A propos de l'homme en blanc pour ceux qui ne connaissent pas la génèse... :
Quâest-ce qui fait courir Jérome Mesnager et ses bonshommes en blanc? âLa vie est hyper-courteâ, lance Mesnager, dont la vie, à 33 ans, est déjà très remplie. Il est vrai quâil a toujours eu de la chance. Fils dâun ingénieur travaillant pour une écurie de voitures de course, il nâa jamais eu de problèmes matériels ou familiaux. Et il a fait très jeune des rencontres décisives: il a grandi dans un immeuble o๠vivait Le Boulâch, le plus célèbre des peintres de la rue, rédacteur en chef de la revue âChorusâ. Très jeune (il est né en 1961) il a assisté aux réunions de ce groupe dâartistes dont faisaient aussi partie Ernest Pignon-Ernest et Ben. âJe venais en curieux à leurs réunions: je me suis imprégné de cette atmosphère, de cet art... Tout gamin, jâai vu Ernest Pignon coller ses images de Rimbaud dans la rueâ...
Ce qui frappe chez Mesnager, c'esr sa jeunesse
Tout naturellement, pourrait-on dire, il a commencé à peindre lui aussi, à faire des BD. Et en 1974 il est entré à lâEcole Boulle, dont il est sorti au bout de 4 ans. Son diplôme dâébéniste en poche, il a fait des petits boulots, travaillant pour des artisans du Faubourg Saint-Antoine, et dessinant place du Tertre, à Montmartre... avant de devenir enseignant dans un LEP, donnant des leçons de menuiserie, puis des cours de dessin et dâhistoire de lâart. âMes élèves avaient 20 ans, moi je grandissais: ça mâa permis de garder le contact avec cet âge magique, de voir évoluer la jeunesseâ. Ce qui frappe le plus chez Mesnager, câest certainement sa jeunesse: à 33 ans, il conserve un air extraordinairement gamin; et câest sans doute cette extrême jeunesse dâallure qui lui permet de peindre ses bonshommes en blanc sur les murs sans se faire remarquer -- même à lâintérieur des musées (Beaubourg) -- et aussi son talent: il peint un bonhomme en quelques coups de pinceau, avant que lâon ait le temps de remarquer quoi que ce soit!
Mesnager a participé au mouvement de la Performance: il fallait créer une oeuvre dâart en direct, face au public. Au Portugal, en 1981, il a créé le âCorps Blancâ -- il se peignait tout le corps en blanc, dans une cour dâécole entourée de grillages quâil escaladait ensuite. Titre de son âoeuvreâ: Evasion! Il a fait ensuite dâautres performances, se peignant tout en rouge, à la Villette, pendant les travaux de destruction des anciens abattoirs... Il est lâun des fondateurs en 1982 de âZig-Zagâ, un groupe dâune dizaine de très jeunes artistes en âzig-zag dans la jungle des villesâ: ils avaient découvert la possibilité dâoccuper la rue, en dessinant des graffitis, et aussi dâoccuper brièvement, le temps dâune performance artistique, des usines désaffectées.
L'Homme en blanc
Et le 16 janvier 1983 il a inventé lâHomme en blanc qui recouvre maintenant les murs de Ménilmontant et de Belleville, le âCorps Blancâ, âun symbole de lumière, de force et de paixâ. Son corps blanc a eu un succès extraordinaire. Mesnager a beaucoup voyagé: à New York, o๠il a peint toute une palissade devant les gratte-ciel de Manhattan; en Chine, o๠il a peint son bonhomme blanc sur la Grande Muraille de Chine! Le Musée dâArt Moderne de Paris lui a acheté une palissade: âA 26 ans, être au musée, câest fou! Jâai pu vivre ma vie au grand jourâ...
Mesnager est tourmenté depuis toujours par le problème de tous les artistes -- le conflit entre lâart et la spéculation: âQuand la spéculation entre en jeu, ça fout tout en lâair! Ou lâon est nous-mêmes, et lâon affronte la société tout le temps; ou lâon nâest plus nous-mêmesâ... Il a été terriblement frappé par le suicide dâun de ses amis, le peintre Robert Malaval, en 1980. Câest pour échapper à ce dilemme quâil a âattaqué la rue... je me suis dit: je serai libre de tout circuit marchand! Dans la rue on peut faire de lâart pour les gens de notre époque, pour les passants comme pour les clochards...
Les marchands peuvent gratter les palissades ou les murs, ils nâobtiendront jamais que des écailles de peinture... La rue, ça ne peut pas être récupéré... La vraie peinture, câest le mur qui est derrièreâ!
Juste en face de la merveilleuse petite maison quâil a pu acheter à lâépoque heureuse de la ruée sur lâArt, sur les hauteurs de Ménilmontant, à proximité des barres dâHLM hideuses qui défigurent le quartier, Mesnager a depuis peu une boutique, o๠il expose et vend des T-shirts et des montres à lâimage de lâhomme en blanc; il vend aussi, beaucoup moins cher quâà la âbelle époqueâ, ses tableaux. Aujourdâhui, apparemment, Jérome Mesnager vit très bien le conflit entre le marché et lâArt: âLa Rue, câest le parent pauvre; mes tableaux nourrissent la rueâ.
Et il nâoublie pas la rue; il faut le voir marcher dâun pas rapide dans les rues de son quartier, suivi de ses deux enfants, un pinceau et un pot de peinture à la main, jalonnant son parcours de signes de piste -- des hommes en blanc peints en quelques secondes.
Jérome Mesnager ne cesse pas de laisser la marque de son passage sur les fenêtres et les murs des immeubles condamnés de Belleville et de Ménilmontant:âCâest mon travail de peintre: il ne faut pas attendre que jâaille saboter les pelles Poclain qui détruisent ces immeubles; ce serait stupide. Mon travail, câest dâagir sur la sensibilité: je sais très bien que ces immeubles, on ne pourra pas les sauver; on ne peut rien faire contre la spéculation immobilière, le monde qui nous entoure est très fort. Le plus bel hommage quâon puisse rendre à ces vieilles pierres, à ces vieilles planches, câest de leur donner le statut dâoeuvre dâart. Mon boulot, câest de faire de la poésie avec ce qui va disparaître... câest un art éphémère... je ne suis quâun artisteâ!
(inédit)