence d'anciennes carrières. L'objectif est d'obtenir une carte des risques, en croisant deux types de données. D'une part l'aléa, c'est-à -dire la probabilité qu'un effondrement ou un affaissement se produise d'après l'étude des sols, et d'autre part l'enjeu, ce qui se trouve à la surface. Un aléa moyen et un enjeu fort produisent un risque élevé.
Le travail mené à Châlons-en-Champagne viendra enrichir le vaste recensement commencé à l'échelle nationale, en 2000, à l'initiative du ministère de l'environnement. L'objectif est de mieux connaître les cavités souterraines et leur état à partir de toutes les sources disponibles, afin de prévenir les risques d'effondrement. Ce travail exclut les mines, dont l'emplacement est connu et qui relèvent d'une législation spécifique.
Le recensement est terminé dans 13 départements. Il doit être réalisé dans 35 au total d'ici à 2006. Il concerne les départements o๠la présence de cavités est avérée, mais o๠les données précises manquent. Les départements o๠des services spécifiques sont chargés du sujet (comme Paris), o๠les informations abondent, en sont exclus.
Une base de données nationale, rassemblant toutes les informations existantes et les plus récentes, est en cours de constitution, afin que tous puissent avoir connaissance de l'état du sous-sol, notamment les particuliers, responsables des dommages induits par les cavités souterraines situées sous l'endroit dont ils sont propriétaires (cette base est consultable sur le site <!-- w --><a class="postlink" href="http://www.bdcavite.net">www.bdcavite.net</a><!-- w -->).
"Selon nos estimations, 500 000 cavités seraient présentes dans le sous-sol français, explique Jean-Louis Nédellec, directeur de l'unité risques et gestion de crises au BRGM. Heureusement, toutes ne présentent pas le même risque. Les cavités naturelles s'effondreront dans des milliers, voire des centaines de milliers d'années par exemple."
Ces cavités, d'origine karstique, sont surtout présentes dans le sud de la France. Les cavités creusées par l'homme, plus nombreuses au Nord, sont de toute nature : anciennes carrières ; caves à vin, entrepôts, champignonnières ; tunnels, aqueducs ou souterrains abandonnés ; ouvrages militaires (sapes de guerre, dépôts d'armes, casemates, fortins enterrés)... Les plus dangereuses étant, bien sà»r, celles dont on a oublié l'existence.
La prise de conscience nationale du risque majeur présenté par les cavités est venu des régions confrontées à des effondrements parfois mortels. En Normandie, les marnières abandonnées après la fin de l'usage des marnes pour fertiliser les cultures provoquent de nombreux affaissements.
Les élus de cette région sont à l'origine d'une grande partie de la législation actuelle sur le sujet. Les particuliers sont désormais tenus par la loi de signaler l'existence de cavités dont ils ont la connaissance à leur mairie. Une carte des zones à risque doit être dressée par les maires, afin d'être intégrée au dossier départemental des risques majeurs.
Autre région touchée, la Lorraine, qui doit faire face aux conséquences de son passé minier. Ces cavités font l'objet d'une réglementation spécifique (Le Monde du 3 aoà»t). La Picardie est également une région "sinistrée", selon le BRGM. Plus de 4 000 effondrements ont eu lieu entre janvier 2000 et mai 2001 dans les arrondissements de Montdidier (Somme) et Clermont (Oise). La majorité des cavités correspondent à d'anciennes sapes de guerre de la première guerre mondiale, aujourd'hui oubliées.
Le recensement doit permettre de faire progresser la connaissance dans d'autres régions. "La donne change : le climat évoluant, les nappes phréatiques fluctuent de façon plus importante et fragilisent les cavités. Cette situation fait progresser l'attention des élus sur ces risques", note M. Nédellec.
Gaà«lle Dupont
⢠ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.08.04
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