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Porto Rico, par Brewal
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San Juan, Porto Rico, samedi 12 avril 2003.

Il faut absolument que je trouve un ventilateur pour ma chambre. Même le
matin, la chaleur est accablante. Alors que je suis allongé sur mon lit,
en caleçon, lisant le supplément week-end du Nuevo Dia, Bob apparaît
dans l'encadrement de ma porte grande ouverte :

« J'ai du boulot pour toi si veux. »

J'ai rencontré Bob cette semaine à  El Jibarito, l'hôtel o๠je loue une
chambre ; enfin, c'est plutôt lui qui s'est présenté à  moi. Il est très
yankee, spontané pourrait-on dire. Sinon, il est charpentier et habite
ici à  San Juan, depuis septembre dernier. Pourquoi, je ne l'ai pas
encore compris. Ses yeux vitreux, son accent texan laissent peu de doute
sur un passé alcoolique. Aujourd'hui, il ne touche plus une goutte
d'alcool mais je devine qu'il est simplement tombé plus bas. Il connaît
du monde dans le quartier, celui des puntos de droguas et des trafics
divers du Viejo San Juan. La semaine dernière, un dealer de 25 ans a été
tué dans la rue au nord de la notre, Calle San Sebastian : 17 balles
dans le corps et une dizaine dans le plancher. Bref, Bob connaît du
monde.

« Des travaux de charpente, sur Calle de la Luna, toute la journée, 10
dollars de l'heure. Bien payé, non ? »

Calle de la Luna est une rue juste au sud de la mienne, la Calle del
Sol. C'est une rue résidentielle, avec de belles maisons coloniales très
bien entretenues. Le quartier historique de San Juan, appelé Viejo San
Juan, est cantonné à  une très petite superficie, celle des remparts
reliant les forts que les conquistadores construisirent pour défendre la
baie des attaques des Anglais et des Hollandais. Il couvre à  peine plus
que l'Ile Saint-Louis, à  Paris.

Pratiquement tous les bâtiments que l'on rencontre depuis le port
jusqu'à  la Calle San Sebastian sont l'héritage de la colonisation
espagnole du XVème au XIXème siècle. La ville est très belle et les
compagnies de croisière l'ont compris : tout au long de l'année, de
gigantesques paquebots font escale au port de San Juan et déversent
leurs touristes en short et sandales vers les museos, iglesias et autres
plazas. Un paquebot transporte en moyenne 3000 passagers et fait le plus
souvent escale au port du jeudi au lundi. Jeudi soir, c'est aussi le
début des festivités étudiantes du week-end car les étudiants n'ont pas
cours le vendredi. Vous l'aurez compris, un des plus gros problèmes dans
Viejo San Juan, c'est le bruit.

Le bruit et la chaleur, j'ai eu du mal à  les supporter pendant cette
première semaine à  Porto Rico. Soit je trouve un poste de volontaire ici
dans les prochains jours, soit je tente le coup sur le continent o๠les
opportunités doivent être plus nombreuses. Sur mon ordinateur portable,
j'ai passé la semaine rédiger des lettres de motivation, des CV, à  trier
les infos ou préparer les coups de fil. Maintenant, j'aimerai bien, moi
aussi, profiter un peu du week-end. Alors, à  Bob, j'explique que non, je
n'ai pas trop envie, qu'il cherche quelqu'un d'autre. Je l'entends déjà 
brailler déjà  à  travers les rideaux de Mauricio à  l'étage du dessus,
quand soudain j'hésite. 10$ de l'heure ? De la charpente ? Plus de
folie, j'y vais.

Nous passons d'abord à  l'atelier pour débiter à  la scie circulaire des
lattes de bois qui serviront à  fixer des bâches plastiques dans la
maison. Puis, nous nous rendons Calle de la Luna avec une sableuse, un
ventilateur et les lattes. La maison est ouverte et Bob me présente le
maître des lieux. Lui, c'est Paco. Il porte un bermuda, comme les
touristes, et lace ses tennis. Moi, c'est Gaà«l, mais pour le moment, il
s'en soucis peu. Il faut avant tout démarrer le compresseur tout neuf
qu'il vient d'acheter. Apparemment, Paco et Bob ne sont pas d'accord sur
la façon de s'y prendre. Paco, le chef, décide et casse le compresseur.
Vu que le sablage était le seul boulot prévu pour aujourd'hui et que la
réparation prendra au moins une semaine, le plan de Bob tombe à  l'eau.
Trois, quatre bricoles et ma première journée de charpentier est
terminée. Deux heures chrono, Paco paye rubis sur l'ongle. Juste avant
que nous ne sortions, il nous invite à  une petite sauterie qu'il
organise ce soir dans une villa, Calle San Francisco.

La Plaza de Armas est le centre du Viejo San Juan. Bob, moi et Gregory,
son ouvrier habituel qui finalement s'est levé et nous a retrouvés ici,
buvons un café en terrasse. Bob est originaire de l'Oregon et on échange
quelques commentaires sur les tubes de laves que l'on trouve sur la côte
nord-ouest des USA. Gregory, lui, vient d'Aruba, l'une des trois îles
des Antilles néerlandaises, au nord du Venezuela. Il est du genre
cyclothymique et actuellement dans une phase basse, alors on ne se dit
pas grand chose. Alors que Bob me demande quel genre de vin ont produit
dans la région d'o๠je viens, un brouhaha nous interrompt : une longue
file de manifestants anti-guerre en Irak investie la place, musiques
orientales et pseudo danseuses du ventre en tête.

Si mes compagnons sont peu sensibles à  ces revendications, ce ne semble
pas être le cas de la beaucoup de Portoricains. Cette guerre vient à 
nouveau illustrer le statut ambigu que leur île au sein des Etats-Unis.
Porto Rico est officiellement un Etat Libre Associé, en gros un TOM qui
bénéficie bien des subsides de Washington depuis 100 ans en échange de
divers services tels que de la mise à  disposition de terrains pour des
bases militaires ou de soldats dans les conflits internationaux.
Aujourd'hui, alors que le monde entier prend position et se divise sur
la question de l'Irak, les Portoricains n'auront pas eu leur mot à  dire.
George Bush, leader du camp pro-guerre, a été élu lors d'une élection
présidentielle à  laquelle les portoricains, pourtant citoyens
américains, n'ont pas le droit de voter. Et l'ONU, o๠les gouvernements
anti-guerre se sont fait entendre du monde entier, ne donne la parole
lors de ses assemblées qu'aux représentants des nations indépendantes.
Oui, Porto Rico n'est qu'une colonie qui cache son nom. Chacun voit midi
à  sa porte, et je me dis, entre deux gorgés de café con leche, que tout
Français en Amérique que je suis, j'aurais pu plus mal choisir.

Les bras chargés de cartons, Paco traverse la Plaza, et nous rejoint.
Il a besoin d'un coup de main pour préparer la soirée. Comme notre
oisiveté est difficile à  dissimuler, nous acceptons et le suivons Calle
de San Francisco. En fait, la maison en question n'est pas la sienne et
ce n'est pas non plus lui qui organise la soirée. Il fait du business
avec une société de production qui tourne en ce moment un film dans le
Viejo San Juan. La belle maison blanche est louée par la prod et c'est
Matt, le chef décorateur qui invite cette fois. Entre l'installation de
bâches sur la terrasse, le remplissage des glacières et l'épluchage des
légumes, il m'explique son boulot dans l'équipe de Havana Nights, le
film en question. Il est new-yorkais et c'est la première fois, me
dit-il, qu'il travaille à  l'étranger. La gente et la comida lui
plaisent, mais ce qu'il retiendra, c'est la lumière partout présente
dans cette ville polychrome.

Je reviens calle de San Francisco, après m'être changé. En début de
soirée, les invités sont plutôt anglophones, surtout les membres de
l'équipe de tournage. Ils sont un peu en vacances ici alors on discute
de banalités, on pioche dans les dips ou la salade de crudités, on parle
de chez soi. Au bar à  cocktails, je fais la connaissance de Mele. Mele
est la portoricaine telle qu'on se l'imagine avant de poser le pied aux
Caraà¯bes. On ne saurait dire lesquels de ses ancêtres tainos, africains,
castillans, arabes ou corses lui ont transmis ses pommettes cuivrées,
ses yeux d'ébène, son sourire communicatif.

Elle reconnaît rapidement mon accent, je suis français. Elle a étudié un
an à  Paris et y a rencontré Nicolas, son copain. Il est actuellement en
France mais pendant les mois qu'il a passé ici, elle a eu l'occasion de
faire connaissance avec la communauté française de Porto Rico notamment
à  l'Alliance Française de San Juan :
« Il faut absolument que tu les rencontre, ils sont très sympas tu
verras. Je te présenterai. »

La conversation passe naturellement de l'anglais, qu'elle parle
parfaitement, à  l'espagnol, qui me revient au fil des verres. Il est
clair, cependant, que j'ai des progrès à  faire alors je lui demande
conseil. Je cherche un livre en espagnol, un roman captivant et si
possible qui se déroule dans les Caraà¯bes. Sans hésiter, Mele me parle
de La Fiesta del Chivo de Mario Vargas Llosa, l'histoire d'une trahison
sous la dictature de Trujillo dans les années 60, en République
Dominicaine, le voisin le plus proche de Porto Rico. Trujillo, Che
Guevara, Castro, sa faconde trahit son intérêt pour la politique.
« Tu as déja bu un Cuba Libre, je veux dire, un vrai ? »
Mele me ramene vers le bar et fait sa démonstration. Le Cuba Libre se
prépare avec du rhum Bacardi, le célèbre rhum cubain qui a fuit la
dictature castriste et dont les distilleries se sont réfugiées en
Floride et ici à  San Juan. Une poignée de glace pilée, une tranche de
citron vert et le reste de Coca-Cola, ultime symbole de la démocratie
américaine. Nous trinquons à  'Puerto Rico ' bien sà»r.

Les groupes continuent d'affluer et l'ambiance monte alors Mele appelle
sur leur portable deux amies à  elle. Quand celles-ci nous rejoignent, je
découvre un trio étonnant. Dans ce remake des Drôles de Dames, Mele est
la brune plutôt artiste, Sila l'avocate intellectuelle et Margarita, la
blonde mariée, BCBG, criolla dit-on ici. Les criollos sont les
portoricains de descendance directe espagnole, les 'sangre puro' selon
certains. Les journaux people publient les photos des ces soirées
élégantes à  la Casa de Espaà±a, o๠l'on célèbre les racines hispaniques
et des titres aristocratiques hors du réel. Malgré quatre siècles
d'émigration et de métissage, la société portoricaine connait toujours
une forte discrimination.

Comme Sila et Margarita me demande ce qui m'amène à  Porto Rico, je leur
explique mon projet de volontariat. Etonnamment, elles ne trouvent pas
cela particulièrement farfelu, ce qui me rassure. En fait, le mari de
Margarita est le président du Fidei Comiso, fondation portoricaine pour
la protection de la nature. Elle me propose de la rappeler la semaine
prochaine pour le rencontrer. Depuis une semaine que je suis arrivé sur
l'île, les propositions les plus diverses pleuvent :
- ce matin, Bob le charpentier
- hier, la propriétaire d'une galerie d'art charmée par mon accent
français et à  la recherche d'un vendeur pour ses tableaux européens
- jeudi, le numéro de téléphone d'un géographe, donné par le Département
des Ressources Naturelles
- deux candidatures bien parties pour des projets dans des réserves
naturelles
- et maintenant, le mari de Margarita

Alors que j'appréhendais cette première semaine de prospection, j'ai le
sentiment ce soir que tout est possible. l'Amérique ! Alors que le
Bacardi finit de me rendre euphorique, notre petit groupe décide de
finir la nuit dans un bar à  la mode du Viejo San Juan, le New-yorker.


Gael Brewal
Un autre regard sur le Monde. Faire découvrir.
Globe

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