Lun. 20 Oct. 2003, 06:17
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LE MONDE | 17.10.03 | 14h15
Près de deux ans après l'ouverture du chantier de cet ouvrage d'art exceptionnel, le deuxième pilier devrait être terminé, lundi 20 octobre. Il s'élève à 245 mètres au-dessus du Tarn. La mise en service est prévue en janvier 2005.
Millau (Aveyron) de notre envoyé spécial
Le viaduc de Millau devait battre, lundi 20 octobre, un record en matière de travaux publics avec l'achèvement de sa deuxième pile, "P2" prévu vendredi et repoussé in extremis à cause de la détérioration des conditions météo : avec 245 mètres de haut, cette pile sera la plus haute du monde.
Les sept piles vertigineuses du viaduc s'élancent dans le ciel des Grands causses. Seule la "P3", dont l'achèvement est annoncé pour la fin novembre, reste à réaliser. Les travaux ont commencé le 14 décembre 2001. Bientôt, ce viaduc long de 2 460 mètres reliera, à 270 mètres au-dessus du Tarn, le Causse rouge au plateau du Larzac. Il permettra de joindre rapidement Clermont-Ferrand et Montpellier, en faisant sauter le fameux "bouchon" de Millau. Le chantier a été visité, depuis son ouverture, par quelque 200 000 visiteurs.
"GIGANTISME"
Les autres piles ont des hauteurs moins spectaculaires que "P2" (245 mètres) et "P3" (221). La configuration encaissée de la vallée du Tarn explique en partie ce profil. La plus petite, "P7", mesure tout de même 77 mètres.
Chaque pile s'élève au rythme de quatre mètres tous les trois jours. Cette "levée" comprend la mise en place du coffrage et des armatures et le coulage du béton. Pour la réalisation de la plus haute pile, la désormais célèbre P2, il a été programmé 62 "levées". A ce délai de trois jours, il convient d'ajouter le temps nécessaire à l'installation de la grue qui, elle, doit être à plus de 15 mètres au-dessus de la dernière "levée".
Chacune des sept piles s'ancre au sol par quatre puits dits "marocains" de 10 à 15 mètres de profondeur, - en fonction de la nature des roches - et de 5 mètres de diamètre. Chaque pile repose sur un socle de 250 m2, terminé par deux branches de 25 m2 chacune sur la laquelle vient se fixer le tablier.
"Si les techniques de construction du viaduc sont classiques, son gigantisme, tant pour sa hauteur que pour sa longueur, conduit à des adaptations", reconnaît Jean-Pierre Martin, responsable du chantier d'Eiffage TP, l'entreprise chargée de la construction. L'utilisation du système GPS s'est révélée nécessaire pour la vérification de la géométrie des piles. La construction du viaduc de Millau associe deux matériaux : le béton pour les piles et l'acier pour le tablier, les pylônes et les haubans.
L'érection de ces piles aura nécessité pas moins de 90 000 m3 de béton (environ 220 000 tonnes) dont 14 000 m3 pour la pile "P2". Ensuite s'ouvrira la seconde phase du montage de l'ouvrage, avec la mise en place du tablier. "La meilleure façon d'alléger le tablier au regard de la hauteur de l'ouvrage était d'utiliser l'acier, qui réunit les qualités de résistance et de légèreté, nécessaires à ce type d'ouvrage", indique Marc Buonomo, chef de projet du viaduc de Millau à l'entreprise Eiffel, spécialisée dans la structure métallique. Il estime que face aux 36 000 tonnes du tablier en acier, 120 000 tonnes auraient été nécessaires si celui-ci avait été en béton...
Le montage de ce tablier, de couleur blanc crème, constitue une des originalités du viaduc. Tel un gigantesque puzzle, cette structure est construite en usine, montée sur les rampes d'accès du viaduc tant sur le Larzac que sur le Causse rouge, et enfin poussée de pile en pile.
DEUX FOIS DEUX VOIES
Les 2 000 éléments du tablier sont fabriqués sur le site d'Eiffel à Lautenbourg (Bas-Rhin). Une partie de ces pièces prend ensuite le Rhône afin de rejoindre une usine de Fos-sur-Mer pour y être assemblées. Sur ce site des Bouches-du-Rhône, elles prennent forme, une à une, pour constituer les 173 caissons centraux de l'ouvrage. Enfin, des convois exceptionnels, autorisés à prendre l'autoroute, les acheminent sur le chantier du viaduc.
Là , toutes les pièces du tablier sont assemblées. De chaque côté du viaduc une section est montée : 1 743 mètres du tablier sur la rampe d'accès sud, venant de Béziers ; et 717 mètres sur la rampe d'accès nord venant de Clermont-Ferrand. Le principe du montage du tablier consiste à réunir ces deux parties du viaduc.
C'est alors qu'intervient le "lançage" du tablier au-dessus du vide. "Cette opération, suivant le mécanisme de la machine à coudre, soulève le tablier puis le pousse à la vitesse de 5 mètres à l'heure", précise Marc Buonomo. Un système informatique veille à la parfaite synchronisation des six vérins hydrauliques permettant la translation.
Lors du premier "lançage", le tablier se déplace avec son pylône et ses haubans, ce qui permet de le rigidifier : il faut surtout éviter que ce tablier, long de 171 mètres, ne "pique" du nez dans le vide. De plus, pour éviter que cette translation ne "pousse" les piles, des palées provisoires sont installées. Ces palées sont conçues sur le modèle des pieds des plates-formes de forage de haute mer.
La réunion des deux sections du tablier devrait s'effectuer en mars 2004, précisément entre "P2" et "P3". Une fois ce clavage - le terme désigne la réunion des deux tabliers - effectué, la dernière opération consistera à installer les pylônes et les haubans.
A partir du 10 janvier 2005, l'automobiliste venant de Clermont-Ferrand, après avoir acquitté à Saint-Germain (Aveyron) un péage de 6,10 euros en été et 4,60 euros en hiver (19 euros pour les poids lourds), découvrira, six kilomètres plus loin, le viaduc. Une fois engagé dessus, sur la route deux fois deux voies, il rejoindra en quelques minutes le plateau du Larzac par une pente douce à 3 %. Actuellement, trois heures sont parfois nécessaires pour parcourir cette distance.
Le concessionnaire de cet ouvrage, dont le coà»t atteint 320 millions d'euros, prévoit un trafic de 10 000 véhicules par jour - c'est le seuil de rentabilité - avec un pic de 25 000 en juillet et aoà»t.
Dominique Buffier
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Une concession d'une durée de 78 ans
Face au coà»t de réalisation de cet ouvrage, l'Etat a opté pour la solution de la concession. Celle-ci a été confiée, le 10 octobre 2001, à la Compagnie Eiffage du viaduc de Millau (CEVM), filiale du groupe Eiffage, qui se situe au 5e rang des entreprises européennes de travaux publics, avec un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros. En 1990, cette entreprise avait fait l'objet d'un rachat de l'entreprise par les salariés (RES) ; aujourd'hui, ceux-ci détiennent toujours 23 % des actions.
La durée de la concession, qui est de soixante-dix-huit ans, inclut les trente-neuf mois du chantier. La CEVM, qui a financé le projet sur ses fonds propres, percevra, pendant soixante-quinze ans, les revenus du péage de cet ouvrage, dont la durée prévue d'utilisation est de cent vingt ans.
Le tracé et le dessin du viaduc sont l'Åuvre collective des ingénieurs et des architectes. Dès 1990, Michel Vilorgeux, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, jette les bases techniques et, à partir de 1996, l'architecte britannique sir Norman Foster assure la conception de l'ouvrage d'art.
⢠ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18.10.03
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