Mer. 12 Mai 2004, 14:58
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Sur Alapage, y' a écrit :Caractéristiques
Editeur : CERCLE D'ART
Collection : PHOTOGRAPHIES CONTEMPORAINES
Genre : BEAUX ARTS - BEAUX LIVRES
Date de Parution : 26/02/2004
Poids : 1032 grammes - ISBN : 2702207316 - EAN : 9782702207314
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Les trente et une images de Billancourt sont le fruit de plusieurs séances de prises de vues dans l'usine Renault de l'île Seguin. Antoine Stéphani a été parmi les sept photographes autorisés par Renault à pénétrer dans le site fermé. Dans ce haut lieu chargé de la mémoire sociale et industrielle du XXe siècle, il a privilégié avant tout un travail sur l'espace et sur certains des objets qui l'occupent encore. La composition rigoureuse, le rapport de l'espace et de la lumière, son observation détachée révèlent un aspect inattendu du lieu et le font apprécier esthétiquement, indépendamment de son identité et de son histoire.
Significatif de l'art de la photographie, le regard ici équilibre information objective et subjectivité. Par les vues d'Antoine Stéphani, on entre dans Billancourt par d'immenses volumes vides dont la perspective nous absorbe comme dans une cathédrale alors que la lumière se déverse par la verrière. Cohabitent une archéologie sombre, un espace qui semble prêt encore à accueillir les ouvriers et des lieux ressemblant à des compartiments d'un vaisseau intergalactique abandonné. Le présent de l'endroit manifeste par des traces de toute sorte le passé mythique, mais suggère aussi un futur imaginaire. On y découvre des labyrinthes de tuyauteries, des machines monstres, des machines presque sculptures. Alors que désormais les fonctions de ces installations nous sont inconnues, leur forme élaborée semble absurde. Elles sont devenues des machines dadaà¯stes, comme autant de métaphores ironiques du mythe de l'ère industrielle. Alignées sur le pont-toit de l'usine-vaisseau, elles semblent attendre un nouveau départ vers le large. Or nous savons, avec François Bon, qu'elles disparaîtront bientôt les premières au moment du démontage définitif de l'usine.
La série Billancourt d'Antoine Stéphani nous révèle un lieu chargé de mémoire, interdit et condamné à disparaître. Mais elle révèle aussi un photographe qui peut à la fois susciter l'émotion et stimuler notre imagination.
Billancourt, mémoire fer, par François Bon
"Nous quittons un siècle dont l'automobile a été l'un des principaux symboles. Elle a réorganisé le territoire, changé la donne des villes, transformé même l'art de la guerre. Et des trois, elle a reçu. Les dictateurs, les puissants passent devant les foules en voiture, et la famille française des années 50 que photographie Doisneau part à la conquête des collines en 4CV. L'aventure de l'automobile a duré un siècle, avant d'être rongée du dedans, devenue produit, étouffant les villes. Billancourt en fut le symbole, et le seul. Parce que l'utopie d'une île usine, bien en vue là o๠Paris respirait par sa première autoroute. Parce que château clos et secret, o๠l'industrie avait enfin palais complet, avec fonderies et selleries, pour fabriquer, après les chars et les canons des premiers temps, des moteurs d'avion, des locomotives, puis cette petite voiture crapaud par quoi les familles des villes s'en iraient reconquérir les provinces. Ce siècle a été l'ultime siècle du fer. Des forges pour pistons et vilebrequins, de l'emboutissage et du cisaillage des tôles, des tours et fraiseuses pour les alésages des soupapes, des machines à souder pour l'assemblage des châssis et moteurs. Et tout ceci fut dans l'île usine, ses dédales et ses cours. L'homme qui porta cette utopie (pourtant périmée sitôt qu'advenue, parce qu'incapable de grandir), construisit bien d'autres usines. Il avait des rêves d'empire, changea la notion même de capitaine d'entreprise, régulant le commerce, le crédit, achetant des carrières et des forêts, mais se brisa pour n'avoir su comprendre que l'art d'industrie doit garder une boussole aux temps troubles. Quarante ans de plus, et ce que Billancourt tout ce temps symbolise, c'est les mains qui s'y activent, agrafent, soudent, portent, vissent. Des milliers de mains. Milliers de visage qui chaque matin franchissent les deux ponts de l'île. Et de dix ans en dix ans, la profonde transformation des visages. Billancourt les symbolise tous, les hommes de métal, n'importe o๠qu'en ce pays ils travaillent, et maintenant ne travaillent plus. L'usine a fermé. Dix ans close. On a accordé quelques autorisations, très rares. Un homme est là , seul, son appareil photo sur un trépied. Il y a toute cette profusion à dire. Il y a cet univers rugissant encore de tous ses fantômes. Lorsqu'en ce pays nous disons Billancourt, nous en parlons comme chose nôtre. De mémoire nôtre, possession commune. Ces photographies ont choisi de palper les transparences de l'air, sous la nef qui s'écroule, et presque remettre en mouvement ces manettes de bronze, ou rouvrir ces casiers de fer o๠chacun, le matin, laissait sa peau civile pour l'habit ouvrier. Ce qu'il y a ici de beauté n'est pas une beauté de destruction ni de ruine. Elle est ce qui reste du travail, quand tout le reste du travail et des hommes est parti, sauf ce qui s'y cherchait de sens pour l'aventure commune.
àcrivant sur Billancourt à partir des photographies d'Antoine Stéphani, il me semblait mystérieusement tout reconnaître d'avance. Même sans requérir mon enfance de fils et petit-fils de garagiste de village, et de ce qu'était à nos yeux de gosse la majesté d'une usine automobile, au temps de la splendeur. Même sans requérir mes incursions d'adulte dans Billancourt en son déclin. Il se trouve que, de tout le vivant de cette usine, les photographies y étaient interdites. Du grouillement des hommes dans le vacarme du fer, de l'utopie qui s'accrochait là aux rampes de ciment, aux échelles de fer, nulle image. Rien que la proue de cette usine, tranchant droit l'eau du fleuve Seine, et convoquant en nous le siècle qui nous fit, et nos parents. Notre tâche, à Antoine Stéphani et moi-même, nous l'abordions comme responsabilité : comment saisir, dans l'abstraction vide de ce qui reste de Billancourt, l'impalpable d'une légende dont nous étions déjà le réceptacle ?"