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[archive] Nouvel Obs: Sup. spécial s.sol de Paris sept 01
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Citation :DOSSIER BONDY (93)

Sous nos pieds, le cloaque

Jean Valjean n'y aurait plus sa chance. Dans les 6 300 kilomètres d'égouts franciliens, les risques d'intoxication chimique sont mortels. Reportage.

Un rasoir électrique, une plaque d'immatriculation, et même une arme... « Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils balancent », dit un égoutier.


Chaque jour, ils s'enfoncent dans les intestins de la ville. Marche pénible dans l'obscurité. De l'eau parfois jusqu'aux genoux. Les pieds englués dans la boue. Leur profession : égoutier. Ce sont les spéléologues de l'urbain. Un métier difficile et ingrat. La mise en bouche, c'est celle de l'égout.
14 h 30, Bondy (Seine-Saint-Denis). Les 80 kilos de la plaque de fonte retombent sur le trottoir dans un bruit sourd. L'équipe d'Alexandre Oublié, composée de cinq hommes, commence la visite d'un égout primaire, collecteur recueillant eaux de pluie et eaux usées, sous l'avenue Henri-Barbusse. Au bout d'un fil, un détecteur d'atmosphère est introduit dans le regard, la colonne verticale d'accès à  l'égout : une mesure de sécurité obligatoire en raison des risques d'intoxication liés à  la formation de gaz et aux rejets de produits chimiques. Relié par une corde à  la surface et équipé d'un casque à  lampe frontale, d'un harnais, de cuissardes, de gants et de son appareil respiratoire de survie, le premier de cordée descend les échelons rouillés de la cheminée, bientôt rejoint par deux autres membres de l'équipe. Les trois égoutiers entament leur excursion dans le boyau sombre et humide. Environ 1,2 kilomètre parcouru chaque jour. « En deux ans, on doit inspecter 51,9 kilomètres d'égouts visitables et 37,9 kilomètres de non visitables, ceux dont la hauteur est inférieure à  1,60 mètre », explique Alexandre Oublié, le chef d'équipe. Cet Antillais trapu, qui affiche vingt-trois ans de service, a la charge de l'un des huit secteurs de la Seine-Saint-Denis, département qui compte environ 1 300 kilomètres de collecteurs.
A 5 mètres sous terre, c'est le silence sépulcral. Et l'éclairage blafard des lampes frontales. Il faut avancer le long d'un tunnel ovale, de 2 mètres de haut et de 1,30 mètre de large. Au sol, des déchets de toutes sortes jetés dans les bouches d'égout — une plaque d'immatriculation, un rasoir électrique et même une arme — se mêlent aux eaux usées des riverains pour former une boue noirâtre et nauséabonde qui monte jusqu'aux chevilles. Armé d'un bâton, l'équipier de tête balaie le cloaque pour repérer les signes de fatigue du conduit : fissures, enduit éclaté, érosion, infiltrations, branchement bouché...
Les conversations usuelles de la surface se sont tues au profit du langage codé de la visite. « Branchement riverain à  27,10 mètres, pied gauche ; bouche avaloir à  32,40 mètres, pied droit », annonce ainsi laconiquement l'égoutier au fil de son exploration pendant que le second, équipé d'un « vélomètre », mesure la distance séparant le dernier regard de chaque trace d'érosion de la paroi. Fermant la marche, le chef d'équipe consigne chaque élément sur des feuilles représentant l'égout.
300 mètres parcourus. « Les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils balancent. Pour eux, une fois jetés, les déchets disparaissent. On n'en parle plus », lance Bernard, en tête de file. Les flottants, transportés par le débit de l'eau, poursuivront leur route jusqu'à  la station d'épuration. Quant aux déchets immergés, ils termineront leur course dans des chambres de dépollution. Plus larges et plus profonds que les conduits, ces bassins, répartis en plusieurs points du réseau, récoltent par décantation les matières solides les plus lourdes. D'énormes pompes aspirantes activées depuis la surface par des camions viendront les débarrasser de leurs immondices dès qu'ils seront remplis. Des boues qui seront ensuite acheminées vers les usines d'épuration d'Achères, dans les Yvelines, qui recueillent la totalité des eaux usées de Paris et 80% de celles du reste de l'Ile-de-France. Au total, 850 millions de mètres cubes d'eaux usées y sont traités par an.
Voilà  deux heures que les égoutiers avancent. A l'horizon, un faible halo de lumière est diffusé par une plaque d'égout soulevée en aval par leurs deux collègues restés en surface. Le détecteur d'atmosphère continue d'émettre un bip à  intervalles longs et réguliers, signe de l'absence de danger toxique. « Le plus grand risque là -dessous, outre les chutes, ce sont les intoxications, souffle Alex, en tapotant son appareil respiratoire de secours. Au moindre affolement du détecteur, tu enfiles ton masque et tu décampes vite fait. » Car chacun garde le souvenir des deux égoutiers morts, il y a quelques années. (Lire l'encadré ci-contre.)
17h30. Retour à  la surface après 500 mètres parcourus sous terre et une dizaine de tampons soulevés. Les égoutiers se soumettent alors à  une séance de décrassage sommaire des bottes, et les mains sont nettoyées au savon désinfectant dans le camion d'intervention. Détente et pause cigarette avant de revenir à  la « remise ». Douche obligatoire. Mathieu Aucher
Citation :GAZ TOXIQUES, URINE DE RAT...

Classés dans la catégorie des métiers à  risque, les égoutiers doivent se soumettre à  deux visites médicales par an. Outre les vaccins d'usage (tétanos, poliomyélite, typhoà¯de), ils doivent également être immunisés contre la leptospirose, véhiculée par l'urine de rat, et les hépatites A et B. Mais le mal le plus couramment rencontré reste la tendinite, attrapée après dix ans passés à  soulever des tampons.
Au-delà  des risques physiques et bactériologiques, tes agents de salubrité peuvent aussi s'exposer à  des dangers toxiques : rejets de produits chimiques et émanations de gaz toxiques. En particulier, l'hydrogène sulfuré, qui se forme à  partir de substances organiques en décomposition, est l'un des gaz les plus craints par les égoutiers. Mortel à  forte dose, il paralyse tes fosses nasales avant de plonger sa victime dans te coma. C'est pourquoi maintenant les égoutiers sont tous équipés d'un détecteur d'atmosphère, capable de repérer toute trace d'hydrogène sulfuré, mais aussi le manque d'oxygène.
M. A.


Retrouvez les photographies d'Emmanuel Gaffard dans l'Atlas du Paris souterrain
Parigramme, en librairie le 13 septembre.


Pièces jointes Miniature(s)



-- h2o
Sauvez une hague, mangez un cataphile.
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