Lun. 21 Nov. 2016, 12:54
(Modification du message : Lun. 21 Nov. 2016, 14:13 par ouchouh@ya.)
2 Beach le G.O |
0 | ||
Samedi 5 novembre, vers 22h15, un homme d’une vingtaine d’années fait une chute de trois mètres au fond d’un puits dans les catacombes du XIIIème arrondissement de Paris. L’un de ses amis demande de l’aide en interpellant les passants à travers une bouche d’égout, « avenue d’Italie, à quelques mètres de l’arrêt de métro Tolbiac » se souvient l’un des sapeurs pompiers présents sur les lieux.
Les pompiers à la rescousse
Les sapeurs pompiers de la caserne Masséna sont les premiers à venir en aide au jeune homme. Ils ont du mal à retrouver la victime, dans ce dédale de couloirs sombres. Après 15 minutes de recherches, les sapeurs découvrent dans un puits, à trois mètres de profondeur, un homme vêtu de noir. « Il se plaint de douleurs à la tête, à l’épaule et au coude. Le chef d’agrès – chef d’équipe – décide de lui faire parvenir un harnais de sécurité pour éviter qu’il ne tombe plus bas », relate la page Facebook des Pompiers de Paris. Il faut faire vite car le sol est instable.
L’équipe médicale et le groupe d’intervention en milieux périlleux (GRIMP) rejoignent les secours déjà présents sur place. Après avoir sorti la victime du puits, les pompiers décident de l’immobiliser sur un brancard. Traversant des couloirs étroits en pierre calcaire, le GRIMP remonte à la surface via une bouche d’égout. Le jeune homme blessé est emmené dans l’hôpital le plus proche.
Un sauvetage parmi tant d’autres
La version officielle s’arrête là. La préfecture de police, le parquet et les pompiers ne veulent pas en dire plus. C’est une histoire « mineure et habituelle ». Il y a plus d’un « cataphile » – amateur des catacombes – par an qui risque sa vie dans ces labyrinthes qui parcourent la capitale.
Dans un entretien pour Le Monde publié en 2014, Sylvie Gautron, brigadier chef qui s’occupe de verbaliser dans les souterrains se rappelle de son premier sauvetage. En 2008, « il était seul et sans lumière, l’homme était très heureux de nous voir ». Il est reparti avec une amende de 60 euros. L’accès à ces carrières est interdit par un arrêt préfectoral du 2 novembre 1955.
Une « société plus ou moins secrète »
Il est possible de visiter « Les catacombes de Paris » pour 5 euros. Mais ce parcours de 1,5 km est beaucoup moins grisant que les « 300 kilomètres de galeries sous Paris connues par les cataphiles », explique Gaspard Duval, avec un cheveu sur la langue. Ce cataphile élancé, la cinquantaine, est l’auteur de Les catacombes de Paris – Promenade interdite. Il a exploré les lieux pendant plusieurs années, à l’aide d’une « boussole et d’un plan ». C’est avant tout un amateur du patrimoine, il admire les « vestiges du passé ».
Mais tous ces spéléologues en herbe ne sont pas des passionnés d’histoire. Cette micro-société clandestine, est également composée de fêtards, d’explorateurs urbains et de tagueurs. C’est une « société plus ou moins secrète », chacun des membres a différents pseudonymes. Ils utilisent un code de langage plus ou moins élaboré. « La cata-bière, c’est de la bière, le cata-sprint, ce sont des courses d’orientation dans les sous-sols, on fait aussi des cata-fêtes, comme le cata-lloween ». Il y a également un nom pour les novices : des « cata-bouffons, des touristes », continue Gaspard, « il y a a un culte du secret parce qu’on aime pas que tout le monde vienne chez nous. Quand ils nous embêtent, on les fout dehors. »
De cataphile à traitre
Malgré son ancienneté, Gaspard, alias Baunau, a fait les frais de cet omerta autour des catacombes. Quelques jours avant la sortie de son livre, ses « amis » sont devenus ses détracteurs sur un site qui réunit quelques centaines de cataphiles : ckzone. Les remontrances et les accusations commencent de manière plutôt calme : « Qui t’as poussé à commettre ce forfait ? Et surtout qu’est ce que t’y balances ? ». Avant de virer dans le sordide « J’me suis interrogé sur ce qui te poussait à fréquenter des gens de 20, 30 ans de moins. J’pensais à la limite que tu voulais en enculer un qui serait d’accord, mais en fait non, c’est la communauté entière que tu voulais te taper ».
Dans une volonté d’éloigner les curieux, certaines personnes passent désormais plus de temps sur ce site que sous terre. L’un d’entre eux, Georges, alias Georges V, alias Jean-Baptiste a passé 5.000 heures de sa vie sur ckzone à signaler des lieux condamnés, accidentés, à « reconstruire ». Il éloigne également les « touristes ». Sous le nom de Georges V, il raconte qu’il est policier et amateur de catacombes depuis quelques années. « Oui, parce qu’on est des poulets en région parisienne, une bande de potes sortis de la même promo d’école de police » explique-t-il en présentant des photos de jeunes déguisés en policiers dans un bunker. Il use du contexte actuel, « la grogne des flics », pour expliquer la chute du 5 novembre. « on revenait d’un rassemblement », continu Jean-Baptiste-Georges.
Éloigner les curieux
Le catafile divulgue le lieux de la chute, la Salle PTT, « un ancien abri sous la poste du XIIIème, entre Choisy et Italie » désormais rempli de tag colorés, de vielles bougies et de tessons de verres. La seule fois durant son témoignage où George dira la vérité. La planche vétuste placée sur le puits, qui a servi de table de fortune lors d’Halloween, craque sous le poids du cataphile. Il chute sur trois mètres.
Le GRIMP a vite pris le relais. Georges, lui, met en cause les pompiers, parle d’entente cordiale entre les différents corps de sécurité pour classer l’affaire sans suite. Une accusation de trafic d’influence sans preuve, une diffamation passible de 12.000 euros. Mais Georges pense qu’il ne risque rien en racontant ses élucubrations derrière un écran. Il préfère protéger les autres amateurs de catacombes, et faire peur aux touristes.
La vérité sur cette chute risque de rester encore longtemps au fond du puits, à 20 mètres sous terre.