Carnet de Route de Brewal 21/11/2002 Depart pour l'Amerique - Version imprimable +- CKZone (https://ckzone.org) +-- Forum : Camp de base (https://ckzone.org/forum-3.html) +--- Forum : Carnets de Voyage (https://ckzone.org/forum-9.html) +--- Sujet : Carnet de Route de Brewal 21/11/2002 Depart pour l'Amerique (/thread-331.html) |
Carnet de Route de Brewal 21/11/2002 Depart pour l'Amerique - Globe - Mer. 04 Dec. 2002 21 novembre 2002 Depart pour l'Amerique profonde cette nuit. Mon bus part pour Garberville. Arrivee au coeur de la nuit, a 3 heures du matin. Il n'y a pas de gare routiere a Garberville, alors on me debarque au Flying Salmon, resto routier, ferme a cette heure. Pour passer les quelques heures de sommeil aui me manquent encore, je pars a la recherche d'un petit bosquet ou planter ma tente. La brume est dense sur le village, surement a cause de la proximite de la riviere Eel. Alors que je m'aventure au petit bonheur dans une ruelle peripherique, deux chiens m'aboient dessus. La proprio sort et me braille dessus: "Vous allez ou comme ca a cette heure-ci ? Hein ?" Je prends quelques minutes pour lui expliquer mon cas. Alors, un peu rassuree, elle m'invite a entrer chez elle pour continuer la conversation devant un cafe. Carrie est une ancienne hippie bien paumee. Son chez-elle est un peu miteux, mais elle a encore la foi : poster, encens, musique indienne. Des les premieres minutes, elle est enchantee par notre rencontre. On parle Europe, Bretagne, elle se souvient meme d'un chanteur celtique... Alan Stivell, oui, c'est ca ! La nuit avance alors elle me propose de rester dormir dans la chambre d'ami. J'y dors 2-3 heures et a mon reveil, Carrie est deja debout. Elle ecoute la radio locale car une interview qu'on a fait d'elle doit bientot etre diffusee. Elle y presente une dame qui depuis 10 ans offre des repas gratuits aux pauvres du comte, et propose sa candidature au titre de citoyen d'honneur 2003. Apres le petit dej, Carrie me demande, en echange de la nuit, un service. Elle a besoin de moi pour un travail d'homme. Comme beaucoup de personnes a Garberville, elle se chauffe au bois. La region est tres boisee et l'abbattage de bois et la principale activite economique. Des chenes, des sequoias. Pourtant, le bois de chauffage se vend cher : 250 dollars la corde (1,2*1,2*2,4 metres). Carrie en consomme trois par hiver, mais comme elle est aidee par les organisations carritatives locales, on lui a offert son bois. Par contre, il a ete livre, en l'etat, c'est a dire en rondins. Pour entrer dans le poele, il faut en faire du "squaw wood", du petit bois. Il est 8:30 et je m'y colle. Comme Charles Engels, je coupe du bois devant le petite maison... Une heure plus tard, un peu de transpiration et quelques cloques aux mains, j'ai reussi a debiter une bonne corde. Carrie est contente de mon travail. Devant un the, je lui demande quelques infos sur la region et les habitants : "Tous des sauvages !". Des hillbillies, par exemple, il y en a plein. Ceux qui ne sont jamais sortis de leur vallee, les consanguins, quoi. No tresspassing, ils ont la gachette facile... Et les autres, c'est pas mieux, des hippies ! Comme elle, ils sont venus s'installer ici il y a 30-40 ans. Apres avoir divorce d'avec son mari, obscur manager des Grateful Dead, elle a pu s'acheter cette maison avec le pactole. Depuis elle est + ou - sous tutelle ou aidee financierement par un ami. Les autres hippies, eux, sont le plus souvent venus ici, a 350kms au Nord de San Francisco, pour trouver un petit coin de nature ideal pour faire pousser de la marijuana. Et sur leur propriete, c'est comme chez les hillbillies, NO TRESPASSING. A midi, je quitte Garberville en stop. Mike, un jeune californien du coin m'explique les particilarites du climat local qui rendent l'herbe ici plus verte qu'ailleurs. Les vents du Paficique sont assez puissants pour atteindre cette region pourtant a 100 kms dans les terre, mais les montagnes qui la separent de la mer lui retirent toute son humidite. Beaucoup de soleil, des hautes temperatures en ete, ideal pour la sinsemillia. Des connaissances de Carrie en recoltent jusqu'a 80 kgs par an et les revendent a 4000 dollars le kg. Alors l'annee derniere, elle a essayer d'en cultiver un peu dans son jardin, mais dans lors d'une soiree bien arrosee, elle l'a aussi braille sur les toits. Le lendemain, la police est venu chez elle et, comme elle n'a pas de prescription medicale, ils l'ont bouclee pour quelques jours. Mike, lui, a une prescription. Il l'a demande a un medecin complaisant, comme bcq de gens le font dans cette region du nord de la Californie. En effet, dans cet Etat, on peut se faire prescrire du canabis pour raison medicale et endetenir sur soi jusqu'a 500 grames (d'herbe) ! Mike insiste pour m'en offrir quelques tetes et des feuiles a rouler, " So you know the real taste of California !" Lui va dans l'Oregon, ou il a cree une entreprise de pipes a eau en verre. Il en fait de toutes sortes, mais en ce moment, il travail sur son dernier modele, un systeme qui grace a l'eau et la gravite pousse litteralement la fumee dans les poumons. Revolutionnaire, d'apres lui. Il va bientot ouvrir un site internet pour les vendre, car jusqu'ici il les commercialisent surtout a San Francisco et ici a Garberville lors du festival annuel de Reggae, le long de la riviere Eel. Apres quelques dizaines de miles, nous arrivons dans le Humbolt Redwood State Park. Des sequoias de plus en plus impressionants couvrent les montagnes a perte de vue. L'ecorce du sequoia, de plus de trente centimetres d'epaisseur repousse les insectes parasites grace a ses proprietes chimiques : une tres forte concentration en tanins. Un ami de Mike a cree une entreprise de vetements exclusivement fait en chanvre et utilise justement cette ecorce de 'redwood' pour teindre de facon traditionelle les vetements. Trente ans apres, il ya toujours ici des maisons bleues adossees a la coline. ------------- Gael Brewal ------------- Brewal le 25 novembre 2002 - Globe - Sam. 14 Dec. 2002 25 novembre 2002 1er jour : Le soleil vient de disparaitre derriere le col qui separe Deer Mountain de The Whaleback. Installe sur une crete a quelques kilometres a l'Est, j'assiste, contemplatif, a la tombee de la nuit. En contrebas, dans la petite vallee, les herbes rousses, sequelles de la secheresse exceptionnelle de l'ete dernier, laissent entrevoir les longs meandres noirs de la Butte Creek. Le ciel sans nuage s'assombri rapidement. La nuit s'annonce fraiche. Apres avoir installe ma tente, j'allume le feu. Sous les grands pins ponderosa qui m'entourent, ce n'est pas le bois mort qui manque, alors j'elargi encore le foyer : une partie pour les flammes, l'autre pour les braises et la cuisine. Ce soir, je me prepare une sauce bolognaise avec de la vraie viande, s'il vous plait. Il est presque impensable d'emporter avec soi en randonnee de la viande crue - conservation, poids ; par contre, en cuisant a l'avance et meme en deshydratant au mieux de la viande hachee, des morceaux de poulet ou des lardons, on peut facilement emporter pour une semaine de proteines. J'ai definitivement adopte cette technique que Timo, Finlandais randonneur et bon vivant, m'a montre un jour. C'est mon premier jour de randonnee dans les Cascades, un massif montagneux du NE de la Californie ou les paysages volcaniques les plus varies se succedent d'une vallee a l'autre. Pour profiter au mieux de cette region entierement comprise dans des parcs naturels (Klamath et Shasta National Forest), je me suis decide a la traverser a pied sur environ 80 kms. Il m'a ete difficile de trouver une carte topographique de la region. En allant au QG de l'IGN local, en grande banlieue de San Francisco, j'ai quand meme pu obtenir une carte 1:100 000, imprecise et datant de 1979, mais suffisante cependant. Mon itineraire part des contreforts du Mont Shasta, majestueux volcan de 4700m d'altitude, traverse des forets parsemees de champs de laves basaltiques, descend dans la caldera de Medecine Lake avant de se terminer au "Lava Beds National Park". C'est avant tout ce parc qui m'a attire dans cette region. On y a recence plus de 400 grottres formees par la lave, un type de cavites que je n'ai encore jamais vu, mais qui est loin d'etre rare. On en rencontre au Kenya, en Coree, aux Canaries, les plus spectaculaires etant celles de Hawai ou le plus grand tube a un developpement de 65 kms et une profondeur de 1100 m ! Ici, aux Lava Beds, il suffit de se prommener au milieu des effondrements pour trouver un acces au canal principal. Les galeries ont en general un diametre confortable allant jusqu'a 10m de large. La lave solidifiee a fige la fluidite initiale du magma : vaguelettes au sol, lignes de niveau, affluents, piliers et balcons, stalagtites de lave et paroies fondues. Meme des glacieres se cachent dans ces cavites. Apres quelques visites de tubes, les plus temeraires des vulcanospeleologues peuvent alors aller visiter le joyau du parc : Catacombs' Cave et son reseau labyrinthique de 2100m de developpement. Je suis impatient de voir ca. Cette premiere journee s'est finalement bien deroulee. J'aprehendais un peu le passage a gue de la Butte Creek parce qu'il n'est jamais evident d'entreprendre ces traversees glaciales, pieds nus et charge comme un mulet. En fait, une tempete benefique a recemment sevi sur la vallee et a renverse plusieurs troncs en travers de la riviere. J'ai donc pu la franchir en faisant l'equilibriste. 2eme jour : Aujourd'hui, j'ai plus de denivellee devant moi. D'abord, je descend vers le village isole de Tennant. Azimut 95 degres. Les sauges touffus et la lave acceree rendent la progression difficile dans la descente. Alors que j'observe des sitelles americaines finalement presque identiques a celles d'Europe, des oies passent en caquetant dans le ciel et poursuivent vers le Sud. C'est une bonne surprise car je ne m'attendait pas a voir des migrateurs aussi tard dans la saison. Apres avoir fait le plein d'eau chez un viel homme qui habite a l'exterieur de Tennant, je repars vers la foret en direction de Squaw Peak. Je me perd pendant pres de trois heures ou les sentiers vont partout sauf a Squaw Peak, le GPS n'y fera rien ! Apres etre parvenu a sortir de la zone maudite, je passe pres de Glass Mountain. Ce volcan est le principal gisement d'obsidienne de la region mais a surtout projette des morceaux de pierre ponce sur toute cette zone. Il suffit que je me penche pour en ramasser. J'apprendai plus tard que la pierre ponce, seule roche qui flotte, est de meme composition chimique que l'obsidienne, roche vitreuse, mais qu'elle a simplement refroidi beaucoup plus doucement permettant ainsi la formation de bulles de gaz. Un peu comme de la pate a pain. Il est maintenant 16:30. Il fera nuit dans moins d'une heure, et il devient evident que je n'arriverais pas ce soir a Squaw Peak. Je me resouds a poser le camp ici, entre deux congeres. A 2100m, le froid devient de plus en plus mordant, au point qu'en montant ma tente, les deux armatures en aluminium du dome craquent puis cassent. Avec une branche de pin, j'improvise un montage "canadienne" pour ne pas avoir a dormir sous les etoiles par -5 degres C. 3eme Jour : Je dois passe a Medecine Lake pour faire le plein d'eau et poursuivre au Nord jusqu'a Fourmile Hill ; ca me fera une longue journee de 25-28 kms compte tenu du petit retard d'hier. J'avance assez vite d'abord car je parviens a n'emprunter que des pistes de motos neige dont la saison n'a pas encore commencee bien que tout au dessus de 1800m soit deja enneige. C'est une neige d'il y a quelques semaines, durcie en surface ma qui ramolie et fond au fur et a mesure de la journee. La fin de l'apres-midi est difficile car la croute cede systematiquement sous mes pas. Des raquettes ne seraient pas un luxe. Medecine Lake qui s'est forme au centre d'une caldera, un cone volcanique effondre sur lui-meme., Si en ete l'endroit doit fourmiller de randonneurs et de pic-niqueurs, il est aujourd'hui comme je l'imaginais en regardant la carte, completement desert. Alors que je remonte vers le sentier avec mes deux litres d'eau, un grand oiseau s'envole du haut d'un pin a 50 metres de moi. Un vol lourd et puissant, un corps brun fonce, la tete et la queue blanche, c'est un aigle chauve. Ils sont assez nombreux a hiberner dans la region, parait-il, en particulier un peu plus au Nord, autour de Tulelake. En sortant de la caldera en direction de Foumile Hill, la marche devient de + en + penible. J'ai les pieds froids et mouilles, mais surtout a chaque fois que la croute de neige cede sous mes pas, mon talon s'enfonce brutalement ce qui, a force, provoquera une tendinite qui m'embetera pendant plus d'une semaine. Deux kms plus loin, la piste croise une route en terre. A peine y ai-je pose les pieds que j'entends se rapprocher un bourdonement de moteur, celui d'un vehicule a chenilles, une 'auto neige' de chantier, en gros. En me voyant sur le bord de la route, le chauffeur debraye et sort de sa cabine. Je lui raconte mon histoire en 2 mots mais comme il semble curieux d'en savoir davantage, il me propose de m'avancer de quelques kms. J'accepte avec plaisir. Le type s'appelle Dave et travail pour une societe de forages experimentaux pour exploiter les eaux geothermales de la region. Un organisme independant a recemment donne un avis negatif quant aux impacts de l'activite sur l'environnement dans ce parc naturel, mais la societe poursuit ses travaux en attendant de trouver un terrain d'entente. Apres 4 kms, Dave me depose a une altitude ou la neige a presque completement fondue. Lecture passionnee de Edward Abbey au coin du feu pour courroner la journee. 4eme jour : En fin de matinee, j'entre enfin dans les limites du parc national. Sur ma gauche, je depasse un cratere de 60 metres de diametre, celui-la meme qui a deverse toute la lave des Lava Beds. Plus bas, la 'Hidden Valley', en fait un large reseau effondre qui forme aujourd'hui un pseudo canyon dans ce paysage ou le ruisselement de surface n'existe presque pas. A l'horizon, une large plaine d'herbes jaunes et de roseau se deroule jusque tout au loin, au Tulelake. Je devale d'un bon pas les derniers kms qui me separent encore du camping. Derriere Crescent Butte, un cone de cendres beant devant moi, je trouverai la cabane des rangers des Lava Beds. Une bonne douche, un solide dejeuner et une longue sieste, voila tout ce dont je reve maintenant. Les grottes attendront ! BREWAL Des nouvelles : Stop ! - Globe - Lun. 16 Dec. 2002 C'etait l'age d'or de l'autostop et je n'etais pas encore ne. On partait "Sur la route", en Lozere, a Istanbul, San Francisco ou Katmandou. C'etait l'esprit beatnick, hippie et les automobilistes comprenaient ca. Depuis, le conducteur est rentre dans sa coquille de metal, effraye peut etre par les junkies, la racaille ou les serial-killers. Le stop, ca ne se fait plus, c'est fini. C'est dans ces conditions que j'ai commence a voyager en Europe, en autostop. Plutot difficle, donc, mais la gratuitee et le temps devant soi compensaient largement l'effort du premier pas. Paris, la Catalogne, l'Allemagne, l'Irlande. Beaucoup d'attente, tellement meme qu'avec Christophe G, entre lacs et forets finlandais, nous avions invente un indice de qualite de la route, le car-per-minute. L'ideal etait alors un CPM de 5 a 10 ; nous etions sur d'etre pris dans le quart d'heure qui suivait, et ca marchait. Notre indice, pourtant s'est vite avere limite. Comme la physique de Newton, en tendant vers l'infiniment grand, les theories et techniques du stop changeaient radicalement. Ainsi, sur l'autoroute, on ne fait pas le pied de grue, mais on demarche sur le parking ou au peage ; rien a voir. Et bizarrement vers l'infiniment petit, les probabilites s'affolent et le taux de reussite tend vers les 100 pour 100. 5 decembre 80kms au Nord de Baker, Desert de Mojave, Californie. C'est un simple carrefour, trace au goudon au milieu de la poussiere, une 'junction' comme disent les gens ici. Rien que du caillou et du sable a l'horizon, Las Vegas sans les casinos. Un routier qui allait charger sa benne de colemanite a la mine, m'a depose ici et depuis 45 minutes, je ne vois rien venir... que le ciel qui bleuoit et les dunes qui jaunoient. Vrombissements, un mobile-home passe la coline. Il se lance avec elan dans la descente, mais je tente de le faire s'arreter. Avant meme d'etre arrive a ma hauteur, le bahut freine lourdement et fait crisser le gravier jusqu'a quelques metres apres moi. Cela faisait quelques annes que je ne voyageais plus en stop. C'est tellement plus facile et sur de louer une voiture, de prendre le train, le bateau ou meme le camion a bestiaux. Mais ici en Californie, je comptais tracer de longues diagonales et le prix du bus Greyhound n'est pas celui du collectivo de Caracas ou du tuktuk de Vientiane. Alors je me suis remis au stop, par necessite, comme toujours. Les fameuses lois du stop me sont rapidement revenues. La tenue d'abord. C'est pas le tout de jouer au grunge sur le bord des routes, il s'agit de ne pas y rester jusqu'a la nuit. Alors, on aoptera a propos LA tenue de l'autostoppeur. Le Tshirt-blanc etant le must, " Il doit pas etre trop sale s'il porte un TShirt blanc...", des vetements clairs conviennent aussi. Pas de khaki, de brun, de terne. Pour mettre en confiance, il en est de meme des lunettes de soleil, a proscrire. Qui donc voudrait s'arreter pour un individu qui a surement quelque chose a dissimuler ? Alors, quand le soleil est de face, on optera pour la casquette. Ici, pays du base-ball, elle mettrait meme les gens plus a l'aise. Pres de soi, un gros sac a dos fait comprendre qu'on est un vrai voyageur, un routard et pas un alcoolique en suspention de permis. Pour ce qui est du nom de la destination inscrit sur un carton, c'est davantage un passe temps pour le stoppeur qui vient de s'installer qu'une necessite. L'attitude ensuite. Le stoppeur se postera a son avantage quelques metres en avant de son sac, debout bien sur, mais pas non plus au garde-a-vous. Il est de bon ton d'afficher un port decontracte, pouce tendu certes, mais bras legerement flechi, buste de trois-quart face. Un air desespere, des grands mouvements de bras ne donnent rien de bon. La voiture approche. On sourit, avec les dents sinon le conducteur n'en verra rien. Les premiers jours, ce sourire risque d'etre un peu crispe mais rapidement il deviendra spontane et sincere. Donner ce gage de bonne humeur au chauffeur est peut-etre le parametre qui vous epargnera le plus d'heure sur le bord des routes. La voiture passe maintenant a votre niveau. Par un leger pivot du corps, on accompagnera son passage, une subtile veronique que vous fermerez en plantant avec talent votre regard dans celui de l'automobiliste. Yeux dans les yeux, c'est a ce moment crucial que l'on conquerira, ou non, la confiance et la sympathie de l'autre. Toutes vos cartes sont etalees, on passe la main. Leurs monospace est trop charge, elle n'a pas le temps, il n'a pas la tete a ca : la voiture passe. A chacun son attitude pour dire non. Le fuyard, commun, vous evitera du regard comme si vous n'etiez qu'une miserable creuvure sur le bord de la route. L'agressif, rare, vous tendra son majeur ou fera meme semblant de s'arreter "pour se marrer avec les potes". Le manipulateur, occasionel, pretendra tourner au prochain carrefour. L'assertif lui, a l'aise dans ses baskettes, vous rendra quand meme un sourire d'encouragement ou un bonjour de la main. Mais, des fois, la voiture s'arretera. Avec tous mes efforts developpes en merchandising de l'autostop, me dis-je, c'est un juste retour des choses. Pourtant, ce ne sont pas mes quelques combines qui m'auront donnees des superpouvoirs telekinesiques. Je pense toujours aux 80% des gens susceptibles de s'arreter et je fais tout pour les convaincre. Pourtant, bien souvent, la personne qui s'arretera le decide des qu'elle apercoit ma silhouette a l'horizon et seule une mauvaise surprise la ferait changer d'avis. Bien sur, ce sont les 20% auquel je ne pense pas qui le plus souvent me donneront mon lift, ceux qui ne sont pas censes le faire. Une belle blonde dans une voiture de sport, ca n'existe que dans les reves des autostopeurs et ce matin, sur la route de Blue Lake a Willow Creek, je ne vois passer que des retraites, Papy en cravatte et Mamie avec sa derniere permanente Barbe-a-Papa. Dans leur tenue du dimanche,ils vont manifestement a la messe. Mais, une eglise a l'exterieur du village, ce doit etre un truc louche, une secte peut-etre. "Vous allez ou, comme ca ?" La voix qui me sort de ces considerations mystiques vient d'une Mustang ecarlate de l'autre cote de la route. Laura, 25 ans environ, m'est passe devant il y a 10 minutes, a pense que tout ce dont j'avais besoin n'etait qu'un lift et s'est decide a faire demi tour. Il y a des gens qui seraient pret a rendre service, mais qui face a un etranger, se sente en etat d'inferiorite physique et poursuivent leur chemin. A la sortie de Redding, pourtant, Amy s'arrete pour moi et fera meme un detour de 50kms pour me faire plaisir. Amy a 35 ans et est tres fiere de pouvoir conduire a nouveau. Mes projets de randonnee lui rappellent ses 20 ans pas si loin. Elle commencait l'Armee, et voulait devenir plongeuse de combat, une carriere qui venait de s'ouvrir aux femmes. Mais elle a developpe une maladie musculaire, type mucovicidose. De nombreuses annees en fauteuil roulant sont passees avant qu'elle guerrisse un peu et parvienne a nouveau a conduire et a marcher un peu. Elle me depose au pied du Mont Shasta et me souhaite bon voyage. Le mobilehome du desert de Mojave que j'ai evoque tout a l'heure est celui de Nick. C'est un camion qu'il a tranforme en un mobilehome adapte a ses handicaps. Nick est paralyse des jambes depuis son service au Vietnam, il y a pres de 40 ans. Il n'entend pas tres bien non plus, vu que ses tympans ont eclate avec l'explosion. Les amplificateurs aident quand meme, et il me complimente pour mon elocution : "I understand you better than most Americans !" Au volant dans sa chaise roulante, il profite de ses vacances de prof pour visite son pays. Les cons, eux ne s'arretent pas. Pourtant, Jeff n'hesite pas un instant, il pile. Ah bon, je suis Francais, lui il n'aime pas les Francais en ce moment. Des allies qui n'en sont pas, jamais d'accord avec l'Amerique, alors que l'Irak, c'est pas complique. Il s'est d'ailleurs porte volontaire pour partir la-bas. Et quand les GIs rentreront, tout ce qu'il restera de l'Irak sera un trou dans le sable. Bon, je suis francais... au moins je suis pas Bosniaque. Ceux la, il commence a en avoir marre de les voir partout. Les Mexicains aussi d'ailleurs, mais la c'est un autre probleme. La seule mesure d'urgence a prendre pour le bien de l'Amerique, c'est de fermer les frontieres, pas d'accord ? Les routiers, c'est autre chose. Les assurances ne leurs permettent plus de prendre des autostoppeurs. Trois camions s'arreteront pour moi dont une routiere ! SJ, comme on l'appelle, transporte des poires de Spokane, Washington, a Los Angeles et elle ne prend jamais d'autostopeurs. Mais avec elle je traverserai la Californie de haut en bas, sur 1100 kms. Un tel lift, ca se contruit au fur et a mesure. Au debut, SJ propose de me deposer a 80kms de Klamath Falls, et sur le chemin, je lui demande de faire un petit crochet pour me permettre de recuper un sac que j'ai laisse dans un camping. Elle accepte de meme qu'elle me proposera le trajet jusque Sacramento (400kms). A partir de la, on discute des problemes logistiques (sommeil, nourriture..) et apres une breve negociation, elle est d'accord pour me deposer a Hollywood demain matin, presque devant l'hotel. Avant que je quitte la cabine, elle me prend les mains et dans une priere, remercie Dieu de notre rencontre et me fait promettre de lui envoyer bientot des nouvelles. Promis. Des rencontres inattendues qui tournent au huis-clos. On raconte son itineraire, ses histoires, on echange des points de vue et insensiblement le lift prend corps pour devenir une petite aventure a part entiere, une journee que ni l'un ni l'autre n'oubliera. Le stop n'est plus alors un simple moyen de transport bon marche mais un tremplin au voyage. Le trajet prend le pas sur la destination. Promis, je continuerai a faire du stop. BREWAL Mines de la Mort - Globe - Jeu. 19 Dec. 2002 La Vallée de la Mort, tout le monde connaît ce nom terrifiant. Alors que je m'apprête à y entrer, rien de tel qu'une petite autopsie toponymique pour relativiser les a priori funestes sur ce haut lieu. Tout d'abord, il y a une correction de taille à faire que je transmettrai d'ailleurs au plus vite aux services en charge de l'attribution des noms géographiques, le United States Geological Survey. La 'Valley' n'en est pas une et il faut la rebaptiser au plus vite le 'Graben de la Mort'. L'appât du gain et les apparences ne sont sà»rement pas les seules choses qui gouvernent l'Amérique et je suis persuadé que l'USGS abondera dans mon sens. Une vallée est formée par l'érosion alors que dans la Death Valley ce sont les forces tectoniques, par le jeu de deux plaques s'éloignant le long d'une faille N-S, qui ont engendré le graben o๠se trouve aujourd'hui la dépression la plus profonde du continent, -85m ainsi que le record de température, +57°c. La Mort ensuite... Combien de personnes, selon vous, sont mortes d'épuisement ici avant que la vox populi ne baptise ce lieu merveilleux d'un nom aussi austère ? Une. En 1849, lors de la plus fameuse ruée vers l'or qu'ai connu la Californie, une caravane d'émigrants se perd dans cette immense vallée reculée. Le calvaire va durer quatre longues semaines avant qu'un des deux éclaireurs ne trouve une voie vers l'ouest et ne sauve les 40 personnes de la caravane. L'autre éclaireur, lui, est mort d'épuisement. Les accidents, ça arrive. Donc, le 'Graben Périlleux', je comprends, mais la 'Vallée de la Mort', allons, allons... Avec une semaine devant moi, je viens dans la Death Valley pour trois raisons : voir les canyons de l'Ouest américain, marcher dans le désert et rechercher les anciennes mines qui ont fait les grands jours de la région. Le parc est immense, 250*60 kilomètres et j'ai vraiment l'embarras du choix. Apres 3 jours d'acclimatation passés à remonter de magnifiques canyons, me voici prêt pour ce qui m'a initialement attiré ici, les souterrains abandonnés. Dimanche 8 décembre : Je redescends Bad Canyon o๠mon camp était installé ces derniers jours et arrive à la route à 9 heures du matin. Mon itinéraire à pied commence à 45 kilomètres plus au sud, et je compte y arriver en stop. La première voiture est la bonne. Elle me déposera à l'endroit précis indiqué par mon GPS. Pendant le trajet, je fais connaissance avec mon bienfaiteur matinal. Il a la soixantaine environ, se balade dans le parc et surtout se repose de sa course d'hier, le marathon annuel de la Death Valley. Encore quelque chose que je rate. Une fois déposé, je me lance avec énergie dans la traversée de la vallée, en l'occurrence le lit asséché de la rivière Amargosa puis je m'attaque l'ascension lente de l'éventail, 'fan' en anglais. C'est un énorme tas d'alluvions charriées par le canyon et repoussées sur le fond de la vallée. Par le jeu de la tectonique locale, la plaque ouest s'enfonce et les éventails y sont à peine de 500m de long, alors qu'ici a l'est, je vais remonter 13 kilomètres de gravier ! Etant parti de la route peu avant 10 heures, les heures chaudes de la journée arrivent vite. De gros galets autour de moi semblent déjà cuit par le soleil. Leur surface est sombre comme du bronze, tannée comme la peau d'un guetteur indien. Ce hâle est l'effet des oxydes de fer qui déposent sur les pierres ce 'vernis du désert'. Il suffit de retourner un bloc pour retrouver une couleur plus habituelle, grise mouchetée de mica noir. Je découvre aussi d'autres phénomènes originaux dans le désert, tel que le verre mauve. Apres de nombreuses années d'exposition solaire, des bocaux ou des bouteilles prennent une teinte mauve par réaction du manganèse contenu dans le verre. En fait, on n'utilise plus de manganèse dans la fabrication du verre depuis près d'un siècle et seules les pièces antérieures à la première guerre mondiale virent au mauve. Courte pause casse-croà»te sous une parcelle d'ombre inespérée et je repars, stimulé par l'impression que les portes du canyon se rapprochent rapidement. Je franchis le portail de granit patiné de Warm Springs Canyon (WSC) avec satisfaction, sachant le fond de la vallée a plus de trois heures de marche derrière moi. Pourtant, quelque chose me tracasse. Les avertissements de Duncan sur cette région un peu à part me reviennent à l'esprit. Duncan est un de ces jeunes renards du désert qui connaissent la Death Valley comme les anciens. Il prépare d'ailleurs un bouquin sur ses coins préférés. Nous nous sommes rencontrés quand il m'a pris en stop dans les premiers jours. Quand je lui ai dit que je comptais aller dans Warm Springs Canyon et ses environs, il m'a raconté ce que tout le monde sait ici mais qui n'est jamais dans les guides de voyage. Le Canyon de Warm Springs et la vallée d'altitude Butte Valley sont des lieux fréquentés depuis longtemps par des originaux. Aux émigrants forty-niners et aux mineurs du XXième siècle ont succédé d'autres drôles d'oiseaux plus ou moins mystiques. "La solitude, la pureté et l'ascèse dans le désert attirent plus de cinglés que tu ne peux le croire, alors là -haut, méfie-toi des rencontres que tu feras." Le plus célèbre d'entre eux fut Charles Manson, tueur en série et gourou des années 60. Sa traque laborieuse se termina dans son repaire, au fond d'un petit canyon voisin. Je n'en sais pas beaucoup plus mais le type avait apparemment une certaine philosophie dont les adeptes rodent encore dans Warm Springs Canyon. Pas des tueurs eux, a priori. Dans un style plus décontracté, plusieurs communautés hippies des années 70 se sont établies autour des sources avoisinantes mais se font rares aujourd'hui que les rangers les empêchent de rester vivre dans le parc lui-même. Plus récemment, il y a eu la disparition des quatre Allemands. Peu d'éléments sur ce qui reste encore un mystère. Une piste remonte sur tout son long Warm Springs Canyon et se termine finalement dans le haut d'Anvil Canyon, juste au sud d'ici. C'est dans ce lieu envahi d'un maquis inextricable que l'on a retrouvé un mini-van VW orange avec trois de ses pneus en lambeaux, quatre sac à dos et rien d'autre. Accident, suicide, bad trip, mafia de Las Vegas. les corps n'ont jamais été retrouvés. A point nommé pour me changer les idées, je découvre sur ma droite une première carrière de talc. Bien que de nombreux minerais aient été exploité dans ce canyon, pour extraire nitrates, or, argent, fluorite et plomb, c'est le talc qui déclenchera son véritable essor dans les années 30. Je sais que les plus importantes carrières sont plus haut, autour de la source, je ne résiste pas à une rapide visite du tunnel. Beau talc, très blanc, feuilleté et fragile, mais le tunnel s'arrête presque de suite. Je repars pour une heure trente de marche, passe devant les entrées de Big Talc, WS5, devant l'impressionnante exploitation à ciel ouvert de WS Mine mais sans m'arrêter cette fois. Derrière une colline de granit ébouleux, j'aperçois les arbres de Warm Springs. De beaux et grands arbres, cotonwoods et peupliers de Frémont, blottis contre une anfractuosité de la rive droite et qui cachent dans l'ombre quelques bâtiments. Je m'approche en cherchant a savoir si des gens habitent encore là , mais je découvre vite que ce ne sont que des maisons d'ouvriers abandonnées depuis 20 ans. Ma deuxième préoccupation est de voir de mes propres yeux cette fameuse eau chaude. Je me fraye un chemin entre les branches basses de yuccas et d'arbustes aux feuilles larges et brillantes et accède a un joli petit ruisseau qui descend d'un petit canyon étroit. Bien que l'endroit ait été décrit avec fidélité dans un de mes livres, je n'imaginais pas ces Warm Springs aussi belles, fraîches, calmes. C'est une oasis comme on en rêve. Juste en amont du ruisseau, à 100 mètres a peine, l'eau sourd du rocher à 30°c environ et rempli une baignoire naturelle. Je ne résiste pas au plaisir délicieux de me laisser flotter dans ces eaux thermales. Edward Abbey consacre un chapitre de son chef d'ouvre "Désert Solitaire" aux eaux du désert et en particulier aux eaux empoisonnées. En effet, toutes les sources du désert américain ne sont pas aussi pures que celles de Warm Springs. On repère les eaux riches en soufre à leur odeur, mais pour celles qui contiennent de l'arsenic ou de la sélénite (gypse), seule la quasi absence de vie végétale et animale pourra vous sauver de l'empoisonnement. Il raconte aussi comment un cow-boy sur le point de mourir de soif a survécu en buvant de l'eau contenant de l'arsenic. Il l'a mélangée dans son bidon avec le charbon de son feu de camp. L'eau a ainsi été plus ou moins filtrée, l'a quand même rendu malade comme un chien mais, finalement, lui a sauvé la vie. Faisant le tour du camp en fin d'après-midi, je repasse devant le porche de la mine la plus proche, White Point. Le tunnel est très large, 8 mètres sur 8 et s'enfonce par une forte pente sous terre. Hélas, son entrée est fermée par une grille à faire pâlir un cataphile. Enormes barreaux, soudures généreuses, cadre fait de gros madriers et sans le moindre interstice exploitable. Au sol, des gros blocs de béton, comme ceux utilisés pour les bordures de trottoir, ont été fixés au sol par des barres à mine plantées de tout leur long dans la roche. Humhum. la Death Valley aurait-elle raison de mes pulsions cataphiles les plus vives ? Je regarde à nouveau cette grille aux barreaux horizontaux et un souvenir similaire de revient à l'esprit. Alors qu'avec le groupe Ktabreizh nous explorions une ancienne ardoisière et ses bâtiments désaffectés, une porte plus solide que les autres et des barreaux au fenêtres nous ont empêché pendant quelques minutes de visiter un hangar. Et puis l'un d'entre nous, plus mince que la moyenne, a essayé de passer entre les barreaux. Epaule, bassin, torse et finalement tête passent plus facilement que prévu. Je le suis et passe de même, comme la plupart du groupe d'ailleurs. Ne pas se fier aux apparences, donc. Je remarque alors qu'à mi-hauteur du porche, l'espace entre les barreaux est un peu plus important. Je grimpe jusque là , passe mes jambes à travers la grille et les pose sur les barres elles-mêmes. En équilibre précaire, je me tortille et, hop, le bassin passe. Je me glisse sur le dos, la cage thoracique aussi se retrouve de l'autre côté. Dernières contorsions et c'est la tête qui suit. Debout dans le filet d'air qui sort de la carrière, je regarde avec fierté cette grille maintenant en ombre chinoise. Regarder le monde extérieur depuis les mystérieuses profondeurs après une entrée réussie, c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau dans ces explorations. Assuré de ne plus avoir d'obstacle à la visite de cette carrière, je rentre préparer mon repas. Je reviens sur les lieux vers 19 heures pour White Point et éventuellement Big Talc plus tard dans la soirée. White Point suit la lentille de talc en un plan incliné a 30° environ. Deux galeries se séparent d'abord, développent des excavations perpendiculaires et se rejoignent plus en profondeur. Le talc prend ici des formes très variées selon les zones de contact. Il est tour à tour opaque, brillant, poudreux, feuilleté, blanc comme du kaolin ou de la craie, vert pâle. Les galeries larges et haute exploitée sans étais de bois datent des années 70 et 80, à la toute fin de l'exploitation du talc dans le Parc. Le National Parc Service a d'ailleurs officiellement racheté ces carrières en 1992 et a donné fin à un paradoxe écologique par lequel des mines étaient exploitées dans ce lieu protégé depuis 1933. Je passe devant du matériel d'extraction d'air et découvre au fond les rives d'un lac souterrains aux eaux bleues cristallines. Même dans le désert, la nappe phréatique n'est pas bien loin de la surface. De retour à l'extérieur, je descend le canyon vers deux autres carrières qui se rejoignent sous terre, Big Talc et WS#5. Les deux entrées principales sont malheureusement obstruées par d'énormes tas de remblais déposés par des camions. Au dessus de celle de Big Talc, un tunnel secondaire donne sur un puits descendant qui communique probablement avec le réseau principal. Mais il me faudrait un corde pour descendre les 8 mètres de verticale. A WS#5, je trouve aussi un accès supérieur secondaire dans lequel j'entre par une confortable chatière. A l'intérieur hélas, la galerie en bonne état sur les 100 premiers mètres est éboulée sur la suite. Je grimpe sur des blocs et aperçois une suite en crapahutant sur 50m. Espérant rejoindre la carrière d'en bas, je m'y faufile. Descente très étroite en oblique, sur des blocs instables au point que, quand j'effleure le plafond, un morceau de talc me tombe dessus. Petit heureusement, mais bon, ambiance. Nouvelle étroiture. Je pose mon blouson et mon livre et poursuis en chemise et lampe à LED. Au milieu du boyau, un gros bloc obstrue le passage. On peut passer par le dessus mais échaudé par les frottements au ciel, j'opte pour le dessous. Nombreuses contorsions, mes tibias sont trop longs pour passer. Je pousse pour remonter de l'autre côté, je fais attention à ne pas m'agripper aux éboulis qui m'entourent pour qu'ils ne viennent pas encombrer davantage le passage ou mon basin et mes jambes doivent sortir. La situation est tendue mais pas désespérée. Je souffle. Au fond d'une galerie de talc o๠même un chien rechignerait à venir me chercher, dans un canyon o๠je n'ai vu personne de la journée, avec ma petite lampe faiblarde, j'essaye de me relaxer. Voyons les choses d'un point de vue purement technique. Imaginez que vous êtes mis en tête, un pari stupide de plus, de passer entre le mur et la cuvette des toilettes. Déjà qu'il n'y a pas beaucoup de place dans des toilettes... C'est un peu la position o๠je me trouve actuellement. Après des contorsions et expirations dont j'ai le secret, je parviens à m'extraire d'en dessous de ce bloc maudit. La suite est du même acabit. Ce mauvais état est étonnant surtout au vu du début de cette même galerie et d'autres proches, en parfait état et sans avoir été particulièrement consolidées. Je comprends alors que toute cette section a probablement été dynamitée intentionnellement. Je rebrousse chemin, déçu de n'avoir trouvé, cette fois d'accès vers Big Talc. La carrière pourtant s'annonçait prometteuse. Exploitation par piliers tournés, la plus grande de la Death Valley, 16 kilomètres de développement ! Alors que je ressort à l'extérieur, poussiéreux comme un meunier, la lune s'est levée et m'éclaire d'un large croissant. En guise de somnifère, je prends trois quarts d'heure de marche pour rentrer au camp et m'effondre sur mon tapis de sol. Après l'adrénaline des canyons et des mines, le franchissement des dunes de sable et des pierriers durant les jours suivants sera lui aussi folklorique. Finalement, à propos de cette "Vallée de la Mort", oubliez ce que je disait au début. C'est très bien comme ça. BREWAL |