Mer. 15 Juin 2005, 22:39
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Citation :DOSSIER : VOYAGE AU BOUT DES LIGNES
Un safari dans le métro
Un trekking au Népal, c'est bien. Une virée touristique dans le métropolitain parisien, c'est pas mal non plus. Surtout la nuit : stations fantômes, clochards oubliés, réclames du temps jadis...
Une poinçonneuse coiffée d'un calot bleu marine perfore les tickets avec le sourire. Des guides, en chemise vichy et canotier, orientent les visiteurs. Il est 23 heures et les ateliers de la RATP de la porte de la Villette ressemblent au décor d'une opérette d'Offenbach. Ce soir, ils sont 270, lampe torche et feuille de route à la main, à embarquer. Des curieux, des passionnés, des retraités, des membres d'un club de karaté en sortie de fin d'année. Destination : voyage au bout de la nuit, en métro.
Au milieu des noctambules, un jeune homme s'agite. Julian Pépinster a 28 ans. Il est l'un des fondateurs de l'Ademas (1), l'association qui organise ces virées dans le sous-sol parisien. Le métro, il est « tombé dedans » quand il avait 8 ans. Il rêvait de monter dans la cabine avec le conducteur. Le matériel sur pneu, les Sprague-Thomsom, le nom des stations : il a tout lu, tout retenu. Aujourd'hui, ses amis jurent qu'il en sait beaucoup plus sur le métro que n'importe qui à la RATP, o๠il émarge depuis deux mois. Pour organiser ces visites, quatre ou cinq par an, il a dà» négocier ferme avec la Régie. En souriant, il dit : « C'est plus facile de visiter le château de Versailles que le métro de Paris. »
Minuit. La visite des ateliers de réparation et de nettoyage, les plus vastes de Paris, s'engage sur un ton plutôt technique : « Un rail de métro pèse 52 kilos au mètre »... Regards inquiets des voyageurs, surtout dans les rangs du club de karaté : « Le prof nous a inscrits pour nous punir. » D'autres corrigent : « Il fait ça pour souder le groupe. »
Minuit et demi. Les passagers grimpent quelques marches d'un escalier en bois et s'entassent dans les wagons. Les néons s'allument, le convoi s'élance. François Pinçon, chanteur à moustache et à casquette, a installé son orgue de Barbarie au milieu de la rame. Au micro, Julian est lancé : « Au cours de la nuit, on va découvrir des stations de toutes les générations. » II ne s'arrête plus, n'oublie rien. Le carrelage blanc posé sur les voà»tes des galeries, symbole des préoccupations hygiénistes de l'époque Pasteur. Les stations aux carreaux orange (Oberkampf, Gare de lâEst), parce que « dans les années 60, tout était orange, l'intérieur de la cuisine, le canapé, même les cartes... » L'historique de la RATP, qui a « un joli statut mais pas d'argent » et qui, du coup, s'est convertie aux grands espaces publicitaires.
Première pause, station Cluny la Sorbonne, o๠un clochard a été oublié, endormi sur un banc. Les voyageurs se jettent sur le bar de fortune, François Pinçon chante Aznavour et Gainsbourg, les enfants dorment sur leurs sièges. Le métro repart, en toute liberté : cette nuit, il n'y a pas d'itinéraire qui tienne, pas de correspondance à emprunter. Quelques manoeuvres et la rame passe de ligne en ligne, la 7 jusqu'à Monge, la 10 jusqu'à Porte dâAuteuil ou encore la 8 pour revenir vers République. Gérard, ancien cheminot à la retraite, en est à son dixième voyage. Il parfait sa connaissance de « la géographie du réseau », connaît chaque raccordement, s'amuse à deviner le nom de la rue au-dessus de sa tête.
Deuxième arrêt, dans une station fantôme : Croix-Rouge. L'ancien terminus de la ligne 10 a été fermé au début de la Seconde Guerre mondiale, comme la moitié des stations. C'était le plan Daladier pour économiser l'énergie et les hommes. La station, trop proche de ses voisines, Mabillon et Sèvres-Babylone, n'a jamais rouvert. Au début des années 80, la RATP l'a transformée en décor publicitaire : une plage avec du sable et une baraque à glaces sous un parasol s'offraient à la vue des voyageurs. Véronique Sanson y a même tourné un clip. Aujourd'hui, il fait sombre, les murs sont couverts de tags (« Ouah, des peintures préhistoriques », s'amusent les trublions du karaté club) et des canettes de bière traînent sur le quai poussiéreux.
Grands-Boulevards, Bonne-Nouvelle et arrêt entre République et Strasbourg-Saint-Denis, à Saint-Martin. Cette station, fermée depuis 1939, fut créée pour l'exposition coloniale de 1931. A cette époque glorieuse, il y avait ici plus de personnel que d'usagers, et un trafic à faire pâlir d'envie le RER A. Sur les murs, des panneaux publicitaires, en faà¯ence ou en papier peint, reprennent les slogans des réclames de l'époque, pour l'eau de Javel ou la Maà¯zena. « Quel gâchis, commente une vieille dame. Il faudrait rouvrir. » Julian apprécie. « Les beaux ouvrages » du patrimoine, il ne s'en lasse pas. Comme le pont d'Austerlitz, illuminé depuis peu, o๠le métro marque un arrêt à sa demande.
5 heures. Le voyage touche à sa fin. François Pinçon a vendu quelques CD à « prix choc », enfants et parents piquent du nez, les karatékids sont fatigués, certains voyageurs trouvent le temps long. Pas Lucienne, 76 ans, « vieille Parisienne de banlieue ». Elle ne s'est pas départie de son sourire. Ni de ses vieux plans de métro et des coupures de presse qu'elle conserve à la main, dans une pochette plastique. Elle a même le macaron du premier jour de l'arrivée du métro à Gennevilliers. Enfant, elle habitait Malakoff, se baladait sur la ligne 6, aérienne, avec ses parents le dimanche, et s'amusait à réciter le plus vite possible toutes les stations de la ligne 12. Elle s'indigne du machisme souterrain : « La pauvre Louise Michel s'ennuie un peu, c'est la honte ! » L'année dernière, le 19 juillet, elle s'est envoyé une carte postale à elle-même : « Aujourd'hui, le métro a 100 ans, que de bons souvenirs ! » En dessous, elle avait ajouté des remerciements, à Fulgence Bienvenà¼e, le père du métro parisien.
Céline Cabourg et Maà«l Thierry
(1) Ademas : Association d'exploitation du matériel Sprague (sa vocation est de mettre en valeur le patrimoine historique du métro), 17, rue des Abondances, 92100 Boulogne ; 01-48-25-13-32. Visite : de 200 à 250 francs. Prochaine virée, le 27 octobre (2001).
Citation :Légende photos :
1 - Pause photos dans l'une des stations fermées au public.
2 - Minuit et demi : 270 passagers quittent les ateliers RATP de la porte de la Villette.
3 - Ci-dessus : leçon de mécanique. Les passagers peuvent jeter un coup d'oeil sous une rame surélevée. Ci-contre : Julian Pépinster, l'un des fondateurs de l'Ademas. Le métro, il est « tombé dedans » quand il avait 8 ans.
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Sauvez une hague, mangez un cataphile.
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