Dim. 14 Sep 2008, 14:01
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HUSSIGNY-GODBRANGE (MEURTHE-ET-MOSELLE) ENVOYàE SPàCIALE
On connaissait les fous de catacombes. Voici que sont apparus les férus de galeries de mines de fer. Celle d'Hussigny-Godbrange, tout au nord de Meurthe-et-Moselle, a fermé en 1978, à l'issue d'un siècle d'exploitation. Ses entrées ont été scellées, murées et remblayées. Pourtant, des jeunes gens, informés on ne sait comment, sont arrivés d'un peu partout l'été, pour explorer, en entrant par des puits d'aération ou des canalisations d'eau, des kilomètres de galeries rendues à l'obscurité et au silence. Avec leur sac de couchage et du matériel de camping.
Ce village du bassin de Longwy a la particularité d'être perché à 400 mètres d'altitude, au bord de l'étroite vallée de la Côte Rouge, qui fait office de frontière avec le Luxembourg. Creusées à flanc de coteau, les galeries de la mine d'Hussigny-Godbrange, en pente très douce ou plate, sillonnent les 2 000 hectares de l'ancienne concession rendue à l'Etat. Elles ne risquent pas d'être inondées à cette hauteur. Une aubaine pour les aventuriers, auxquels se sont joints des collectionneurs luxembourgeois d'engins miniers : Luciano Pagliarini, qui avait fondé la société Archéologie et histoire industrielle de Rodange (Luxembourg), s'est lui aussi faufilé dans les larges galeries qui recelaient quelques trésors mécaniques à peine rouillés. Il a contacté le maire, Laurent Righi, fils de mineurs, qui s'inquiétait des risques encourus par les visiteurs clandestins. Il fallait organiser quelque chose en sous-sol, mais quoi ?
Jusqu'alors, la mémoire n'avait été ravivée qu'en surface. Près de la mairie, une fresque murale superpose des mineurs "armés" de marteaux pneumatiques, de pics et de barres à mine. Au bas du village, face aux anciens bureaux de la mine, un "Espace de mémoire de l'homme de fer" a été inauguré en 1993. Avec notamment une poche de fonte en train de basculer, une pince de lamineur (un haut fourneau avait un temps fonctionné au pied de la commune), un wagon de minerai, une lampe à carbure géante et de gros godillots de travailleurs. Sur le mur, des cartes, des photos et un document : l'artiste de la murale et de cet espace, Laurent Nunziatini, y a reproduit le contrat de travail de son grand-père Giuseppe, signé en 1924 (à 29 ans) en Italie, o๠les chefs d'exploitation des mines lorraines sont venus recruter quantité de bras dès la fin du XIXe siècle pour pallier l'insuffisance de main-d'oeuvre française. En 1919, les recruteurs sont allés jusqu'en Pologne. Ils ont ensuite accueilli des Lituaniens, Ukrainiens, Yougoslaves, Tchèques puis des Nord-Africains. Hussigny-Godbrange, village multiculturel avant l'heure, l'est resté.
La curiosité des descendants de "seigneurs" (ainsi appelait-on les robustes mineurs indépendants payés à la tonne extraite) l'a finalement emporté sur l'amertume ressentie par leurs pères ou grands-pères, quand le minerai mauritanien ou brésilien, plus riche en fer, a condamné la minette lorraine.
En 2000, le mur de la galerie supérieure de la mine a été percé. Des explorations de sécurité ont été organisées. Cinq ans plus tard, les visites ont été ouvertes au public certains week-ends. Entre-temps, une petite équipe de bénévoles s'est constituée pour sécuriser un parcours, remettre les engins en état et en ajouter d'autres.
Yvon Vicenzi, l'un des plus jeunes mineurs du village encore vivant (62 ans), a perfectionné son nouveau rôle de guide. "Ni les jeunes du village ni mes petits-enfants ne me prenaient au sérieux quand je leur disais que, sous nos pieds, une véritable fourmilière s'est activée pendant un siècle. Il fallait le leur montrer", dit-il. A sa suite, on remonte le temps cent mètres sous terre, dans cette exploitation qui fut l'une des plus modernes du bassin ferrifère.
L'essor est venu après l'inauguration, en 1878, de la ligne de chemin de fer Longwy-Villerupt via la Côte Rouge. Dès 1896, les galeries principales ont été électrifiées pour que des locomotives tirant des wagons puissent y circuler. En 1953, la mine a été réaménagée à la manière du métro : par l'artère centrale longue de 4 km, large de 8 mètres et haute de 7, des rames "filant" à 40 km/h et transportant 110 tonnes de minerai se succédaient toutes les 10 minutes, à un rythme de 200 trains par jour. Un ballet orchestré par un centre de contrôle optique avec, sur le modèle des lignes SNCF, une signalisation lumineuse automatique.
L'histoire sociale de la mine s'écrit le long de panneaux dans l'ancienne salle de repos des mineurs. Hussigny fut le théâtre de la première grande grève du bassin, du 30 juin au 18 aoà»t 1905. Les "gueules jaunes" ont obtenu que leur employeur paye le boisage des galeries, auparavant à leurs frais, que le contrôleur chargé de peser le minerai et accusé de tricher ne soit plus payé par le patron mais par les ouvriers et que la poudre noire servant d'explosif soit vendue aux mineurs au prix de revient.
Combien sont morts "au fond" ? La commune n'a pas établi de bilan, moins lourd que dans les mines de charbon de Moselle, o๠les "gueules noires" étaient exposées aux coups de grisou. Mais quand la sirène retentissait au village, chaque femme tremblait que son "homme" ait péri sous l'effondrement d'un bloc.
A partir des années 1950, la course à la productivité a introduit d'imposants engins, souvent américains : "jumbos de boulonnage" (en lieu et place du boisage des galeries), machines diesel pour remplacer les chargeuses électriques, engins de tirs à 30 trous o๠l'oxygène liquide a fait place, en guise d'explosif, à un mélange de fuel et de nitrate d'ammonium. Si la mécanisation a soulagé le travail physique, elle a parallèlement augmenté le bruit, la pollution et surtout la poussière qui a "silicosé" tant de mineurs.
"Aujourd'hui, notre association est la seule à faire fonctionner des engins miniers - de différentes époques - dans nos galeries, pour que les visiteurs découvrent les conditions de travail réelles des mineurs", dit Bruno Trombini, adjoint au maire d'Hussigny.
Une trentaine de kilomètres à l'est, à Neufchef (près d'Hayange, en Moselle), une association plus ancienne a inauguré en 1990 un impressionnant musée : dans des galeries exploitées de 1820 à 1988 sous la houlette de la famille de Wendel, dans des salles d'exposition et à l'extérieur, il présente l'histoire de l'extraction du minerai de fer depuis le début de notre ère jusqu'au siècle dernier. Fiers de leurs exploits passés et de la grande solidarité qui régnaient entre les piliers, une vingtaine d'anciens mineurs ont guidé l'an passé plus de 20 000 visiteurs dans les entrailles de la terre.
A Hussigny, un ancien "seigneur" d'origine polonaise a, pour ses 80 ans, emmené toute sa famille "au fond". Elle n'y était jamais allée et lui n'y était pas retourné depuis trente ans.
Martine Jacot