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On est au frais dans les catacombes
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L'Humanité - 04 Juillet 98

Têtes de morts


On est au frais dans les catacombes

FINALEMENT, les catacombes, c'est plus marrant. Même si on ne peut pas jouer au foot avec les crânes, lesquels sont collés entre eux, avec du plomb, comme des bridges dentaires. De dents d'ailleurs, ils n'en ont plus. La mort, sans vergogne, a tout boulotté ou presque.

En cet après-midi d'été, des hordes de touristes dévalent les 20 mètres d'escaliers en colimaçon. La descente est raide, l'humidité prégnante. En short, les bras nus, la peau brunie, ces visiteurs en bonne santé s'essayent à  gaillardement arpenter la patrie de ceux qui n'ont plus mal aux dents. Au début, on frissonne un peu. A la fin on se lasse. C'est toujours la même chose au fond (du trou). 'Une pelletée de terre et c'en est fini à  jamais', dit à  peu près Pascal. Un crâne, deux crânes, trois crânes - six millions au bas mot - des orbites creusées, des trous, des bosses. Pas folichon. Sauf à  méditer. Mais les mortels glissent sans appuyer. D'aucuns faucheraient volontiers une tête. Vanité bon marché. Mais là -haut, les gardiens veillent, ouvrent les sacs, comme au supermarché. Vigipirate?

Il faut remonter loin pour saisir la macabre comédie de ces anciennes carrières, dangers publics propices aux effondrements de terrain, qui s'improvisèrent cimetière souterrain à  la fin du XVIIIe siècle. Mieux, elles devinrent l'ossuaire de tous les cimetières parisiens qui fermèrent à  la pelle. A commencer par celui des Saints-Innocents, avec ses dix siècles de service (religieux), qui infecta littéralement la vie des habitants du quartier. On ne compte plus, dans les années 1870-1875, les plaintes des riverains, fort gênés par l'odeur épouvantable, ni les troubles du système nerveux engendrés par le méphitisme envahissant les caves voisines. Les morts, passé l'office, devinrent un danger. On exhuma donc, deux hivers et un automne durant. La terre fut hersée, labourée la nuit, à  la lumière de torches. On creusa plus de dix pieds d'épaisseur de terre infestée de débris de cadavres, on ouvrit quatre-vingt caveaux, une cinquantaine de fosses communes qui contenaient plus de vingt mille dépouilles avec leur bière. Le tout, transporté à  la brouette ou en charrette, fut jeté pêle-mêle dans les catacombes calcaires de la Tombe-Issoire. Bientôt, on disposa les restes dans le goà»t baroque des musées macabres de Rome et de Palerme. On croisa les tibias, on attacha les crânes en colliers. La littérature aussi eut son mot à  dire, Tacite en tête, ou Lamartine: 'Ils furent ce que nous sommes, poussière, jouet du vent. Fragiles comme des hommes, faibles comme le néant.' Et ceci encore: 'Silence, êtres mortels. Vaines grandeurs, silence.'

Ici encore, à  l'entrée de l'ossuaire, des artistes exposent leurs oeuvres. Actuellement c'est Jean-Yves Le Roy, un photographe qui s'intéresse, en noir et blanc, aux 'Eaux parisiennes - Eaux souterraines'. Il évoque la Seine, ses crues que mesure, de tout son haut corps de pierre, le Zouave du pont de l'Alma. En 1910, l'eau atteignit son poignet, en 1924 son coude, en 1955 son ventre, en 1945, son bas-ventre. Crue pour le moins indécente... Ce sont aussi des photos de la Bièvre - dont le nom d'une rue parisienne témoigne encore de la souterraine présence. Ce nom proviendrait des anciennes colonies de castors, 'befars' en celte, qui vivaient jadis le long de son cours. La Bièvre joua un grand rôle dans l'essor économique des quartiers sud de la capitale. On utilisait alors son eau, très pure, pour la table et sur ses rives proliféraient les activités artisanales et industrielles. Les blanchisseuses y lavaient le linge des Parisiens. En 1447, un teinturier du nom de Jehan Gobelin s'installa sur les berges pour y exploiter un nouveau procédé de teinture. Ses ateliers prirent de l'ampleur, baptisant ainsi tout un quartier. Sous Colbert, en 1662, la Bièvre rassembla les manufactures royales de tapisserie dirigées par Charles Le Brun. Peu à  peu, le cours se pollua. Le XIXe siècle attira d'autres activités industrielles. Des odeurs pestilentielles se dégagèrent des eaux. La Bièvre devint un égout à  ciel ouvert. On peut voir aussi l'aqueduc d'Arcueil, construction romaine du temps o๠Paris s'appelait encore Lutèce, le canal de l'Ourcq dont on dériva la rivière, afin de mieux irriguer parcs et fontaines publics, le curage plus satisfaisant des égouts et un accès fluvial par le biais d'un canal de dérivation. Intéressant aussi le paratonnerre inversé, dédié en Champagne-Ardenne à  Gaston Bachelard, en ces termes (les siens): 'Il est comme on le voit, des eaux qui ont l'épiderme sensible.'


SIGNATURE.

M. S.

Les Catacombes de Paris: 1, place Denfert Rochereau, 75014 Paris. Tél.: 01.43.22.47.63. Heures d'ouverture: tous les jours, sauf lundi et jours fériés. L'après-midi du mardi au vendredi de 14 heures à  16 heures. Le matin et l'après-midi samedi et dimanche, de 9 heures à  11 heures et de 14 heures à  16 heures. Durée du parcours, 45 minutes.

source :
<!-- m --><a class="postlink" href="http://www.humanite.presse.fr/journal/1998/1998-07/1998-07-04/1998-07-04-056.html">http://www.humanite.presse.fr/journal/1 ... 4-056.html</a><!-- m -->
--> Même pas mort mais déjà six pieds sous terre <--
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