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Carnet de Route de Brewal 21/11/2002 Depart pour l'Amerique
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La Vallée de la Mort, tout le monde connaît ce nom terrifiant. Alors que
je m'apprête à  y entrer, rien de tel qu'une petite autopsie toponymique
pour relativiser les a priori funestes sur ce haut lieu.

Tout d'abord, il y a une correction de taille à  faire que je
transmettrai d'ailleurs au plus vite aux services en charge de
l'attribution des noms géographiques, le United States Geological
Survey. La 'Valley' n'en est pas une et il faut la rebaptiser au plus
vite le 'Graben de la Mort'. L'appât du gain et les apparences ne sont
sà»rement pas les seules choses qui gouvernent l'Amérique et je suis
persuadé que l'USGS abondera dans mon sens.
Une vallée est formée par l'érosion alors que dans la Death Valley ce
sont les forces tectoniques, par le jeu de deux plaques s'éloignant le
long d'une faille N-S, qui ont engendré le graben o๠se trouve
aujourd'hui la dépression la plus profonde du continent, -85m ainsi que
le record de température, +57°c.

La Mort ensuite... Combien de personnes, selon vous, sont mortes
d'épuisement ici avant que la vox populi ne baptise ce lieu merveilleux
d'un nom aussi austère ? Une. En 1849, lors de la plus fameuse ruée vers
l'or qu'ai connu la Californie, une caravane d'émigrants se perd dans
cette immense vallée reculée. Le calvaire va durer quatre longues
semaines avant qu'un des deux éclaireurs ne trouve une voie vers l'ouest
et ne sauve les 40 personnes de la caravane. L'autre éclaireur, lui, est
mort d'épuisement. Les accidents, ça arrive.

Donc, le 'Graben Périlleux', je comprends, mais la 'Vallée de la Mort',
allons, allons...

Avec une semaine devant moi, je viens dans la Death Valley pour trois
raisons : voir les canyons de l'Ouest américain, marcher dans le désert
et rechercher les anciennes mines qui ont fait les grands jours de la
région. Le parc est immense, 250*60 kilomètres et j'ai vraiment
l'embarras du choix. Apres 3 jours d'acclimatation passés à  remonter de
magnifiques canyons, me voici prêt pour ce qui m'a initialement attiré
ici, les souterrains abandonnés.

Dimanche 8 décembre :
Je redescends Bad Canyon o๠mon camp était installé ces derniers jours
et arrive à  la route à  9 heures du matin. Mon itinéraire à  pied commence
à  45 kilomètres plus au sud, et je compte y arriver en stop. La première
voiture est la bonne. Elle me déposera à  l'endroit précis indiqué par
mon GPS. Pendant le trajet, je fais connaissance avec mon bienfaiteur
matinal. Il a la soixantaine environ, se balade dans le parc et surtout
se repose de sa course d'hier, le marathon annuel de la Death Valley.
Encore quelque chose que je rate.

Une fois déposé, je me lance avec énergie dans la traversée de la
vallée, en l'occurrence le lit asséché de la rivière Amargosa puis je
m'attaque l'ascension lente de l'éventail, 'fan' en anglais. C'est un
énorme tas d'alluvions charriées par le canyon et repoussées sur le fond
de la vallée. Par le jeu de la tectonique locale, la plaque ouest
s'enfonce et les éventails y sont à  peine de 500m de long, alors qu'ici
a l'est, je vais remonter 13 kilomètres de gravier !
Etant parti de la route peu avant 10 heures, les heures chaudes de la
journée arrivent vite. De gros galets autour de moi semblent déjà  cuit
par le soleil. Leur surface est sombre comme du bronze, tannée comme la
peau d'un guetteur indien. Ce hâle est l'effet des oxydes de fer qui
déposent sur les pierres ce 'vernis du désert'. Il suffit de retourner
un bloc pour retrouver une couleur plus habituelle, grise mouchetée de
mica noir. Je découvre aussi d'autres phénomènes originaux dans le
désert, tel que le verre mauve. Apres de nombreuses années d'exposition
solaire, des bocaux ou des bouteilles prennent une teinte mauve par
réaction du manganèse contenu dans le verre. En fait, on n'utilise plus
de manganèse dans la fabrication du verre depuis près d'un siècle et
seules les pièces antérieures à  la première guerre mondiale virent au
mauve.

Courte pause casse-croà»te sous une parcelle d'ombre inespérée et je
repars, stimulé par l'impression que les portes du canyon se rapprochent
rapidement. Je franchis le portail de granit patiné de Warm Springs
Canyon (WSC) avec satisfaction, sachant le fond de la vallée a plus de
trois heures de marche derrière moi. Pourtant, quelque chose me
tracasse. Les avertissements de Duncan sur cette région un peu à  part me
reviennent à  l'esprit. Duncan est un de ces jeunes renards du désert qui
connaissent la Death Valley comme les anciens. Il prépare d'ailleurs un
bouquin sur ses coins préférés. Nous nous sommes rencontrés quand il m'a
pris en stop dans les premiers jours. Quand je lui ai dit que je
comptais aller dans Warm Springs Canyon et ses environs, il m'a raconté
ce que tout le monde sait ici mais qui n'est jamais dans les guides de
voyage. Le Canyon de Warm Springs et la vallée d'altitude Butte Valley
sont des lieux fréquentés depuis longtemps par des originaux. Aux
émigrants forty-niners et aux mineurs du XXième siècle ont succédé
d'autres drôles d'oiseaux plus ou moins mystiques. "La solitude, la
pureté et l'ascèse dans le désert attirent plus de cinglés que tu ne
peux le croire, alors là -haut, méfie-toi des rencontres que tu feras."

Le plus célèbre d'entre eux fut Charles Manson, tueur en série et gourou
des années 60. Sa traque laborieuse se termina dans son repaire, au fond
d'un petit canyon voisin. Je n'en sais pas beaucoup plus mais le type
avait apparemment une certaine philosophie dont les adeptes rodent
encore dans Warm Springs Canyon. Pas des tueurs eux, a priori.
Dans un style plus décontracté, plusieurs communautés hippies des années
70 se sont établies autour des sources avoisinantes mais se font rares
aujourd'hui que les rangers les empêchent de rester vivre dans le parc
lui-même.
Plus récemment, il y a eu la disparition des quatre Allemands. Peu
d'éléments sur ce qui reste encore un mystère. Une piste remonte sur
tout son long Warm Springs Canyon et se termine finalement dans le haut
d'Anvil Canyon, juste au sud d'ici. C'est dans ce lieu envahi d'un
maquis inextricable que l'on a retrouvé un mini-van VW orange avec trois
de ses pneus en lambeaux, quatre sac à  dos et rien d'autre. Accident,
suicide, bad trip, mafia de Las Vegas. les corps n'ont jamais été
retrouvés.

A point nommé pour me changer les idées, je découvre sur ma droite une
première carrière de talc. Bien que de nombreux minerais aient été
exploité dans ce canyon, pour extraire nitrates, or, argent, fluorite et
plomb, c'est le talc qui déclenchera son véritable essor dans les années
30. Je sais que les plus importantes carrières sont plus haut, autour de
la source, je ne résiste pas à  une rapide visite du tunnel. Beau talc,
très blanc, feuilleté et fragile, mais le tunnel s'arrête presque de
suite. Je repars pour une heure trente de marche, passe devant les
entrées de Big Talc, WS5, devant l'impressionnante exploitation à  ciel
ouvert de WS Mine mais sans m'arrêter cette fois.

Derrière une colline de granit ébouleux, j'aperçois les arbres de Warm
Springs. De beaux et grands arbres, cotonwoods et peupliers de Frémont,
blottis contre une anfractuosité de la rive droite et qui cachent dans
l'ombre quelques bâtiments. Je m'approche en cherchant a savoir si des
gens habitent encore là , mais je découvre vite que ce ne sont que des
maisons d'ouvriers abandonnées depuis 20 ans. Ma deuxième préoccupation
est de voir de mes propres yeux cette fameuse eau chaude. Je me fraye un
chemin entre les branches basses de yuccas et d'arbustes aux feuilles
larges et brillantes et accède a un joli petit ruisseau qui descend d'un
petit canyon étroit. Bien que l'endroit ait été décrit avec fidélité
dans un de mes livres, je n'imaginais pas ces Warm Springs aussi belles,
fraîches, calmes. C'est une oasis comme on en rêve. Juste en amont du
ruisseau, à  100 mètres a peine, l'eau sourd du rocher à  30°c environ et
rempli une baignoire naturelle. Je ne résiste pas au plaisir délicieux
de me laisser flotter dans ces eaux thermales.

Edward Abbey consacre un chapitre de son chef d'ouvre "Désert Solitaire"
aux eaux du désert et en particulier aux eaux empoisonnées. En effet,
toutes les sources du désert américain ne sont pas aussi pures que
celles de Warm Springs. On repère les eaux riches en soufre à  leur
odeur, mais pour celles qui contiennent de l'arsenic ou de la sélénite
(gypse), seule la quasi absence de vie végétale et animale pourra vous
sauver de l'empoisonnement. Il raconte aussi comment un cow-boy sur le
point de mourir de soif a survécu en buvant de l'eau contenant de
l'arsenic. Il l'a mélangée dans son bidon avec le charbon de son feu de
camp. L'eau a ainsi été plus ou moins filtrée, l'a quand même rendu
malade comme un chien mais, finalement, lui a sauvé la vie.

Faisant le tour du camp en fin d'après-midi, je repasse devant le porche
de la mine la plus proche, White Point. Le tunnel est très large, 8
mètres sur 8 et s'enfonce par une forte pente sous terre. Hélas, son
entrée est fermée par une grille à  faire pâlir un cataphile. Enormes
barreaux, soudures généreuses, cadre fait de gros madriers et sans le
moindre interstice exploitable. Au sol, des gros blocs de béton, comme
ceux utilisés pour les bordures de trottoir, ont été fixés au sol par
des barres à  mine plantées de tout leur long dans la roche. Humhum. la
Death Valley aurait-elle raison de mes pulsions cataphiles les plus
vives ?

Je regarde à  nouveau cette grille aux barreaux horizontaux et un
souvenir similaire de revient à  l'esprit. Alors qu'avec le groupe
Ktabreizh nous explorions une ancienne ardoisière et ses bâtiments
désaffectés, une porte plus solide que les autres et des barreaux au
fenêtres nous ont empêché pendant quelques minutes de visiter un hangar.
Et puis l'un d'entre nous, plus mince que la moyenne, a essayé de passer
entre les barreaux. Epaule, bassin, torse et finalement tête passent
plus facilement que prévu. Je le suis et passe de même, comme la plupart
du groupe d'ailleurs.

Ne pas se fier aux apparences, donc. Je remarque alors qu'à  mi-hauteur
du porche, l'espace entre les barreaux est un peu plus important. Je
grimpe jusque là , passe mes jambes à  travers la grille et les pose sur
les barres elles-mêmes. En équilibre précaire, je me tortille et, hop,
le bassin passe. Je me glisse sur le dos, la cage thoracique aussi se
retrouve de l'autre côté. Dernières contorsions et c'est la tête qui
suit. Debout dans le filet d'air qui sort de la carrière, je regarde
avec fierté cette grille maintenant en ombre chinoise. Regarder le monde
extérieur depuis les mystérieuses profondeurs après une entrée réussie,
c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau dans ces explorations. Assuré
de ne plus avoir d'obstacle à  la visite de cette carrière, je rentre
préparer mon repas.

Je reviens sur les lieux vers 19 heures pour White Point et
éventuellement Big Talc plus tard dans la soirée. White Point suit la
lentille de talc en un plan incliné a 30° environ. Deux galeries se
séparent d'abord, développent des excavations perpendiculaires et se
rejoignent plus en profondeur. Le talc prend ici des formes très variées
selon les zones de contact. Il est tour à  tour opaque, brillant,
poudreux, feuilleté, blanc comme du kaolin ou de la craie, vert pâle.
Les galeries larges et haute exploitée sans étais de bois datent des
années 70 et 80, à  la toute fin de l'exploitation du talc dans le Parc.
Le National Parc Service a d'ailleurs officiellement racheté ces
carrières en 1992 et a donné fin à  un paradoxe écologique par lequel des
mines étaient exploitées dans ce lieu protégé depuis 1933. Je passe
devant du matériel d'extraction d'air et découvre au fond les rives d'un
lac souterrains aux eaux bleues cristallines. Même dans le désert, la
nappe phréatique n'est pas bien loin de la surface.

De retour à  l'extérieur, je descend le canyon vers deux autres carrières
qui se rejoignent sous terre, Big Talc et WS#5. Les deux entrées
principales sont malheureusement obstruées par d'énormes tas de remblais
déposés par des camions. Au dessus de celle de Big Talc, un tunnel
secondaire donne sur un puits descendant qui communique probablement
avec le réseau principal. Mais il me faudrait un corde pour descendre
les 8 mètres de verticale. A WS#5, je trouve aussi un accès supérieur
secondaire dans lequel j'entre par une confortable chatière. A
l'intérieur hélas, la galerie en bonne état sur les 100 premiers mètres
est éboulée sur la suite. Je grimpe sur des blocs et aperçois une suite
en crapahutant sur 50m.

Espérant rejoindre la carrière d'en bas, je m'y faufile. Descente très
étroite en oblique, sur des blocs instables au point que, quand
j'effleure le plafond, un morceau de talc me tombe dessus. Petit
heureusement, mais bon, ambiance. Nouvelle étroiture. Je pose mon
blouson et mon livre et poursuis en chemise et lampe à  LED. Au milieu du
boyau, un gros bloc obstrue le passage. On peut passer par le dessus
mais échaudé par les frottements au ciel, j'opte pour le dessous.
Nombreuses contorsions, mes tibias sont trop longs pour passer. Je
pousse pour remonter de l'autre côté, je fais attention à  ne pas
m'agripper aux éboulis qui m'entourent pour qu'ils ne viennent pas
encombrer davantage le passage ou mon basin et mes jambes doivent
sortir.

La situation est tendue mais pas désespérée. Je souffle. Au fond d'une
galerie de talc o๠même un chien rechignerait à  venir me chercher, dans
un canyon o๠je n'ai vu personne de la journée, avec ma petite lampe
faiblarde, j'essaye de me relaxer. Voyons les choses d'un point de vue
purement technique. Imaginez que vous êtes mis en tête, un pari stupide
de plus, de passer entre le mur et la cuvette des toilettes. Déjà  qu'il
n'y a pas beaucoup de place dans des toilettes... C'est un peu la
position o๠je me trouve actuellement. Après des contorsions et
expirations dont j'ai le secret, je parviens à  m'extraire d'en dessous
de ce bloc maudit. La suite est du même acabit. Ce mauvais état est
étonnant surtout au vu du début de cette même galerie et d'autres
proches, en parfait état et sans avoir été particulièrement consolidées.
Je comprends alors que toute cette section a probablement été dynamitée
intentionnellement.

Je rebrousse chemin, déçu de n'avoir trouvé, cette fois d'accès vers Big
Talc. La carrière pourtant s'annonçait prometteuse. Exploitation par
piliers tournés, la plus grande de la Death Valley, 16 kilomètres de
développement ! Alors que je ressort à  l'extérieur, poussiéreux comme un
meunier, la lune s'est levée et m'éclaire d'un large croissant. En guise
de somnifère, je prends trois quarts d'heure de marche pour rentrer au
camp et m'effondre sur mon tapis de sol.

Après l'adrénaline des canyons et des mines, le franchissement des dunes
de sable et des pierriers durant les jours suivants sera lui aussi
folklorique.

Finalement, à  propos de cette "Vallée de la Mort", oubliez ce que je
disait au début. C'est très bien comme ça.

BREWAL
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