Mar. 13 Mai 2003, 09:12
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LE MONDE | 10.05.03 | 13h49 ⢠MIS A JOUR LE 12.05.03 | 12h22
Ancien moulin reconverti en ministère, silo de brique transformé en dépôt d'archives, carreau de mine devenu "lieu de mémoire", charbonnage revivant sous forme de parc d'aventures scientifiques : le bassin houiller belge cherche un nouveau souffle sans renier son passé industriel.
Mons (Belgique) de notre envoyé spécial
La forteresse de brique qui se dresse sur les bords de la Meuse, aux portes de Namur, ne doit rien à Vauban, qui a fortifié la cité wallonne. C'est un ancien moulin industriel, reconverti en ministère. Un peu plus loin, des charbonnages se sont transformés à leur tour : celui de Marcinelle en lieu de mémoire et en Musée de la mine, celui du Crachet en parc d'aventures scientifiques.
Le Grand Hornu est devenu un actif Centre d'art contemporain (Le Monde du 28 septembre 2002). Le lavoir à charbon de Binche, monstre piranésien de béton, attend sa réhabilitation. A Mons, les anciens abattoirs, ainsi qu'une impressionnante casemate, doivent recevoir une nouvelle affectation.
Pilotée par l'Institut du patrimoine wallon (IPW), une politique réfléchie se met en place dans cette région francophone. Il s'agit de préserver les plus beaux fleurons de son architecture industrielle en leur trouvant de nouvelles fonctions. La sélection est difficile : c'est ici, entre Mons et Charleroi, sur le bassin houiller qui prolonge celui du Nord-Pas-de-Calais, que la révolution industrielle, venue de Grande-Bretagne, a fait ses premiers pas sur le continent, dans les premières décennies du XIXe siècle. La crise du XXe siècle finissant a laissé derrière elle une masse de chômeurs et les innombrables carcasses d'une activité défunte.
Mi-ville, mi-campagne, le territoire reste chaotique en dépit de la disparition de ces témoins sous une nouvelle végétation. Du haut du chevalement du Crachet, au sud de Mons, à 60 mètres au-dessus de cette plate contrée, on a une vue panoramique sur cette ancienne vallée industrielle. La plupart des cheminées encrassées de suie ont été détruites. La brique des édifices ressort à travers les arbres qui envahissent les vieux crassiers. Le "pays noir" est devenu vert et rouge.
L'ORIGINE OU LES CICATRICES
Rouge est donc la couleur de la minoterie de Beez. Comme tous les "bons moulins", elle a brà»lé plusieurs fois. Chaque fois, elle a été reconstruite. Le dernier incendie date de 1920, mais sa carcasse de brique a été édifiée en 1901. Les deux corps de bâtiment sont reliés par une passerelle. Celui qui abritait les machines accueille les bureaux du ministère wallon de la formation et de l'emploi. L'autre, celui des silos, aveugle, est désormais un dépôt d'archives régionales. Cette reconversion a été décidée en 1994, huit ans après la fermeture du site. A l'intérieur, la légère ossature de fonte a été respectée par l'atelier namurois de L'Arbre d'or, chargé de sa restauration. Andrée Putman et l'agence Ecart ont eu la charge des aménagements intérieurs, traités dans un souci minimaliste.
Le carreau de mine du Bois-du-Cazier, sur la commune de Marcinelle, a été fermé en 1967. La plupart de ses bâtiments de brique sont encore debout. Une immense tour de béton au dessin singulier surplombe le tout ; c'est le dernier puits construit, à la fin des années 1950. Il est hélas promis à la démolition. à'aurait dà» être le sort de l'ensemble du carreau, si le souvenir de la tragédie qui s'est déroulée ici en 1956 n'avait provoqué un mouvement d'indignation dans la population. Du coup, le Bois-du-Cazier, avec ses 25 hectares et ses trois terrils, a été promu lieu de mémoire.
A l'entrée, sur une stèle de marbre, les noms des 262 victimes sont gravées. Dans l'un des bâtiments, un espace est réservé au récit de la catastrophe. Quinze minutes de film, poignantes, sans pathos inutile, retracent les circonstances de l'accident. La visite du carreau, encore à moitié ruiné, pose le problème de la réhabilitation. Faut-il retrouver un état d'origine ou conserver les cicatrices, de l'histoire ? La réponse est sans doute à mi-chemin. On sera déçu, en revanche, par le Musée de la mine, auquel il manque un circuit cohérent capable d'expliquer les conditions de travail des mineurs. Quant au Musée de l'industrie, il ne mérite pas son nom : trop elliptique, il se borne à quelques machines sorties de leur contexte. Mais les travaux d'aménagement, qui ont déjà coà»té 15 millions d'euros, ne sont pas achevés.
De son côté, la ministre de la formation et de l'emploi, Marie Arena, défend bec et ongles le sauvetage du lavoir à charbon de Binche, entre Mons et Charleroi. Cette énorme construction cubique, inaugurée en 1954, a été utilisée à des fins industrielles jusqu'en 1992. Depuis, l'édifice de quelque 20 000 m2 est livré à lui-même. Ses abords sont devenus une sorte de décharge publique. Mais il n'a pas trop souffert de diverses occupations sauvages. Il est vrai que la bête est résistante.
Entièrement de béton, il aurait pu être imaginé par un ingénieur légèrement délirant, lointain émule de Piranèse. On déambule dans ces étages, avec un rien d'inquiétude, au milieu d'une forêt de piliers et de poutrelles. Il est quasi impossible de se repérer à travers ces volumes enchevêtrés o๠se multiplient les perspectives trompeuses. On emprunte des escaliers et des passerelles qui conduisent à d'improbables niveaux. Les planchers sont troués d'ouvertures aléatoires. On tombe sur des cuves suspendues, grandes comme des piscines. Pourtant ce plan apparemment absurde est parfaitement fonctionnel. Il a été conçu selon les impératifs d'une stricte logique industrielle.
LE CHEMIN DES WAGONNETS
Que faire de ce labyrinthe en trois dimensions, doté de 3 500 m2 de surfaces vitrées ? La ministre songe à installer des logements dans les étages supérieurs, les plus lumineux, à caser un dépôt d'archives dans les espaces les plus sombres et, ailleurs, un Centre des métiers d'art et de l'artisanat. Ce programme, dont le financement n'est pas encore chiffré, est-il adapté à une telle structure qui a l'avantage - ou l'inconvénient - d'être située à l'écart d'une ville ? Et, plutôt qu'un architecte, ce site étrange ne réclame-t-il pas, d'abord, l'intervention d'un scénographe imaginatif ?
C'est Jean Nouvel qui est intervenu sur l'ancien charbonnage du Crachet, à Frameries. Un travail à la fois visible et très respectueux de l'esprit de ce site devenu un parc d'aventures scientifiques (PASS). La longue passerelle, qui sert de sas d'entrée, emprunte l'exact cheminement des wagonnets à charbon : c'est le morceau de bravoure de l'architecte français. Fait, comme il se doit, à partir d'éléments industriels préfabriqués, le plan incliné conduit du lavoir à charbon, dont il ne reste plus que quelques éléments, vers la salle des machines, belvédère juché sur une vingtaine de hautes pattes de béton.
A côté, s'élève le chevalement, promu beffroi de cet ensemble voué désormais aux expositions scientifiques ou socioculturelles (l'alimentation, la génétique, l'argent...).
Les équipements qui accompagnent les quelque 10 000 m2 de ces salles d'exposition temporaires n'oblitèrent en rien les anciennes structures. La salle des trémies par exemple - 600 m2 d'un seul tenant - est devenue, après une intervention plus que minimaliste, une impressionnante crypte de béton semi-souterraine. Le PASS, ouvert depuis un an, aura coà»té 32 millions d'euros quand il sera entièrement achevé, en 2004. Il a déjà reçu 130 000 visiteurs, mais n'a pas encore trouvé sa vitesse de croisière. Il témoigne cependant de la volonté de s'appuyer sur la mémoire industrielle de la région pour lui insuffler un nouvel élan.
Emmanuel de Roux
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La catastrophe de Marcinelle
En Belgique, cette catastrophe minière est connue comme celle du Bois-du-Cazier, d'après le nom du carreau de la mine située sur la commune de Marcinelle, au sud de Charleroi. Le 8 aoà»t 1956, à la suite d'une fausse manÅuvre d'encagement, un incendie éclata dans le puits d'entrée d'air de la mine, à 975 mètres au-dessous du niveau du sol. Ce matin-là , 275 mineurs (en majorité d'origine italienne) étaient descendus au fond. Des sauveteurs descendirent dans les galeries à la recherche des survivants : treize remonteront bientôt à la surface.
Le 23 aoà»t, les recherches s'arrêtent. Le verdict tombe de la bouche d'un sauveteur : "Tutti cadaveri !" On compte 262 victimes, asphyxiées par les fumées toxiques. L'enquête fera ressortir la vétusté des installations, soulignée à plusieurs reprises par les ingénieurs. Aucun des dirigeants de la société minière ne fut condamné. L'exploitation reprendra en avril 1957, pour s'arrêter définitivement dix ans plus tard, les veines de charbon étant épuisées.
⢠ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.05.03
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