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Voilà l'article derrière le paywal :
À Meudon, guerre des sous-sols autour de déchets du Grand Paris
De somptueuses carrières, prisées des cataphiles et estimées pour leur qualité artistique et géologique, doivent être en partie comblées par des déchets de BTP. La mairie assure être guidée par le souci de sécuriser le site. Des opposants y voient un feu vert à la valorisation immobilière.
Jade Lindgaard
5 mai 2022 à 16h41
Le sous-sol de l’Île-de-France est-il le nouvel eldorado du Grand Paris ? C’est la question inattendue soulevée par un projet contesté de comblement d’anciennes carrières de craie à Meudon (Hauts-de-Seine).
Sous la colline Rodin, où le sculpteur vécut les vingt dernières années de sa vie, et où il gît pour l’éternité, enterré sous son célèbre
Penseur, s’étendent les carrières Arnaudet. Fermées au public, elles ont fourni de la chaux et la matière première du « blanc de Meudon », une poudre aux vertus nettoyantes, dès la fin du XIXe siècle.
Une centaine de galeries ont été creusées sur huit kilomètres, dont certaines en voûtes avec croisées d’ogives. Les photos les dévoilent somptueuses, semblables à une cathédrale ensevelie. On y cultiva des champignons de Paris jusqu’aux années 1960. Des fossiles rares y ont été découverts et leur acoustique a été étudiée par le CNRS.
Si bien que les carrières sont classées comme « site scientifique et artistique » depuis 1986. Elles sont aussi inscrites à l’inventaire national du patrimoine géologique et sont prisées des cataphiles du coin, ces visiteurs clandestins des dessous de Paris.
C’est là que 47 000 mètres cubes de déblais de chantier – soit une vingtaine de camions par jour pendant huit à neuf mois – doivent être déversés à partir de juin. Sur un peu moins de la moitié des carrières – 45 % de la surface des galeries, selon la mairie, soit environ 12 000 mètres carrés. D’après la préfecture, les carrières Arnaudet risquent un effondrement général : des piliers fragilisés pourraient s’affaisser, selon une étude de modélisation de l’Ineris, un institut public d’expertise des risques. Depuis dix ans, l’Inspection générale des carrières considère le site comme menacé et en interdit l’accès. En 1961, un effondrement de carrières à Clamart, tout proche, a tué vingt et une personnes et en a blessé quarante-cinq.
Vue de la carrière Arnaudet. © Photo Magdaleyna Labbé
Mais toute une communauté d’usagers et usagères, et de défenseur·es de ces carrières refuse la transformation de ce lieu cher à leur cœur en exutoire de BTP. Des habitant·es, des écologistes, des scientifiques et des associations de spéléo accusent la mairie de vouloir détruire ce trésor englouti pour le bénéfice du Grand Paris. Ils appellent à une
manifestation à Meudon le 15 mai.
« On ne fait pas ces travaux par plaisir ! », se défend le maire de Meudon (UDI), Denis Larghero.
« Je ne suis pas un vandale, je ne détruis pas, je ne pollue pas », assure Franck Deruère, directeur général des services techniques de la commune. Pour l’édile,
« il faut être modeste, c’est un sujet extrêmement technique et sensible ». Il s’en remet à l’avis de
« tous les organismes et instituts qui sont parties prenantes de ce sujet » et affirme ne pas avoir à
« choisir entre des principes constructifs », ni à
« aller contre des consignes de sécurité ».
Le marché des travaux de comblement des carrières a été remporté par ECT, une société spécialisée dans la gestion de déchets du BTP, pour 6 millions d’euros. Avec diverses subventions, la commune annonce n’avoir à payer que 2 millions d’euros. L’entreprise a la charge de tracer l’origine des remblais et d’en informer la mairie ainsi qu’un comité
ad hoc. Pour Magdaleyna Labbé, habitante de Meudon et mobilisée en défense des carrières :
« En quoi ça valorise un site historique de le polluer et de le détruire ? »
Comblement ou pas ?
C’est là que se loge une partie de la controverse : d’où viennent les remblais ? Du creusement des tunnels du Grand Paris Express, le gigamétro du Grand Paris actuellement en construction, qui génère des millions de tonnes de boues, gravats et terres souvent polluées ? La Société du Grand Paris, qui construit le métro,
« avait étudié la possibilité d’envoyer des déblais pour combler les carrières Arnaudet de Meudon, notamment avec les terres extraites de la ligne 15 Sud, mais les études réalisées n’ont pas confirmé la pertinence de choisir ce site pour des raisons de faisabilité opérationnelle », explique un porte-parole. Lequel prend la peine de préciser qu’
« en conséquence, ces carrières n’ont reçu aucune terre du Grand Paris Express et ne font pas partie des sites agréés par la Société du Grand Paris ».
Franck Deruère, directeur général des services techniques de la mairie de Meudon, amende légèrement cette version : les déblais
« ne viendront que très peu de la société du Grand Paris ». Et explique :
« [Il y a trois ans]
, nous avons reçu la SGP, qui était prête à y mettre des boues de tunnelier, mais nous avons refusé. Elles contiennent de l’eau et il est impossible de savoir ce qui s’y trouve. » Aujourd’hui, la commune s’en remet à ECT pour trouver des déblais de chantiers en cours,
« afin de savoir d’où ils viennent », et dans un rayon de 25 kilomètres. Ils doivent être constitués de terres inertes (marnes calcaires, calcaire, sable, gravier). Potentiellement, ils peuvent être issus de chantiers d’aménagement de sous-sols, de type parking.
Reste la pomme de discorde du dossier qui agite cette commune vallonnée aux portes de Paris : le risque de sécurité rend-il indispensable le comblement des carrières ? Jean-Pierre Gély, chercheur associé à la Sorbonne et membre du conseil scientifique du conseil régional du patrimoine, dit connaître la carrière depuis les années 1990 et assure ne voir
« aucune dégradation visible depuis cette époque ».
Selon lui,
« les faits d’observation contredisent le résultat de la modélisation » informatique de l’Ineris. Il siège à la commission régionale du patrimoine géologique, dont le comité scientifique est en désaccord, selon lui, quant à la nécessité du comblement. La modélisation a choisi une fourchette basse de paramètres qui tend à surestimer l’instabilité du site,
« alors que les mesures géotechniques physiques in situ
montrent à l’inverse qu’il n’y a pas d’évolution défavorable de la carrière ».
Quant à la comparaison avec l’effondrement de la carrière de Clamart en 1961, elle ne tient pas à ses yeux :
« Ce scénario ne peut pas se reproduire, car, à Clamart, les carrières n’étaient pas si bien structurées et se trouvaient sous une nappe aquifère », ce qui n’est pas le cas à Meudon.
Points remarquables protégés
Autre chercheur, spécialiste en géologie, Vincent Maury a alerté la mairie de Meudon sur le risque que les travaux de comblement feraient courir aux carrières Arnaudet, en menaçant leur système actuel de drainage. Mais la direction générale des services techniques de la commune estime que toutes les précautions seront prises sur le chantier.
Les carrières Arnaudet sont un
« site exceptionnel », doté d’une valeur scientifique
« indéniable », caractérisé par une faille qui a joué il y a 10 000 ans,
« que l’on voit bien, ce qui est rarissime », insiste le chercheur Jean-Pierre Gély. De son côté, la mairie promet que les centres d’intérêt géologique et artistique des carrières resteront accessibles et que les points remarquables seront protégés.
En 2019, le ministère de la transition écologique a accordé son autorisation aux travaux, à la demande de la mairie, et malgré le classement du risque, pour des raisons de
« sécurité publique ». Elle est signée de Paul Delduc, devenu ensuite conseiller d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Cette autorisation a fait l’objet d’une bataille judiciaire : saisi par l’association Vivre à Meudon, ainsi que par des organisations de spéléologie, le tribunal administratif l’a annulée, avant que la cour administrative d’appel ne contredise ce jugement et ne rétablisse, donc, l’autorisation.
Le comblement des carrières rouvrirait en toute logique des perspectives d’aménagement.
En arrière-plan se joue une troisième bataille, concernant cette fois l’urbanisation de la colline Rodin. Sur les coteaux pentus qui surplombent la Seine, les ateliers d’artistes du début du XXe siècle ont cédé la place à des habitations plus conventionnelles. Des parcelles sont restées en friche. Depuis une quarantaine d’années, la mairie de Meudon veut y construire de nouveaux logements et aménager un quartier
« harmonieux »,
« préservant les perspectives monumentales » du site.
Mais le classement des carrières en 1986 avait rendu ce projet
« inopérant », indique le dossier de demande d’autorisation de travaux. En 2008, une convention-cadre a été signée entre la commune et l’établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF),
opérateur public dont la mission est de débloquer du foncier constructible et d’accompagner les maires bâtisseurs, en vue d’aménager le secteur Rodin sur six hectares. Les objectifs de cet accord sont de
« participer activement à la relance de l’offre foncière en faveur du logement » notamment à vocation sociale, ainsi que de contribuer au
« développement économique de la ville ».
Le comblement des carrières rouvrirait en toute logique des perspectives d’aménagement. À ce jour, un
« parc urbain » est prévu en surface, au sommet de la colline. Selon l’autorisation spéciale de travaux du ministère de la transition écologique,
« aucune infrastructure n’est prévue ». Ce qui ne veut pas dire aucun logement ou bureau. Toute urbanisation sur la surface du périmètre des carrières classées est proscrite, selon la demande d’autorisation de travaux.
« Le terrain situé au-dessus des galeries comblées ne sera pas construit », assure la mairie sur son site. Mais tout autour, de larges parcelles sont classées
« à urbaniser ».
Et d’ailleurs, la colline Rodin fait partie des sites sélectionnés pour la troisième édition d’
Inventons la métropole du Grand Paris, un grand concours d’architectes et d’urbanisme, destiné à reconvertir des friches industrielles et à aménager les quartiers autour des gares du Grand Paris. Par ailleurs, en lien avec la construction de la nouvelle ligne 15 du métro, l’actuelle ligne 12 pourrait être prolongée jusqu’à Meudon. Une connexion qui ne pourrait que renforcer la valeur de l’immobilier du territoire.
À la fois technique et chargée d’affects, la controverse des carrières Arnaudet semble ouvrir un nouveau type de conflit d’usage du territoire urbain : en sous-sol. La mobilisation locale rappelle ainsi que le souci environnemental ne s’arrête pas à la surface des terres et concerne aussi ce qui se trouve sous nos pieds. Un monde enseveli, hérité d’un passé industriel et minier souvent oublié, que l’économie circulaire des déchets du BTP et du Grand Paris transforme en gisement de valeurs sonnantes et trébuchantes.
Jade Lindgaard