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Porto Rico, par Brewal - Globe - Mer. 30 Avr. 2003 San Juan, Porto Rico, samedi 12 avril 2003. Il faut absolument que je trouve un ventilateur pour ma chambre. Même le matin, la chaleur est accablante. Alors que je suis allongé sur mon lit, en caleçon, lisant le supplément week-end du Nuevo Dia, Bob apparaît dans l'encadrement de ma porte grande ouverte : « J'ai du boulot pour toi si veux. » J'ai rencontré Bob cette semaine à El Jibarito, l'hôtel o๠je loue une chambre ; enfin, c'est plutôt lui qui s'est présenté à moi. Il est très yankee, spontané pourrait-on dire. Sinon, il est charpentier et habite ici à San Juan, depuis septembre dernier. Pourquoi, je ne l'ai pas encore compris. Ses yeux vitreux, son accent texan laissent peu de doute sur un passé alcoolique. Aujourd'hui, il ne touche plus une goutte d'alcool mais je devine qu'il est simplement tombé plus bas. Il connaît du monde dans le quartier, celui des puntos de droguas et des trafics divers du Viejo San Juan. La semaine dernière, un dealer de 25 ans a été tué dans la rue au nord de la notre, Calle San Sebastian : 17 balles dans le corps et une dizaine dans le plancher. Bref, Bob connaît du monde. « Des travaux de charpente, sur Calle de la Luna, toute la journée, 10 dollars de l'heure. Bien payé, non ? » Calle de la Luna est une rue juste au sud de la mienne, la Calle del Sol. C'est une rue résidentielle, avec de belles maisons coloniales très bien entretenues. Le quartier historique de San Juan, appelé Viejo San Juan, est cantonné à une très petite superficie, celle des remparts reliant les forts que les conquistadores construisirent pour défendre la baie des attaques des Anglais et des Hollandais. Il couvre à peine plus que l'Ile Saint-Louis, à Paris. Pratiquement tous les bâtiments que l'on rencontre depuis le port jusqu'à la Calle San Sebastian sont l'héritage de la colonisation espagnole du XVème au XIXème siècle. La ville est très belle et les compagnies de croisière l'ont compris : tout au long de l'année, de gigantesques paquebots font escale au port de San Juan et déversent leurs touristes en short et sandales vers les museos, iglesias et autres plazas. Un paquebot transporte en moyenne 3000 passagers et fait le plus souvent escale au port du jeudi au lundi. Jeudi soir, c'est aussi le début des festivités étudiantes du week-end car les étudiants n'ont pas cours le vendredi. Vous l'aurez compris, un des plus gros problèmes dans Viejo San Juan, c'est le bruit. Le bruit et la chaleur, j'ai eu du mal à les supporter pendant cette première semaine à Porto Rico. Soit je trouve un poste de volontaire ici dans les prochains jours, soit je tente le coup sur le continent o๠les opportunités doivent être plus nombreuses. Sur mon ordinateur portable, j'ai passé la semaine rédiger des lettres de motivation, des CV, à trier les infos ou préparer les coups de fil. Maintenant, j'aimerai bien, moi aussi, profiter un peu du week-end. Alors, à Bob, j'explique que non, je n'ai pas trop envie, qu'il cherche quelqu'un d'autre. Je l'entends déjà brailler déjà à travers les rideaux de Mauricio à l'étage du dessus, quand soudain j'hésite. 10$ de l'heure ? De la charpente ? Plus de folie, j'y vais. Nous passons d'abord à l'atelier pour débiter à la scie circulaire des lattes de bois qui serviront à fixer des bâches plastiques dans la maison. Puis, nous nous rendons Calle de la Luna avec une sableuse, un ventilateur et les lattes. La maison est ouverte et Bob me présente le maître des lieux. Lui, c'est Paco. Il porte un bermuda, comme les touristes, et lace ses tennis. Moi, c'est Gaà«l, mais pour le moment, il s'en soucis peu. Il faut avant tout démarrer le compresseur tout neuf qu'il vient d'acheter. Apparemment, Paco et Bob ne sont pas d'accord sur la façon de s'y prendre. Paco, le chef, décide et casse le compresseur. Vu que le sablage était le seul boulot prévu pour aujourd'hui et que la réparation prendra au moins une semaine, le plan de Bob tombe à l'eau. Trois, quatre bricoles et ma première journée de charpentier est terminée. Deux heures chrono, Paco paye rubis sur l'ongle. Juste avant que nous ne sortions, il nous invite à une petite sauterie qu'il organise ce soir dans une villa, Calle San Francisco. La Plaza de Armas est le centre du Viejo San Juan. Bob, moi et Gregory, son ouvrier habituel qui finalement s'est levé et nous a retrouvés ici, buvons un café en terrasse. Bob est originaire de l'Oregon et on échange quelques commentaires sur les tubes de laves que l'on trouve sur la côte nord-ouest des USA. Gregory, lui, vient d'Aruba, l'une des trois îles des Antilles néerlandaises, au nord du Venezuela. Il est du genre cyclothymique et actuellement dans une phase basse, alors on ne se dit pas grand chose. Alors que Bob me demande quel genre de vin ont produit dans la région d'o๠je viens, un brouhaha nous interrompt : une longue file de manifestants anti-guerre en Irak investie la place, musiques orientales et pseudo danseuses du ventre en tête. Si mes compagnons sont peu sensibles à ces revendications, ce ne semble pas être le cas de la beaucoup de Portoricains. Cette guerre vient à nouveau illustrer le statut ambigu que leur île au sein des Etats-Unis. Porto Rico est officiellement un Etat Libre Associé, en gros un TOM qui bénéficie bien des subsides de Washington depuis 100 ans en échange de divers services tels que de la mise à disposition de terrains pour des bases militaires ou de soldats dans les conflits internationaux. Aujourd'hui, alors que le monde entier prend position et se divise sur la question de l'Irak, les Portoricains n'auront pas eu leur mot à dire. George Bush, leader du camp pro-guerre, a été élu lors d'une élection présidentielle à laquelle les portoricains, pourtant citoyens américains, n'ont pas le droit de voter. Et l'ONU, o๠les gouvernements anti-guerre se sont fait entendre du monde entier, ne donne la parole lors de ses assemblées qu'aux représentants des nations indépendantes. Oui, Porto Rico n'est qu'une colonie qui cache son nom. Chacun voit midi à sa porte, et je me dis, entre deux gorgés de café con leche, que tout Français en Amérique que je suis, j'aurais pu plus mal choisir. Les bras chargés de cartons, Paco traverse la Plaza, et nous rejoint. Il a besoin d'un coup de main pour préparer la soirée. Comme notre oisiveté est difficile à dissimuler, nous acceptons et le suivons Calle de San Francisco. En fait, la maison en question n'est pas la sienne et ce n'est pas non plus lui qui organise la soirée. Il fait du business avec une société de production qui tourne en ce moment un film dans le Viejo San Juan. La belle maison blanche est louée par la prod et c'est Matt, le chef décorateur qui invite cette fois. Entre l'installation de bâches sur la terrasse, le remplissage des glacières et l'épluchage des légumes, il m'explique son boulot dans l'équipe de Havana Nights, le film en question. Il est new-yorkais et c'est la première fois, me dit-il, qu'il travaille à l'étranger. La gente et la comida lui plaisent, mais ce qu'il retiendra, c'est la lumière partout présente dans cette ville polychrome. Je reviens calle de San Francisco, après m'être changé. En début de soirée, les invités sont plutôt anglophones, surtout les membres de l'équipe de tournage. Ils sont un peu en vacances ici alors on discute de banalités, on pioche dans les dips ou la salade de crudités, on parle de chez soi. Au bar à cocktails, je fais la connaissance de Mele. Mele est la portoricaine telle qu'on se l'imagine avant de poser le pied aux Caraà¯bes. On ne saurait dire lesquels de ses ancêtres tainos, africains, castillans, arabes ou corses lui ont transmis ses pommettes cuivrées, ses yeux d'ébène, son sourire communicatif. Elle reconnaît rapidement mon accent, je suis français. Elle a étudié un an à Paris et y a rencontré Nicolas, son copain. Il est actuellement en France mais pendant les mois qu'il a passé ici, elle a eu l'occasion de faire connaissance avec la communauté française de Porto Rico notamment à l'Alliance Française de San Juan : « Il faut absolument que tu les rencontre, ils sont très sympas tu verras. Je te présenterai. » La conversation passe naturellement de l'anglais, qu'elle parle parfaitement, à l'espagnol, qui me revient au fil des verres. Il est clair, cependant, que j'ai des progrès à faire alors je lui demande conseil. Je cherche un livre en espagnol, un roman captivant et si possible qui se déroule dans les Caraà¯bes. Sans hésiter, Mele me parle de La Fiesta del Chivo de Mario Vargas Llosa, l'histoire d'une trahison sous la dictature de Trujillo dans les années 60, en République Dominicaine, le voisin le plus proche de Porto Rico. Trujillo, Che Guevara, Castro, sa faconde trahit son intérêt pour la politique. « Tu as déja bu un Cuba Libre, je veux dire, un vrai ? » Mele me ramene vers le bar et fait sa démonstration. Le Cuba Libre se prépare avec du rhum Bacardi, le célèbre rhum cubain qui a fuit la dictature castriste et dont les distilleries se sont réfugiées en Floride et ici à San Juan. Une poignée de glace pilée, une tranche de citron vert et le reste de Coca-Cola, ultime symbole de la démocratie américaine. Nous trinquons à 'Puerto Rico ' bien sà»r. Les groupes continuent d'affluer et l'ambiance monte alors Mele appelle sur leur portable deux amies à elle. Quand celles-ci nous rejoignent, je découvre un trio étonnant. Dans ce remake des Drôles de Dames, Mele est la brune plutôt artiste, Sila l'avocate intellectuelle et Margarita, la blonde mariée, BCBG, criolla dit-on ici. Les criollos sont les portoricains de descendance directe espagnole, les 'sangre puro' selon certains. Les journaux people publient les photos des ces soirées élégantes à la Casa de Espaà±a, o๠l'on célèbre les racines hispaniques et des titres aristocratiques hors du réel. Malgré quatre siècles d'émigration et de métissage, la société portoricaine connait toujours une forte discrimination. Comme Sila et Margarita me demande ce qui m'amène à Porto Rico, je leur explique mon projet de volontariat. Etonnamment, elles ne trouvent pas cela particulièrement farfelu, ce qui me rassure. En fait, le mari de Margarita est le président du Fidei Comiso, fondation portoricaine pour la protection de la nature. Elle me propose de la rappeler la semaine prochaine pour le rencontrer. Depuis une semaine que je suis arrivé sur l'île, les propositions les plus diverses pleuvent : - ce matin, Bob le charpentier - hier, la propriétaire d'une galerie d'art charmée par mon accent français et à la recherche d'un vendeur pour ses tableaux européens - jeudi, le numéro de téléphone d'un géographe, donné par le Département des Ressources Naturelles - deux candidatures bien parties pour des projets dans des réserves naturelles - et maintenant, le mari de Margarita Alors que j'appréhendais cette première semaine de prospection, j'ai le sentiment ce soir que tout est possible. l'Amérique ! Alors que le Bacardi finit de me rendre euphorique, notre petit groupe décide de finir la nuit dans un bar à la mode du Viejo San Juan, le New-yorker. Gael Brewal |