Ven. 01 Juin 2007, 20:50
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Citation :Etre Juif et Franc-Maçon
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Bonjour,
Théodore Monod, dans "le chercheur dâabsolu", écrit : âNous ne sommes pas une moyenne mais une addition. Nous ne sommes pas du gris, mais du noir et du blanc". Un Franc-Maçon de la Grande Loge de France peut être de toute origine philosophique ou religieuse.
"Etre catholique et Franc-Maçon de la Grande Loge de France", câest un thème que nous avons développé en avril dernier, sous forme de dialogue avec lâun dâentre nous. Aujourdâhui, dans le même esprit, afin de vous mieux éclairer, chers auditeurs, je reçois notre Frère, Monsieur Jacky Franklin, juif de confession et franc-maçon de la Grande Loge de France.
Bernard Platon : La franc-maçonnerie et le judaà¯sme ont une conception me semble-t-il très proche de la place de lâhomme dans lâUnivers et du rôle qui lui est dévolu. Nây a-t-il pas tout dâabord une convergence théorique ?
Jacky Franklin : En effet, la Kabbale est très claire sur les rapports existant entre lâhomme de Dieu : Dieu a placé lâhomme puis sâest retiré pour quâil puisse prendre sa place. Pour un juif, lâhomme est autonome par essence. Il dispose de son libre-arbitre et est donc responsable.
En un mot comme en cent : Dieu a fait le pari de la perfectibilité de lâhomme en devenir. La création nâest pas terminée, lâhomme continue la création. Pour être exact, il est créateur pendant 6 jours et le 7ème, il redevient créature pour honorer son Dieu.
Pour le juif, lâéveil spirituel est la clé de son devenir. Il lui appartient de parfaire la création. Câest donc en toute logique que la Kabbale nous apprend que la première question qui est posée à celui qui accède au monde dâen haut, après sa mort terrestre, est :
âEs-tu devenu ce que tu es ?â
Pour le Franc-Maçon, lâhomme est aussi créateur de lui-même. Sa vie est un voyage non pour faire mais pour devenir. Il devra passer du âConnais-toi toi-mêmeâ à âDeviens qui tu esâ puis âDécouvre ce à quoi tu sersâ.
Le voyage qui amène à la perfectibilité et à la liberté est un voyage à lâintérieur de soi quâil faut accomplir en taillant la pierre, symbole de lâhomme, du matériel au spirituel.
Certes, Judaà¯sme et Franc-Maçonnerie ne donnent pas la même représentation du monde. Lâun offre une voie religieuse, lâautre une voie initiatique. Mais lâun et lâautre entretiennent lâeffervescence prometteuse dâune renaissance, dâune re-création, et sont universels car ils acceptent lâautre, reconnaissant les différences. Lâun et lâautre combattent la pensée totalitaire et tous les dogmatismes. Il nâest donc pas étonnant de retrouver dans le rituel maçonnique cette définition du judaà¯sme, donnée à un légionnaire romain par un rabbin du premier siècle :
âFais à autrui autant de bien que tu voudrais quâon te fasse, tout le reste nâest que commentaire.â
B.P. : Etre juif, être Franc-Maçon, est-ce compatible, quâest-ce que cela veut dire ?
J.F. : Pour répondre à cette question, il faut bien garder à lâesprit ces deux notions fondamentales dâêtre et de devenir.
Seul Dieu est celui qui est. En hébreu, le verbe "Etre" ne sâemploie que pour Dieu.
Les hommes, eux, sont en devenir dâêtre. Il leur faut un long travail, faire un long cheminement, symbolique ou religieux du matériel vers le spirituel pour intégrer, intérioriser cette sublime simplicité de lâEtre suprême que les juifs appellent Dieu et les Francs-Maçons, le Grand Architecte.
Le juif et le Franc-Maçon cherchent grâce à ce travail une harmonie, une paix qui leur permet de laisser coexister tranquillement progrès et tradition.
La communauté juive ou la communauté franc-maçonne, le groupe dâappartenance, nâest pas un obstacle à ce chemin spirituel vers lâautre, bien au contraire. Bien comprise, la notion de groupe ne doit pas développer lâambition, lâorgueil ou le réflexe xénophobe, mais au contraire lâouverture au monde. Son véritable sens nâest pas de développer lâexclusion mais la fraternité qui doit sâétendre au groupe puis à tous les hommes. Le but est ardu mais, comme il est dit dans un rituel : "Il est inutile dâespérer pour entreprendre et de réussir pour persévérer ...".
Câest cette quête commune qui illustre les relations entre juif et franc-maçon.
Lâapprentissage de la liberté, évoqué au premier degré de la Franc-Maçonnerie, se retrouve lors de la célébration des deux soirées de Pâques, commémorant la sortie des Juifs dâEgypte. Ces deux cérémonies traduisent le même sentiment : Aller vers lâautre et aller vers le haut.
Cette tradition est transmise chez les juifs par la Thora, texte sacré aux 613 commandements, qui fonde la cohésion communautaire et en appelle à lâuniversalisme :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Respecte lâétranger car tu as été toi-même étranger en terre dâEgypte.
Le paà¯en qui pratique la justice vaut le Grand-Prêtre de Jérusalem.
Il est plus grave de voler son journalier que de ne pas manger casher. etc.
Ce nâest pas par hasard si au siècle des Lumières, lorsque les Juifs furent reconnus comme des citoyens à part entière, ils furent nombreux à solliciter leur entrée dans lâordre maçonnique.
Ils y retrouvaient une part du rêve messianique : le grand thème de la Fraternité Universelle.
B.P. : Et la Grande Loge de France ?
J.F. : Ce que jâaime dans la Grande Loge de France, câest quâelle propose une spiritualité sans dogme. Et par là même permet à chacun de définir sa quête spirituelle.
La Grande Loge est un ordre initiatique et universel fondé sur la fraternité. Elle a pour but le perfectionnement spirituel de lâHumanité en travaillant à la gloire du Grand Architecte, considéré comme un principe coordinateur et créateur.
Celui qui croit à lâexistence dâun Dieu Révélé, comme moi, quel quâil soit, peut y rentrer sans remettre sa foi en cause.
Pour celui qui ne croit pas en une religion révélée, la Grande Loge repose sur lâexistence dâun Principe Créateur qui fait de nous une fraction intégrante du Cosmos. Notion que lâon retrouve, et câest amusant, chez les scientifiques de Princeton (la fameuse "Gnose de Princeton", basée sur la physique et lâastrophysique, est cohérente avec le principe du Grand Architecte de lâUnivers).
Tradition et progrès peuvent ensemble donner un sens à lâexistence de lâhomme. Maillon de la chaîne de la vie, réceptacle de lâesprit, lâhomme peut, sâil sâéveille, recevoir et transmettre. Pour le Franc-Maçon, le Grand Architecte sert de point dâappui à lâhomme pour devenir ce quâil est, notion que lâon retrouve dans le judaà¯sme.
B.P. : A lâappui de ce que nous venons de dire, pouvez-vous nous donner un exemple concret de synthèse entre juif et Franc-Maçon ?
J.F. : Je parlerai dâAdolphe Isaac Crémieux (1796-1880)
Adolphe Crémieux excella dans les trois dimensions de son être : Français, juif, franc-maçon.
1) En tant que français : Avocat au barreau de Nîmes, puis à la Cour de Cassation, il fut élu député à Chinon en 1842 et à Paris en 1869. Là , il sâeffacera devant celui qui a été son secrétaire, le jeune Gambetta. Il fut Ministre de la Justice en 1848 et en 1870. Il participera à la rédaction des constitutions de la 3ème République et finira sénateur à vie.
2) En tant que juif : Dès 1840, il se rend auprès de Mehemet Ali pour y intercéder en faveur de juifs accusés de meurtre rituel (un mouvement de soutien sâétait développé dans toute lâEurope, ce qui prouve que les juifs émancipés nâavaient pas peur dâaffirmer leur judaà¯té).
Moi qui suis juif pied-noir, il mâest agréable de rappeler quâen 1870, Crémieux publie un décret qui déclare citoyens français les israélites indigènes du département de lâAlgérie.
3) En tant que maçon Il est élu à la tête du Suprême Conseil de France. Comme politique et franc-maçon, son action nâa toujours eu quâun seul but : harmonie et pacification. Câest lui qui réunira en 1875, à Lausanne, une assemblée des Suprêmes Conseils, pour harmoniser le Rite Ecossais Ancien et Accepté avec les "légitimes exigences de la civilisation moderne".
Véritable acte fondateur de la franc-maçonnerie moderne, cette déclaration de lâassemblée de Lausanne proclame "lâexistence dâun Principe Créateur".
A la fois français, juif et franc-maçon, Adolphe Crémieux a joué un rôle déterminant dans ses trois appartenances communautaires, vécues non comme étrangères lâune à lâautre, mais complémentaires.
En travaillant sans cesse à "lâamélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan matériel", il a pleinement accompli sa mission tendant à réaliser une promesse dâharmonie, qui est aussi une promesse de sens, à lâaube de ce troisième millénaire.
B.P. : En résumé, Jacky Franklin, que pouvez-vous nous donner en guise de pré-conclusion ?
J.F. : Pour les maçons, il existe un principe premier, impensable, inconnaissable, impénétrable, pénétrant lâUnivers dans tous ses plans.
Pour les cabalistes, Dieu ne saurait être nommé. La seule désignation authentique est précisément un refus de toute définition : il est "En Soph", celui qui nâa pas de fin, lâinfini.
Lâabsolu est lâesprit existant par lui-même. Dieu est celui qui est.
Le visible nâest que la manifestation de lâinvisible.
Lâharmonie universelle résulte de la complémentarité des contraires.
La vie humaine nâest quâun point dans lâéternité.
Juif ou maçon, on sait attendre avec confiance le moment o๠nous passerons dans lâautre monde. Lâamour est la clef de la vie.
B.P. : En fin de compte, quâest-ce quâaimer lâhomme pour un juif, pour un Franc-Maçon en 1998 ?
J.F. : Aimer lâautre, câest reconnaître en lui lâétincelle divine et lâaider, sâil le souhaite seulement, à lâexalter pour donner un sens complet à sa vie.
Aimer lâautre :
Câest lui permettre de pouvoir glorifier sa dignité dans le travail.
Câest semer en lui les germes de la révolte contre toute injustice ou oppression, y compris religieuse (la Kabbale ne sous enseigne-t-elle pas que certains Docteurs de la Loi retardent la venue du Messie ou que lâarbre des rites cache parfois la forêt de lâamour ?)
Câest intégrer le fait (comme le dit le Talmud) que la souffrance dâun seul déséquilibre le monde entier.
Câest lâempêcher de démissionner, créer en lui la réflexion qui le fait créateur 6 jours sur 7 et créature le Shabbat.
Câest ne pas le voir, au nom dâune fausse conception de lâamour, sâavilir et avilir en lui sa dignité dâhomme porteur dâétincelle divine.
Aimer lâautre, ce nâest pas le croire parfait, câest le croire perfectible, croire en son devenir et le lui dire.