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LE MONDE | 07.05.01 | 15h33
TRICOT (Oise) de notre envoyé spécial
Les inondations ? Quelles inondations ? Tout visiteur arrivant sur le plateau picard, au nord du département de l'Oise, est d'abord tenté de croire que cette microrégion a été épargnée par le déluge, à la différence de la Somme voisine. Ici, seuls les champs, boueux au possible, trahissent une pluviosité exceptionnelle. Pour le reste, rien d'anormal : l'absence de rivière, si modeste soit-elle, laisse supposer que cette zone rurale, théâtre de multiples batailles lors de la Grande Guerre, n'a subi aucun dégât majeur. Cette impression est cependant trompeuse. A y regarder de plus près, le "plateau", comme l'on dit en Picardie, est bien victime des inondations, mais d'une manière inattendue : par le sous-sol.
Dans plusieurs villages (Courcelles-Epayelles, Cuvilly...), l'eau envahit les caves des constructions anciennes, ronge les fondations et certains habitants assistent, impuissants, à l'effondrement progressif de leur maison de briques rouges... Neuf semaines après le début du phénomène, cette catastrophe naturelle d'un genre nouveau frappe 1Â 800 des 27Â 000Â habitants du secteur. A Tricot, le village le plus atteint, 163Â habitations sur 600 sont touchées, avec des dégâts plus ou moins graves. Le "plateau", sans nier les malheurs de la Somme, ne voudrait donc pas être l'oublié des pouvoirs publics et des compagnies d'assurances...
Jamais, de mémoire d'homme, la région n'avait été confrontée à pareil fléau. L'explication, à en croire les géologues, tiendrait à la fois à l'abondance des pluies et à la nature crayeuse des sous-sols. Les nappes phréatiques saturées, le trop-plein finit par atteindre les caves, appelées ici les "muches". Voilà des siècles qu'elles existent, creusées sur un ou deux niveaux, jusqu'à 5 ou 6 mètres de profondeur. La plupart des maisons reconstruites après les destructions de la guerre de 1914-1918 disposent d'une muche, accessible par une porte extérieure. Autrefois, les anciens y entreposaient des vivres ou s'y réfugiaient durant les bombardements. En remontant dans le temps, aux XIVe et XVe siècles, on apprend aussi que certaines d'entre elles donnaient accès à des galeries qui, en cas d'attaque ennemie, permettaient aux paysans de rejoindre l'abbaye de Saint-Martin.
Aujourd'hui, alors que le niveau de la principale nappe serait monté de 20Â mètres en quatre mois, ces kilomètres de souterrains sont sous les eaux. Dans certains champs, la terre s'affaisse, laissant place à des trous en "cheminée", profonds de plusieurs mètres, qui semblent justement déboucher sur les fameuses galeries. A Montiers, un étang de plusieurs hectares s'est formé autour d'une ancienne sucrerie. Par endroit, la profondeur atteindrait 3Â mètres.
UN TROU BàANT
Dans d'autres villages, comme Tricot, la craie des muches est devenue si friable que les fondations de plusieurs dizaines de maisons s'y enfoncent peu à peu, au risque d'entraîner des pans de murs entiers, voire les pièces situées au-dessus de la cave. La cuisine d'une ferme s'est déjà écroulée, laissant un trou béant sur le côté gauche de la bâtisse. Ailleurs, une salle à manger ou une chambre ont cédé. Les habitants connaissent désormais les signes annonciateurs d'un effondrement : les sols gondolent, les murs se fissurent, les plinthes craquent...
A Tricot, o๠plusieurs familles ont dà» être évacuées, les sinistrés font bloc. Après avoir envisagé de baptiser leur association Association des oubliés du plateau picard, ils ont retenu une appellation plus sobre : Association de défense des sinistrés tricotois. Il est vrai qu'après une période de relative indifférence - à l'exception de la presse régionale - leur détresse a fini par attirer l'attention. "Pendant deux mois, explique la présidente, Sylvie Duhoutbout, infirmière de profession, personne ne se souciait vraiment de nous en dehors du maire et de son équipe. Maintenant, c'est différent. L'association compte une centaine de membres et nous allons fédérer les habitants des autres villages. L'avenir nous inquiète. Une fois l'eau partie, dans quel état seront les sols ? Qui peut garantir que les maisons ne tomberont pas dans quelques mois ou quelques années ?" Mme Duhoutbout, dont la cave est pleine d'une eau étonnamment limpide, sait déjà que le flanc gauche de sa maison va céder et peut-être entraîner une partie de la toiture.
Alors que les géologues avaient pronostiqué une décrue pour avril, période à laquelle la nature puise beaucoup dans la nappe phréatique, l'eau est toujours là , au ras des portes de caves. Paradoxalement, les sinistrés redoutent un reflux trop rapide qui accélérerait l'effritement du sous-sol. "Le pire reste à venir avec la décrue", déclarait récemment le maire de Tricot, Jacques Bocquet. En attendant, les sinistrés se préparent à batailler contre les compagnies d'assurances qui rechignent à les aider. Une enveloppe de 100Â 000Â francs, débloquée, vendredi 4Â mai, par le conseil général, leur permettra d'engager un avocat. Une autre enveloppe, de 5Â millions, a été attribuée par le conseil régional, mais elle est destinée à la fois aux sinistrés d'Abbeville et à ceux du "plateau"Â ; ce qui fera bien peu par commune et par "oublié".
Philippe Broussard
© Le Monde 2001
lafouine
http://www.cyberkata.org/
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