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Dans les sous-sols de la colonne de Juillet, ....
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L'esprit des lieux

Le pharaon de la bastille

Dans les sous-sols de la colonne de Juillet, au centre de la place de la Bastille, sont inhumées les dépouilles des insurgés tués lors des révolutions de 1830 et 1848. Et parmi eux, une momie !

Par Baudouin Eschapasse

En ce 29 juillet 1840, les employés des pompes funèbres parisiennes ont fort à  faire. Répartis en seize groupes différents, aux quatre coins de la capitale, ils piochent depuis l'aube sous les yeux de la maréchaussée pour mettre au jour les charniers des sanglantes journées de l'été 1830. En ce dixième anniversaire des Trois Glorieuses, Louis-Philippe a décidé de rendre hommage à  ces hommes et femmes qui périrent « pour la défense des libertés publiques ». A leur mémoire, il a fait édifier entre 1833 et 1839 une colonne de bronze de plus de 50 mètres de haut. L'édifice, surmonté par une statue dorée représentant le Génie de la Liberté brisant ses chaînes , comporte en sous-sol deux caveaux destinés à  accueillir les reliques des héros révolutionnaires.

Pour l'heure, il s'agit d'exhumer les corps enterrés à  la hâte sur les lieux mêmes des affrontements et de les transférer vers une « dernière demeure » plus digne. Place du marché des Innocents, au coeur de Paris, les croque-morts relèvent 55 squelettes. Soixante-six dépouilles sont retrouvées sous les pelouses du Champ-de-Mars, à  proximité du pont d'Iéna. On creuse même le trottoir de la rue Saint-Pierre-de-Montmartre, face au 5 bis, pour en extirper trois corps. Dans les jardins de l'hôpital Saint-Antoine, dans ceux du ministère des Affaires étrangères et jusque dans la caserne de Babylone... la même scène se reproduit. Au milieu des badauds accourus pour assister à  ce spectacle morbide, les cadavres sont déposés, dix par dix, dans de grands cercueils en bois de chêne, doublés d'une feuille de plomb, que l'on achemine ensuite vers l'église Saint-Germain-l'Auxerrois.

Devant les colonnades du Louvre, les employés municipaux exhument 58 corps, là  o๠le document de police n'en comptabilise que 57. Dans la précipitation, les fossoyeurs n'y ont pas prêté attention. Pourtant, un détail aurait dà» les surprendre : l'un des morts porte d'étranges bandelettes sur les bras et une partie du corps. Et pour cause ! Il s'agit d'une momie offerte, quelques années plus tôt, par le pacha égyptien Méhemet Ali à  Louis XVIII. Celui que l'on surnomme déjà  Â« le dernier des pharaons » n'a eu de cesse, depuis son accession au pouvoir en 1804, que se gagner les faveurs de la France. Il a, pour ce faire, littéralement inondé les gouvernements successifs de cadeaux. Après avoir offert à  Napoléon un obélisque mais aussi des bijoux, dont une épingle qui aurait prétendument appartenu à  Cléopâtre... et avant d'adresser à  Charles X une girafe, en 1825, le chef d'Etat égyptien a ainsi envoyé à  son homologue français un nouveau gage de son amitié. En l'occurrence : une momie millénaire.

La royale dépouille acheminée au printemps 1824 au Louvre, dans un précieux sarcophage en sycomore, a malheureusement beaucoup souffert du voyage. « La peau du pharaon est moite, une humidité froide pénètre son corps ; au creux de l'abdomen vide quelque chose grouille ; fourmille ; dans l'air monte une senteur inconnue... c'est l'eau de mer qui a pénétré dans la caisse, qui a tout dissous, tout corrompu ! » rapporte ainsi un témoin. L'état de putréfaction du corps est tel qu'il est décidé de l'enterrer immédiatement dans le jardin du Louvre. Là  même oà¹, quelques années plus tard, on inhumera les victimes des fusillades de la rue de Rivoli toute proche. D'o๠la méprise !

En cette matinée de juillet 1840, la momie est placée avec les autres, sur un corbillard immense - 14 mètres de long et près de 15 tonnes - que tirent péniblement quatre chevaux noirs, lourdement caparaçonnés. Dans la nef de Saint-Germain-l'Auxerrois tendue de tissu noir, installés autour d'un grand catafalque recouvert d'un drap sombre, parsemé d'étoiles d'argent, les parents des victimes, veuves et orphelins éplorés regardent entrer les cercueils un à  un, à  la lumière de près de 2 500 cierges. La garde nationale leur fait une haie d'honneur. L'ensemble des corps constitués est présent à  leurs côtés. On prie pour le repos des défunts. Y compris celui de notre pharaon. Berlioz a composé, pour l'occasion, une marche funèbre. Après l'homélie, on joue le Requiem de Cherubini.

Quelques heures plus tard, une foule innombrable converge vers la Bastille pour assister à  la dépose des corps dans les deux caveaux aménagés à  cet effet à  la verticale du canal Saint-Martin qui coule sous la place. A l'extérieur, sous un chapiteau géant accueillant plus de 4 000 invités, Louis-Philippe prononce un ultime éloge funèbre avant de dévoiler une plaque dorée « A la gloire des citoyens français qui s'armèrent et combattirent dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830 ». Une délégation pénètre dans le vestibule pavé de marbre blanc, débouchant à  droite sur une galerie circulaire, dont le sol a été recouvert de croix noires. Le long du monument, à  l'extérieur, sont gravés les noms des tués, de Pierre-Gentil Adet à  Jacques-Joseph Willehlm.

Lorsque les quatre portes des caveaux sont refermées, une lumière dorée filtre encore à  travers les fenêtres garnies de vitraux. Coà¯ncidence amusante, qui ferait sans doute sourire Anubis, dieu des morts de l'Egypte ancienne, l'endroit qui accueillera bientôt les corps des victimes de la révolution de 1848, était, jusqu'à  il y a peu, dédié à  la commémoration de la bataille des pyramides. L'Empereur y avait fait bâtir une fontaine en forme d'éléphant pour célébrer l'expédition militaire. Le pachyderme évoqué par Victor Hugo dans Les Misérables a été détruit en 1830. Des lions, symboles zodiacaux du mois de juillet dans l'esprit des architectes, lui ont succédé. Ces fauves veillent désormais sur le sommeil de ce pharaon inconnu, enterré par erreur sur les ruines de la prison de la Bastille. Comme d'autres montent la garde dans la vallée des Rois ou à  Abou-Simbel !


Repères

1789-1792
Destruction de la prison de la Bastille.
1813
Edification d'une statue d'éléphant par Napoléon.
1839
Construction de la colonne de Juillet.


© Historia mensuel - 01/03/2003 - N° 675 - Rubrique L'esprit des lieux - P 80 - 999 mots - Dossier : Baudouin Eschapasse

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