Lun. 16 Dec. 2002, 19:38
0 | 0 | ||
partait "Sur la route", en Lozere, a Istanbul, San Francisco ou
Katmandou. C'etait l'esprit beatnick, hippie et les automobilistes
comprenaient ca.
Depuis, le conducteur est rentre dans sa coquille de metal, effraye peut
etre par les junkies, la racaille ou les serial-killers. Le stop, ca ne
se fait plus, c'est fini.
C'est dans ces conditions que j'ai commence a voyager en Europe, en
autostop. Plutot difficle, donc, mais la gratuitee et le temps devant
soi compensaient largement l'effort du premier pas. Paris, la Catalogne,
l'Allemagne, l'Irlande.
Beaucoup d'attente, tellement meme qu'avec Christophe G, entre lacs et
forets finlandais, nous avions invente un indice de qualite de la route,
le car-per-minute. L'ideal etait alors un CPM de 5 a 10 ; nous etions
sur
d'etre pris dans le quart d'heure qui suivait, et ca marchait. Notre
indice, pourtant s'est vite avere limite. Comme la physique de Newton,
en tendant vers l'infiniment grand, les theories et techniques du stop
changeaient radicalement. Ainsi, sur l'autoroute, on ne fait pas le pied
de grue, mais on demarche sur le parking ou au peage ; rien a voir. Et
bizarrement vers l'infiniment petit, les probabilites s'affolent et le
taux de reussite tend vers les 100 pour 100.
5 decembre
80kms au Nord de Baker, Desert de Mojave, Californie. C'est un simple
carrefour, trace au goudon au milieu de la poussiere, une 'junction'
comme disent les gens ici. Rien que du caillou et du sable a l'horizon,
Las Vegas sans les casinos.
Un routier qui allait charger sa benne de
colemanite a la mine, m'a depose ici et depuis 45 minutes, je ne vois
rien venir... que le ciel qui bleuoit et les dunes qui jaunoient.
Vrombissements, un mobile-home passe la coline. Il se lance avec elan
dans la descente, mais je tente de le faire s'arreter. Avant meme d'etre
arrive a ma hauteur, le bahut freine lourdement et fait crisser le
gravier jusqu'a quelques metres apres moi.
Cela faisait quelques annes que je ne voyageais plus en stop. C'est
tellement plus facile et sur de louer une voiture, de prendre le train,
le bateau ou meme le camion a bestiaux. Mais ici en Californie, je
comptais tracer de longues diagonales et le prix du bus Greyhound n'est
pas celui du collectivo de Caracas ou du tuktuk de Vientiane. Alors je
me suis remis au stop, par necessite, comme toujours.
Les fameuses lois du stop me sont rapidement revenues.
La tenue d'abord. C'est pas le tout de jouer au grunge sur le bord des
routes, il s'agit de ne pas y rester jusqu'a la nuit. Alors, on aoptera
a propos LA tenue de l'autostoppeur. Le Tshirt-blanc etant le must, " Il
doit pas etre trop sale s'il porte un TShirt blanc...", des vetements
clairs conviennent aussi. Pas de khaki, de brun, de terne. Pour mettre
en confiance, il en est de meme des lunettes de soleil, a proscrire.
Qui donc voudrait s'arreter pour un individu qui a surement quelque
chose a dissimuler ? Alors, quand le soleil est de face, on
optera pour la casquette. Ici, pays du base-ball, elle mettrait meme les
gens plus a l'aise. Pres de soi, un gros sac a dos fait comprendre qu'on
est un vrai voyageur, un routard et pas un alcoolique en suspention de
permis. Pour ce qui est du nom de la destination inscrit sur un carton,
c'est davantage un passe temps pour le stoppeur qui vient de s'installer
qu'une necessite.
L'attitude ensuite. Le stoppeur se postera a son avantage quelques
metres en avant de son sac, debout bien sur, mais pas non plus au
garde-a-vous. Il est de bon ton d'afficher un port decontracte, pouce
tendu certes, mais bras legerement flechi, buste de trois-quart face. Un
air desespere, des grands mouvements de bras ne donnent rien de bon.
La voiture approche. On sourit, avec les dents sinon le conducteur n'en
verra rien. Les premiers jours, ce sourire risque d'etre un peu crispe
mais rapidement il deviendra spontane et sincere. Donner ce gage de
bonne humeur au chauffeur est peut-etre le parametre qui vous epargnera
le plus d'heure sur le bord des routes.
La voiture passe maintenant a votre niveau. Par un leger pivot du corps,
on accompagnera son passage, une subtile veronique que vous fermerez en
plantant avec talent votre regard dans celui de l'automobiliste. Yeux
dans les yeux, c'est a ce moment crucial que l'on conquerira, ou non, la
confiance et la sympathie de l'autre. Toutes vos cartes sont etalees, on
passe la main.
Leurs monospace est trop charge, elle n'a pas le temps, il n'a pas la
tete a ca : la voiture passe. A chacun son attitude pour dire non. Le
fuyard, commun, vous evitera du regard comme si vous n'etiez qu'une
miserable creuvure sur le bord de la route. L'agressif, rare, vous
tendra son majeur ou fera meme semblant de s'arreter "pour se marrer
avec les potes". Le manipulateur, occasionel, pretendra tourner au
prochain carrefour. L'assertif lui, a l'aise dans ses baskettes, vous
rendra quand meme un sourire d'encouragement ou un bonjour de la main.
Mais, des fois, la voiture s'arretera.
Avec tous mes efforts developpes en merchandising de l'autostop, me
dis-je, c'est un juste retour des choses. Pourtant, ce ne sont pas mes
quelques combines qui m'auront donnees des superpouvoirs telekinesiques.
Je pense toujours aux 80% des gens susceptibles de s'arreter et je fais
tout
pour les convaincre. Pourtant, bien souvent, la personne qui s'arretera
le decide des qu'elle apercoit ma silhouette a l'horizon et seule une
mauvaise surprise la ferait changer d'avis. Bien sur, ce sont les 20%
auquel je ne pense pas qui le plus souvent me donneront mon lift, ceux
qui ne sont pas
censes le faire.
Une belle blonde dans une voiture de sport, ca n'existe que dans les
reves des autostopeurs et ce matin, sur la route de Blue Lake a Willow
Creek, je ne vois passer que des retraites, Papy en cravatte et Mamie
avec sa derniere permanente Barbe-a-Papa. Dans leur tenue du
dimanche,ils vont manifestement a la messe. Mais, une eglise a
l'exterieur du village, ce doit etre un truc louche, une secte
peut-etre.
"Vous allez ou, comme ca ?"
La voix qui me sort de ces considerations mystiques vient d'une Mustang
ecarlate de l'autre cote de la route. Laura, 25 ans environ, m'est passe
devant il y a 10 minutes, a pense que tout ce dont j'avais besoin
n'etait qu'un lift et s'est decide a faire demi tour.
Il y a des gens qui seraient pret a rendre service, mais qui face a un
etranger, se sente en etat d'inferiorite physique et poursuivent leur
chemin.
A la sortie de Redding, pourtant, Amy s'arrete pour moi et fera meme un
detour de 50kms pour me faire plaisir. Amy a 35 ans et est tres fiere de
pouvoir conduire a nouveau. Mes projets de randonnee lui rappellent ses
20 ans pas si loin. Elle commencait l'Armee, et voulait devenir
plongeuse de combat, une carriere qui venait de s'ouvrir aux femmes.
Mais elle a developpe une maladie musculaire, type mucovicidose. De
nombreuses annees en fauteuil roulant sont passees avant qu'elle
guerrisse un peu et parvienne a nouveau a conduire et a marcher un peu.
Elle me depose au pied du Mont Shasta et me souhaite bon voyage.
Le mobilehome du desert de Mojave que j'ai evoque tout a l'heure est
celui de Nick. C'est un camion qu'il a tranforme en un mobilehome
adapte a ses handicaps. Nick est paralyse des jambes depuis son service
au Vietnam, il y a pres de 40 ans. Il n'entend pas tres bien non plus,
vu que ses tympans ont eclate avec l'explosion. Les amplificateurs
aident quand meme, et il me complimente pour mon elocution :
"I understand you better than most Americans !"
Au volant dans sa chaise roulante, il profite de ses vacances de prof
pour visite son pays.
Les cons, eux ne s'arretent pas. Pourtant, Jeff n'hesite pas un instant,
il pile. Ah bon, je suis Francais, lui il n'aime pas les Francais en ce
moment. Des allies qui n'en sont pas, jamais d'accord avec l'Amerique,
alors que l'Irak, c'est pas complique. Il s'est d'ailleurs porte
volontaire pour partir la-bas. Et quand les GIs rentreront, tout ce
qu'il
restera de l'Irak sera un trou dans le sable. Bon, je suis francais...
au moins je suis pas Bosniaque. Ceux la, il commence a en avoir marre de
les voir partout. Les Mexicains aussi d'ailleurs, mais la c'est un autre
probleme. La seule mesure d'urgence a prendre pour le bien de
l'Amerique, c'est de fermer les frontieres, pas d'accord ?
Les routiers, c'est autre chose. Les assurances ne leurs permettent
plus de prendre des autostoppeurs.
Trois camions s'arreteront pour moi dont une routiere ! SJ, comme on
l'appelle, transporte des poires de Spokane, Washington, a Los Angeles
et elle ne prend jamais d'autostopeurs. Mais avec elle je traverserai la
Californie de haut en bas, sur 1100 kms. Un tel lift, ca se contruit au
fur et a mesure. Au debut, SJ propose de me deposer a 80kms de Klamath
Falls, et sur le chemin, je lui demande de faire un petit crochet pour
me permettre de recuper un sac que j'ai laisse dans un camping. Elle
accepte de meme qu'elle me proposera le trajet jusque Sacramento
(400kms). A partir de la, on discute des problemes logistiques (sommeil,
nourriture..) et apres une breve negociation, elle est d'accord pour me
deposer a Hollywood demain matin, presque devant l'hotel. Avant que je
quitte la cabine, elle me prend les mains et dans une priere, remercie
Dieu de notre rencontre et me fait promettre de lui envoyer bientot des
nouvelles. Promis.
Des rencontres inattendues qui tournent au huis-clos. On raconte son
itineraire, ses histoires, on echange des points de vue et
insensiblement le lift prend corps pour devenir une petite aventure a
part entiere, une journee que ni l'un ni l'autre n'oubliera. Le stop
n'est plus alors un simple moyen de transport bon marche mais un
tremplin au voyage. Le trajet prend le pas sur la destination.
Promis, je continuerai a faire du stop.
BREWAL