Dim. 04 Fév. 2007, 08:14
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Pour celui qui venait pour la première fois, les anciens travaux miniers de Marsanges se résumaient à deux murailles cimentées encadrant lâentrée du travers banc principal, cette obscure percée de huit cent mètres, filant sous terre en ligne droite, desservait un labyrinthe vertical de puits et de dépilages abandonnés. Plus loin écrasé de soleil, un long bâtiment couvert de tuiles mécaniques, quâun paysan avait affecté à lâélevage de lamas silencieux et inattendus en cet endroit, avait servi de vestiaires et de forge. Suivant encore le remblai on devinait les trémies de chargement en surplomb dâune ancienne voie ferrée
La sécheresse minérale de lâancien carreau était barrée dâune tranchée peu profonde o๠sâécoulait, sortant de la galerie, une eau limpide et fraîche. Dans cet accès souterrain au delà dâune grille épaisse aux montants soudés, on découvrait une voie ferrée sâenfonçant dans lâombre sous une étroite voà»te bétonnée. Une odeur de roches, de terres humides et une fraîcheur éternelle invitaient au frisson. Un train de wagonnets aux teintes dâoxydes disparaissait dans lâinquiétante pénombre.
Dans ce massif ancien, aux allures dâamphithéâtre forestier, o๠de petits champs jaunissant sous le soleil semblaient assiégés par de sombres conifères, un hameau à lâunique étroite et tortueuse ruelle délimitait lâhorizon des sociétés humaines. Il nây avait ensuite place que pour ceux qui, magnétisés par lâendroit sâengloutissaient dans lâéternité minérale des filons de spath fluor.
Un chemin dâexploitation suivait en surface le trajet du travers banc, la pente rectiligne courant au flan du massif menait vers dâautres étages. Dans les ruines et les haldes couvertes de ronces et dâarbres sauvages, de sombres accès pour la plupart effondrés menaient vers les filons abandonnés. Là , encore sous les ronces et les herbes folles, presque invisibles, des rails rouillés marquaient encore le chemin des galeries. Jây découvrais avec mélancolie un essieu avec une roue brisée, une benne renversée, des tuyaux de fonte sâenfonçant sous les terres effondrées.
Que venais je chercher en cet endroit ? Sans doute de bouleversants souvenirs du temps de mes 16 ans : Lâadolescence, époque o๠lâenfance se noie dans un avenir confus, vide de projet mais plein dâillusions et dâespérances diffuses. Un temps o๠lâon prend conscience que faire machine arrière nâest jamais possible. Ce que certains appellent le destin est depuis longtemps en route, rien nâest inéluctable, mais déjà , lâenfance est passée, les voies que lâon vous à fait prendre, parce souvent on en connaissait pas dâautres, ont pour beaucoup scellés les décennies à venir.
Dans le soleil de ce matin de Juin, jâarpentais seul un lambeau de souvenirs, réminiscences de vacances dâété des années soixante dix, de routes montagneuses désertes parcourues à vélo dans des effluves de tour de France, de demi course double plateau, aux gardes boues démontés, de chaleurs qui avec le recul étaient toujours accablantesâ¦
A cette époque, Marsanges fonctionnait encore, lâimage dâun court train de berlines et dâun locotracteur sortant de la galerie en brinquebalant sur une voie disjointe. Dâun type bourru nous autorisant à prendre quelques échantillons dans un tas de fluorine verte, à marqué à jamais mon existence.
Cet événement anodin bornait un point nodal, un de ces instants rares qui nous bouleverse tout simplement parce que, et câest incompréhensible, le fil du temps ralenti et sâarrête en un clichéâ¦Comme si une bifurcation, un aiguillage obligeait notre vie à ralentir et stopper pour forcer un destin que lâon sâinvente toujours à posteriori.
Je voudrais partager ces éternités entrevues qui presque toujours sâévanouissent dans des moments ensoleillés. Il est tentant parfois de provoquer ces parenthèses temporelles, mais souvent ces instants avortent, car la seule volonté de vouloir observer ces événements en pulvérise lâexistence.