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Martin Parr aux commandes des Rencontres d'Arles
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Parr, le petit bout de la lorgnette

[Image: parr.jpg]

Le photographe anglais ne cesse de traquer le détail qui tue dans la vie quotidienne.


Lorsqu'il n'est pas en vadrouille, Martin Parr, star mondiale de la photographie documentaire et commissaire invité cette année aux Rencontres d'Arles, habite un coquet quartier de Bristol, dans le sud-ouest de l'Angleterre. Ce samedi de juin, il porte une chemisette bon marché et des sandales en cuir. Son allure très Anglais moyen dissimule un grand original. A 52 ans, il adore toujours collectionner les objets kitsch - dessous de verre russes, échantillons de papiers peints, babioles à  l'effigie des Spice Girls...

L'étroite bâtisse aux escaliers abrupts qui dégringolent vers un petit potager n'a rien du cabinet de curiosités que l'on pouvait imaginer. Sobres canapés, murs aux couleurs pastel décorés de quelques tirages noir et blanc... On est loin des univers qu'il photographie depuis des lustres, tape-à -l'oeil, colorés, surchargés, évoquant ce goà»t anglais si bien illustré par les tenues vestimentaires d'Elisabeth II. Seule la désormais célèbre et encyclopédique bibliothèque de livres de photos que Martin Parr chine à  travers le monde depuis trente-cinq ans prouve qu'on ne s'est pas trompé d'adresse.

Derek Hudson, le photographe qui nous accompagne, joue la carte de la parodie et lui tire le portrait façon Martin Parr : en gros plan et au flash, pour nimber le sujet d'une lumière crue, lui donnant un soupçon d'irréalité. Coopératif et impassible, Martin Parr attend que cet orage d'éclairs à  bout portant passe. Ses lèvres minces donnent souvent l'impression qu'il sourit, d'un petit sourire ironique, amusé par le spectacle auquel il assiste. Dans la superbe et scrupuleuse monographie (1) que l'écrivain Val Willliams lui consacre, on lit : « Les photographes sont habitués à  observer et non à  être observés. » Mais depuis une dizaine d'années, le plus célèbre des photographes britanniques est tellement rompu aux entretiens que presque tous ceux qu'il accorde se ressemblent : « En utilisant comme arrière-plan théâtral sa maison, invariablement décrite par les journalistes comme "géorgienne à  cinq étages", il a créé un personnage parfaitement lisse. » On cherche à  le cerner, lui se défile avec tact et patience.

Il y a dans les photos de Parr une nostalgie de la culture populaire anglaise. On en attrape des reflets, en marchant dans les rues de Bristol. Ces quartiers de petites maisons jumelles so british qui s'effacent devant des buildings sans âme. L'étonnante cape au décor floral d'une femme. Les murs surchargés de l'hôtel. Les pâtisseries aux couleurs criardes... Il porte dessus un regard à  la fois tendre, moqueur et obsessionnel.

Car Martin Parr est un obsessionnel. Comme son père, un fonctionnaire passionné par l'ornithologie. Gamin, il a consacré ses week-ends et ses vacances à  baguer les oiseaux, à  les observer. Et à  prendre ses premières photos. Il est rapidement devenu un compulsif de l'accumulation extravagante. Dans les années 60, dès l'âge de 13 ans, alors que ses camarades tombent dans la beatlesmania, lui se prend de passion pour le trainspotting. Un passe-temps qui consiste à  noter les numéros des locomotives que l'on guette pendant des heures entières... Martin Parr est fondamentalement resté un trainspotter. Un collectionneur de situations anecdotiques, absurdes ou cocasses. Le simple énoncé de ses thèmes donne le ton : « Couples qui s'ennuient » au restaurant, « Nourriture anglaise », « Japonais endormis »... Il traque l'ordinaire des stations balnéaires, accompagne ces nouveaux migrateurs qui colonisent la planète à  prix discount et qu'il observe au Parthénon, au pied de la tour de Pise ou à  Venise.

Lors de ses déplacements, ce tireur en séries n'oublie jamais de dévaliser les tourniquets de cartes postales et d'y piocher les plus « ennuyeuses », celles dont personne ne veut car trop datées. Martin Parr les réunit en albums : l'addition de ces images d'immeubles en béton, d'autoroutes, de voitures sur les parkings, aux Etats-Unis, en Allemagne, est un témoignage unique des rêves de modernité dans les années 50 à  70.

Martin Parr a le génie du détail. Il décèle le pe- tit truc qui cloche : une tache de bière sur une robe de cocktail, une mouche sur la capeline d'une élégante, la lueur fugitive d'angoisse dans les yeux d'une adolescente. Avec lui, on est très loin de la photographie documentaire à  la Cartier-Bresson, et on comprend qu'il ait eu beaucoup de difficultés à  être admis à  la fin des années 80 à  Magnum, cette coopérative de prestigieuses signatures de la photo. Certains le voient comme un cynique qui se moque des travers de ses contemporains, et tourne en dérision les sujets graves. Vous l'envoyez en reportage à  Jérusalem, et qu'est-ce qu'il en rapporte ? La photo d'un chameau harnaché pour les touristes. Au Portugal ? Le crâne d'un homme coiffé d'un chapeau paysan, vu de dos et en gros plan. Martin Parr ne s'affirmera vraiment qu'en 1986, avec la publication de The Last Resort, un reportage époustouflant de liberté sur la station balnéaire déglinguée de New Brighton. En abandonnant le prestigieux noir et blanc pour la couleur, qu'il utilise de manière éclatante, pour ajouter à  l'impact visuel, il impose une nouvelle approche documentaire, moins politique et plus provocante. Il pose plus de questions qu'il ne donne de réponses. La presse britannique l'éreinte. L'image de paupérisation accélérée qu'il donne de son pays en plein thatchérisme, avec ces gosses qui se baignent au milieu des détritus, est jugée trop aggressive. Pourtant, c'est cette exposition aux Rencontres d'Arles, qui fera de lui, selon Val Williams, « le photographe documentaire le plus important de sa génération ».

Anecdotique en surface, chaque cliché de Parr est une mine d'informations sur le quotidien, nos goà»ts vestimentaires, nos modes de consommation, nos ruées au supermarché ou nos coups de soleil sur les plages bondées. Nos égoà¯smes, la petitesse des rêves d'un Occident repu qui ne croit plus en rien. Martin Parr peut paraître cynique. Il ne milite pour aucune cause et n'entend pas changer le monde. La planète se déchire, on enrage, on s'angoisse. Lui, il se passionne pour les motifs de nos papiers peints. Mais au fait, n'est-ce pas souvent la seule chose qui nous préoccupe vraiment ?






Luc Desbenoit



(1) Martin Parr, de Val Williams, 156 photos, Ed. Phaà¯don, 352 p., 39,95 €.


Télérama n° 2843
[Image: gyrophare-petit.gif]
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