Ven. 02 Mai 2003, 14:38
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LE MONDE | 30.04.03 | 13h19
Pour la première fois, le festival techno du 1er mai sera organisé en concertation avec le ministère de l'intérieur. Une tentative qui contraste avec le jeu de cache-cache auquel se livrent depuis dix ans les adeptes des raves ou des "free parties" et les autorités en France.
La concentration de deux mots - techno et festival - agrémentée du graphisme du K, symbole de la tendance dure de la musique électronique (le hardcore), a donné naissance au nom Teknival, invention britannique. Le premier de ces rassemblements de sound-systems (un groupe de DJ et leur sono ambulante) a eu lieu en France, il y a dix ans tout juste, près de Beauvais (Oise).
Depuis, le Teknival du 1er mai a traditionnellement donné le coup d'envoi de la saison d'été pour les adeptes des free parties (raves gratuites et ouvertes à tous).
L'an dernier, le Teknival du 1er mai avait rassemblé sans incident 20 000 personnes entre carrières de sable et champs de maà¯s à Mer (Loir-et-Cher). Pour l'édition 2003, du 1er au 5 mai, le site a déjà été choisi, mais demeurera secret jusqu'à son annonce, jeudi soir, sur Internet et par Infoline.
Tout a été fait en concertation avec le ministère de l'intérieur et les autorités locales : c'est une première, inimaginable encore il y a quelques mois, dont pourra se féliciter Nicolas Sarkozy si, à l'issue des cinq jours de fête, aucun incident majeur n'est à déplorer. Cette édition 2003 pourrait ainsi marquer la fin d'un long jeu de cache-cache avec des autorités hostiles à ce type de manifestations sauvages. Avec, en point d'orgue, le décret du 3 mai 2001 pris par Daniel Vaillant, alors ministre de l'intérieur du gouvernement Jospin, "relatif à certains rassemblements festifs à caractère musical" - une façon tout administrative de qualifier les free parties.
Clandestin jusqu'à ce jour, le mouvement free alterne depuis toujours revendications libertaires et désir de reconnaissance artistique. Apparu au début des années 1990 à la faveur d'un mouvement house et techno naissant, le mouvement free fête, avec le Teknival, ses dix ans d'activisme sur le territoire français. Parallèlement aux raves payantes, immenses fêtes organisées dans des hangars, usines désaffectées ou champignonnières souterraines, les free-parties se déroulent alors chaque week-end, le plus souvent en région parisienne ou dans le sud de la France. Dans un cas comme dans l'autre, une voiture et beaucoup de patience sont indispensables pour accéder à ces soirées.
Entre hédonisme et plaisir de la transgression, ravers et free-parteux célèbrent avant tout la danse sans contrainte de lieu ni de temps. DJ Kraft, membre du sound-system Impakt-Technokrates, se souvient d'un public hétérogène : "Le formatage et la séparation des styles sont venus ensuite. Les hardcoreux dans les free, la trance dans les soirées rave Gaà¯a, la house dans les clubs."
L'arrivée des travellers anglais, ces nomades rompus à un mode de vie alternatif, en marge de la so- ciété de consommation, change la donne. Ils ont créé outre-Manche des Teknivals géants - jusqu'à 50 000 personnes - avant la répression thatchérienne. En 1993, le Teknival de Beauvais, plus radical, plus politique, marque la rupture avec la scène free existante. Il est le point de départ d'un phénomène exponentiel, jusqu'au Teknival de Marigny (Marne) qui a réuni plus de 40 000 personnes en 2001.
"Les free se sont développées naturellement puisque c'était la seule alternative pour faire des raves, explique DJ Kraft. En plus c'était bon esprit, gratuit, sauvage, pas de sécurité, par d'horaires, pas de sélection. Je me suis éclaté et je pense que plein de mômes ont continué de s'y retrouver ces trois dernières années, même si personnellement je trouvais cela plus médiocre en termes de musique et d'image."
Les médias, en particulier la télévision, ont souvent stigmatisé les free parties, rassemblements dans la boue et réservoirs de drogue, parfois à tort, parfois avec raison, mais toujours en occultant une forme musicale riche, puisque née d'un terrain d'expérimentation extrême. Certains artistes ou organisateurs campent définitivement dans les marges du circuit free alternatif (échange de musique, autoproduction), d'autres se professionnalisent, par envie de toucher un autre public. C'est le cas d'UWE (Uncivilized World Entertainment), dont le label de disques puise dans la scène free bon nombre d'artistes.
Ancrée dans la culture indus (rock industriel) et techno extrême, une première génération de free parties a lancé des artistes tels que Manu le Malin (Le Monde du 8 juillet 2002), Boucles étranges, 69DB. Ainsi que des labels comme Expressillon et des styles comme la hardtek ou le breakcore (core, pour extrême), formes aujourd'hui considérées comme classiques dans ce royaume de l'éphémère.
L'histoire des free parties regorge de sound-systems d'importance majeure, parfois boudés par les plus jeunes pour avoir mis un pied dans la production de CD ou les soirées en clubs. C'est le cas des Heretiks, Gelstat, Z Noize, excellents sound-systems entendus par exemple au festival Astropolis à Keroual (Finistère) en 2002.
Le milieu des free parties est vivant : boutiques de disques, Internet fourmillent d'info de contact sur ce monde qui préfère les squats, les friches ou les clairières isolées pour s'exprimer. Les sites foisonnent de forums, o๠sont discutés les soirées, et les aspects sociopolitiques du mouvement (la gratuité, le refus des règlements).
Mais le mouvement a aussi évolué au gré des modes et des envies. Dernier rejeton en date : la nartech, qualifiée de "décérébrée" par les caciques des free parties. Mélange ultra accéléré de hardtechno et de ragga, la nartech est définie par les connaisseurs comme de la musique pour "petit pois" - le jeune public des free qui porte l'uniforme kaki-capuche, raillé pour son conformisme dans l'anticonformisme.
Benoît Massard, du Collectif des sound-systems, qui a décidé de jouer le jeu de la légalité, admet une baisse de la diversité musicale dans les free parties, qu'il attribue à "la crainte de voir son matériel saisi". L'an dernier, le Réseau Voltaire, une association d'avocats, avait proposé à L663, l'un des multiples comités de lutte contre l'amendement Mariani, de déclarer les free parties comme des manifestations. "Si l'on rajoute sur le flyer la phrase "Non à la peine de mort", déclarait Me Alexandre de Perlinghi au magazine Trax, il ne s'agit plus d'un "rassemblement musical exclusivement festif". Dans ce cas, la préfecture doit assurer le maintien de l'ordre, mais aussi le nettoyage du site. Un avantage, contre l'inconvénient de devoir danser entre les cars de CRS.
Odile de Plas et Véronique Mortaigne
Sur Internet, <!-- w --><a class="postlink" href="http://www.icilombre.org">www.icilombre.org</a><!-- w --> : agenda, comptes rendus de soirées, extraits sonores et forums très animés ; <!-- w --><a class="postlink" href="http://www.freetekno.fr">www.freetekno.fr</a><!-- w --> : le site le plus célèbre du mouvement free, une multitude des liens proposés ; <!-- m --><a class="postlink" href="http://3boom.net">http://3boom.net</a><!-- m --> : les dernières informations du collectif des sound-systems. Magasins de disques : Hokus Pokus (hardcore), boulevard Richard-Lenoir, Paris-11e. Spénoà¯de (breakcore), 3, rue Saint-Ambroise, Paris-11e.
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L'histoire des raves et des "free parties" en France
1989-1992 : Un an après le Summer of Love britannique, la France découvre les raves et la techno dans des entrepôts, péniches ou carrières abandonnées. Free parties et petites raves payantes se côtoient. En 1992, le journal Libération organise sa rave à l'Arche de la Défense.
1993-1995 : Fête de la musique techno au Palais de Tokyo à Paris. Juillet 1993, le premier Teknival français est organisé à Beauvais par des nomades technophiles anglais, les Spiral Tribes. Ils sont poursuivis dans leur pays par Margaret Thatcher, qui fait voter en 1994 la Criminal Justice Bill interdisant tout rassemblement de plus de 100 personnes sur des rythmes répétitifs. La soirée légale Oz est interdite à Amiens. En 1995, Boréalis investit en toute légalité les Arènes de Nîmes.
1996-1998 : Les soirées officielles subissent la foudre des autorités. Polaris est interdite à Lyon en 1996. La rave D-Mention 97 frôle l'annulation. Les free parties se développent, attisées par le climat de répression. En 1997, 1998, Boréalis rassemble 20 000 personnes à Montpellier, Astropolis 10 000 au manoir de Kériolet, à Concarneau. Le Sud vit au rythme des teknivals tout l'été. Appartition des free parties en marge de festivals officiels.
1999-2001 : Les festivals officiels connaissent leur apogée et les premières déconvenues. En 2001, le Teknival du 1er mai rassemble 40 000 personnes à Marigny (Marne) sur d'anciens terrains militaires. La police intervient. En juillet, le député du Vaucluse Thierry Mariani (UMP) propose un amendement interdisant les free parties. Le Collectif des sound-systems proteste.
2002 : Le Teknival du 1er mai rassemble 20 000 personnes à Mer (Loir-et- Cher) sous haute surveillance. Les saisies de matériel se multiplient. Le 3 mai, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, publie un décret qui soumet les free parties à une déclaration préalable auprès de la préfecture. En aoà»t 2002, le col de Larche (Alpes-de-Haute-Provence), est envahi par 5 000 ravers contestataires. La police bloque l'accès au col. En septembre, les discussions s'ouvrent avec le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy. Une période test est prévue jusqu'à la fin de l'année. Deux Teknivals semi-légaux sont organisés près de Rennes et Marseille. Des médiateurs sont mis en place dans chaque département.
2003 : 1er mai 2003 : premier Teknival légal, après une réunion préparatoire le 28 avril au ministère de l'intérieur.
⢠ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 02.05.03
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