Ven. 27 Juin 2003, 16:02
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par Lito Tejada-Flores
article publié dans la revue Ascent, en 1967
Ce que je voudrais proposer dans cet article n'est pas une nouvelle réponse à la question: « qu'est ce que l'alpinisme? »,question à laquelle on ne peut fondamentalement apporter une réponse, mais plutôt une nouvelle manière d'en parler et d'y penser. L'alpinisme n'est pas un sport homogène mais plutôt un ensemble d'activités différentes (bien que reliées entre elles), chacune avec ses propres adeptes, son terrain spécifique, ses problèmes et ses satisfactions et, peut-être le plus important, ses propres règles. Je propose en conséquence de considérer l'alpinisme en général comme une hierarchie de jeux-d'alpinisme, chacun étant défini par un ensemble de règles et un terrain de jeu approprié.
Le terme de « jeu » semble indiquer une sorte de caractère artificiel qui est étranger à ce que nous ressentons affectivement lors d'une ascension. L'attrait des grandes parois réside certainement par-dessus tout dans le fait que, lorsqu'on en effectue l'ascension, on joue pour de bon. A la différnce du joueur de bridge, L'alpiniste ne peut pas simplement poser ses cartes et rentrer chez lui. Mais cela ne veut pas dire que l'alpinisme n'en est pas pour autant un jeu. Bien que les actions du joueur aient des conséquences réelles et durables, la décision de commencer à jouer est toute aussi gratuite et contingente que la décision de commencer une partie d'échec. En fait, c'est précisement parcequ'il n'y a pas d'obligation de grimper que nous pouvons qualifier l'alpinisme d'activité de jeu.
Les difficultés que l'on doit surmonter pour atteindre le sommet d'Indian à Berkley (bloc de rocher à proximité de la ville. N.d.T.) ou de la Main à Pinnacles National Monument ne sont guère du même ordre que celles qui défendent l'accès de la face ouest de Sentinel Rock, au Yosemite, ou de la face nord de l'Eiger. Les satisfactions personelles du grimpeur qui a résolu chacun de ses problèmes pourrait difficilement être comparées. En conséquence, un système de handicaps s'est peu à peu instauré pour rendre comparables les défis respectifs et maintenir le sentiment d'accomplissement de l'alpiniste à haut niveau dans chacune de ces différentes situations. Le système de handicaps est exprimé à travers les règles des différents jeux-d'alpinisme.
Il est important de se rendre compte tout d'abord que ces règles sont exprimées sur un mode négatif, bien que leur but soit positif. Elles ne sont rien d'autre qu'une série de « ne pas » : n'utilisez pas de cordes fixes, de relais, de pitons, de camps successifs, etc. La finalité de ces règles négatives est essentiellement protectrice ou conservatrice. C'est-à -dire qu'elles sont établies afin de préserver le sentiment d'accomplissement personnel ( moral ) de l'alpiniste, de l'absence de signification de succès obtenu par une simple victoire technologique.
Prenons comme exemple concret le jeu le plus complexe de la hiérarchie de l'alpiniste : le bloc. Il est par définition complexe, car il aplus de règles que n'importe quel autre jeu-d'alpinisme, règles qui interdisent pratiquement tout : cordes, pitons et assurage. Tout ce qui reste est un individu en face du problème que constitue le rocher. (on doit noter que l'assurage du haut relève de l'apprentissage de l'escalade, c'est à dire de l'entraînement, pour n'importe quel jeu d'alpinisme). Mais pourqoui tant de restrictions ? Uniquement en raison de la facilité d'accès aux blocs : ils ne se protègent pas eux-mêmes suffisamment. Il serait par exemple absurde d'utiliser une échelle pour atteindre le sommet d'un bloc de Fontainebleau, mais l'utilisation de cette même échelle pour franchir une crevasse dans la cascade de glace du Khumbu ne serait pas déraisonnable, étant donné que l'Everest se défend si bien que cette utilisation n'a aucun impact sur les chances de succès. Le principe de base d'un handicap est ainsi appliqué pour maintenir un degré d'incertitude quant à l'issue éventuelle, et de cette incertitude même résulte l'aventure et la satisfaction personelle de l'alpiniste.
D'une façon plus générale, je distingue une gamme complète de jeux-d'alpinisme classés en foncton de la complexité (ou du nombre) de leurs règles. Plus on s'élève sur l'échelle, plus les objectifs de l'alpiniste deviennent inaccessibles et formidable, et, en conséquence, ce dernier a besoin de moins de limitations pour conserver la pleine mesure du défi et de la satisfaction inhérents au jeu d'alpinisme qu'il joue. Au sommet de la hierarchie, nous trouvons le jeu-d'expédition, qui, bien que compliqué à organiser et à jouer, est, considéré sous l'aspect formel, le plus simple de tous les jeux, car de fait rien n'est interdit à l'alpiniste. La récente utilisation d'avions et d'hélicoptères montre de façon exemplaire l'absence totale de règles qui prévaut dans le-d'expédition à l'état pur.
Si des variantes de jeux sont apparues dans des circonstances isolées et spécifiques dans différents pays, on peut distinguer les sept jeux-d'alpinisme de base suivants :
1. Le jeu de Bloc. Nous avons déjà parlé du jeu de bloc, mais il est à noter que les règles de base du bloc éliminent non seulement l'assurance mais aussi les compagnons. Le grimpeur de bloc est par essence solitaire. De fait, lorsque nous considérons l'alpinisme solitaire, à quelque niveau de difficulté que ce soit, il ne s'agit que de l'application des règles du bloc à d'autres jeux-d'alpinisme. Cela dit, on trouve ce jeu dans tous les pays o๠l'alpinisme existe, bien que le nombre d'alpinistes qui s'en font une spécialité soit plutôt faible.
2. Le jeu-d'alpinisme de Falaise. L'escalade en falaise, en tant que forme de jeu pure, a atteint sans aucun doute son expression la plus achevée dans les îles Britanniques. Elle est pratiquée sur des falaises de dimensions modestes les voies comportant en moyenne de une à trois longueurs de corde. En raison de leurs dimensions limitées et du temps dont dispose l'alpiniste, de telles voies ne sont pas redoutables au point de nécessiter une approche avec l'aide de tous les moyens de l'arsenal dont dispose l'alpiniste (elles peuvent cependant présenter des passages de difficulté comparable à n'importe quelle autre ascension). Le jeu consiste essentiellement à en réaliser le parcours en libre en utilisant des procédés d'assurance limités et très précisément définis. L'utilisation des pitons est évitée ou, dans dans des cas précis, limitée à un minimum absolu. L'alpinisme de falaise à l'état pur est un jeu qui n'est guère pratiqué dans ce pays, sauf dans des sites comme Pinnacles National Monument, o๠le rocher est pratiquement impitonnable. Il y a néanmoins un certain nombre de sites aux Etats-Unis comme les Shawangunks (Etat de New-York. N. d. T) o๠le jeu de falaise pourrait être pratiqué avec plus de rigueur.
3. Le jeu-d'alpinisme d'Escalade rocheuse continue. C'est le jeu le plus connu des grimpeurs californiens. Il diffère du jeu de falaise en ceci qu'il autorise le grimpeur à utiliser la gamme complète du matériel d'escalade selon sa libre appréciation et autorise le recours à l'artificielle. Ce jeu devrait être essentiellement joué dans des voies plus importantes, comportant de nombreuses longueurs de cordes, o๠l'utilisation des moyens mécaniques par le grimpeur est limitée par le temps s'il veut pouvoir sortir en haut. Des itinéraires plus courts devraient toujours être abordés comme des jeux plus complexes comportant des règles plus strictes.
4. Le jeu des grandes parois. Ce jeu se pratique aussi bien sur les grandes parois du Yosemite que dans les Dolomites et ailleurs. Il se caractérise par les longues périodes de temps passées en paroi et par le fait que chaque membre de la cordée n'a pas à grimper effectivement dans toutes les longueurs (c'est-à -dire que les grimpeurs qui remontent sur corde fixe peuvent permuter d'un jour à l'autre et être néanmoins crédités de l'ascension de la voie toute entière). L'utilisation de la gamme complète de l'équipement technique et logistique est autorisée. Dans le jeu moderne des grandes parois, l'utilisation de cordes fixes depuis la base et les tentatives répétées de préparation de la paroi ne sont plus autorisées (voir II), et une distinction rigoureuse est encore faite entre passages et longueurs de libre et d'artificielle.
5. Le jeu-d'alpinisme alpin. Dans la montagne alpine, le joueur rencontre pour la première fois l'éventail complet des forces hostiles présentes dans l'environnement montagnard. En plus des problèmes de longueur et de logistique, il trouve des dangers objectifs accrus sous la forme de chutes de pierres, de mauvais temps et de froid extrême, et de mauvaises conditions telles que le verglas. Toutes choses qui amènent à assouplir encore davantage les règles formelles du fait que le succès du jeu peut souvent résider dans la simple survie. En montagne alpine, l'emploi des pitons est évité autant que possible en raison des pertes de temps dans des situations o๠la vitesse est synonyme de sécurité, mais, là o๠les pitons sont utilisés, la tendance est de s'en servir également comme prises. Les règles de ce jeu ne demandent donc pas que toutes les longueurs de corde soient franchies en libre. Les handicaps supportés par le joueur sont davantage déterminés par les caractéristiques de la montagne et de l'itinéraire que par un ensemble de règles acceptées d'avance.
6. Le jeu Super-Alpin. C'est le jeu apparu le plus récemment et il est encore mal compris. Il exclut les techniques d'expédition sur des terrains o๠elles auraient traditionellement été adaptées. Sa seule règle de handicap est que la cordée doit être autonome. Tout lien de type ombilical aves une base sà»re, tels que les camps successifs, cordes fixes, etc., est désormais proscrit. Cette règle implique un surcroît d'engagement qui engendre d'emblée une incertitude accrue quant au succès escompté, ce qui rend la vicoire d'autant plus significative. Les grands itinéraires alpins en conditions hivernales extrêmes offrent fréquemment un terrain propice aux ascensions super-alpines. Parmi les premières voies super-alpines classiques, on peut citer la face sud de l'Aconcagua, l'ascension du Cerro Torre par Egger et Maetri et la première ascension hivernale de la face nord de l'Eiger.
7. Le jeu de l'Expédition. J'ai déjà mentionné le manque de règles dans ce jeu, mais je tiens à souligner qu'il y anéanmoins des différences en matière d'engagement personnel d'une expédition à l'autre. A titre d'exemple, les membres de l'expédition allemande au Broad Peak qui ont porté eux-mêmes toutes leurs charges durant l'ascension ont en un sens, joué un jeu plus difficile que celui de l'expédition himalayenne ordinaire qui progresse sur la montagne grâce au dos des Sherpas.
Il est à noter que le classement des jeux-d'alpinisme qui précède ne constitue pas une tentative visant à dire que certains jeux sont meilleurs, plus difficiles, ou ont plus de valeur intrinsèque que d'autres. On se souvient que la finalité même de la structure de jeu est d'égaliser de telles connotations de valeur entre les jeux, en sorte que l'alpiniste qui joue l'un quelconque de ces jeux selon son ensemble propre de règles puisse éprouver un sentiment d'accomplissement personnel qui soit pour le moins comparable. Bien évidemment, chaque type de jeu aura toujours ses propres adeptes, ses propres classiques, héros et mythes. L'objectif réel d'une classification hierarchisée des jeux-d'alpinisme n'est cependant pas de porter des jugements sur un jeu ou ses joueurs, mais plutôt d'avoir une échelle utile pour débattre en matière d'éthique de l'alpinisme, dans la mesure o๠le comportement non éthique implique une inobservation de certaines règles.
II
A l'intérieur de notre nouveau cadre, nous pouvons maintenant dissiper certains malentendus concernant l'éthique de l'alpinisme. Faire de l'alpinisme conformément à l'éthique signifie simplement respecter l'ensemble de règles du jeu d'alpinisme que l'on joue. Réciproquement, une pratique non éthique a lieu lorsqu'un alpiniste tente d'utiliser un ensemble de règles approprié à un jeu situé plus haut sur l'échelle que celui qu'il joue effectivement (c'est-à -dire un ensemble de règles moins contraignant). En appliquant cette idée à la controverse sur les pitons à expension qui a animé les discussions éthiques parmi les alpinistes durant ces dernières années, on peut constater qu'il n'y a rien de non éthique en soi en matière de pitons à expension : simplement, leur emploi est interdit par les règles de certains jeux-d'alpinisme et non par d'autres. Dans certains jeux la question se dépouille de toute signification, car, comme Bonatti le souligne, dans une grande paroi mixte, les expansions ne peuvent garantir le succès, quel que soit leur nombre, alors même qu'un excès dans leur emploi mènera à l'échec par manque de temps.
J'ai jusqu'ici supposé que les règles des différents jeux-d'alpinisme étaient fixes. Il n'en est bien entendu pas ainsi, les jeux et leurs règles étant sujets à une évolution lente mais constante. Le problème central de l'éthique de l'alpinisme est en fait la question : qui fait les règles de ces jeux ?et, accessoirement : comment évoluent-elles avec le temps ?
En y réfléchissant, il me semble que les règles des différents jeux-d'alpinisme sont déterminées par la communauté des alpinistes dans son ensemble, mais moins par les alpinistes voisins des deux extrêmes du niveau d'aptitude.
L'un de ces éléments est constitué par ces personnalités pusillanimes qui souhaitent surmonter chaque nouvelle difficulté en recourant à quelque subterfuge technologique plutôt qu'en s'investissant personellement dans un contexte contraignant. L'autre groupe est celui du petit noyau des alpinistes de l'élite dont la préoccupation essentielle n'est pas simplement de grimper conformément à l'éthique mais de minimiser le rôle de la technologie et d'accroître celui de l'effort personnel afin de réaliser des ascensions avec un meilleur style. Mais, avant de parler du style et du rôle de l'alpiniste de l'élite dans l'évolution de l'alpinisme, je souhaite développer mon idée que la majorité des alpinistes sont responsables des décisions concernant les règles d'un jeu-d'alpinisme donné.
Quelle que soit son origine, un ensemble de règles doit être consacré par l'usage et l'acceptation générale. Ainsi, la façon dont les bons alpinistes ont toujours accompli leurs ascensions devient la façon traditionelle de les mener à bien : les règles deviennent classiques et constituent une éthique minimale pour une ascension donnée, définissant du même coup le jeu-d'alpinisme auquel elle appartient.
Mais qu'en est-il des nouvelles voies ? A un moment donné il y a relativement peu d'alpinistes dans la communauté capables de réaliser des premières ascensions significatives ; ces derniers feront partie de l'élite créative dont nous avons fait mention. La question suivante se pose : le style des premiers ascensionnistes doit-il s'imposer aux répétiteurs ? Je pense que non, bien que leurs approches et leurs attittudes constituent une référence pour les cordées suivantes. Les exemples de cas o๠la première ascension n'a pas servi de modèle pour les ascensions ultérieures sont presque trop nombreux pour être recensés. Le fait que Jeff Foot ait fait la première ascension de Patio Pinnacle (au Yosemite. N. d. T .) en solo, ou que Bonatti ait réalisé sa première au pilier sud-ouest du Petit Dru de la même façon, n'a pas incité les alpinistes qui les ont suivis à se sentir obligés de s'en tenir aux règles difficiles de la première ascension. De même, le fait que la première ascension de la face nord de l'Eiger ait été faite dans la tourmente n'a suggéré à personne de soutenir sérieusement que les cordées ultérieures devraient attendre le mauvais temps avant de se lancer dans la face. Une sorte de prudence collective joue en la matière en écartant les styles extrêmes, au-delà des capacités de la majorité des alpinistes compétents grimpant à un moment donné.
Quel est donc le rôle de la petite minorité d'alpinistes de l'extrême dans l'évolution des jeux-d'alpinisme ? Pour le comprendre, il est nécessaire d'introduire tout d'abord la notion de style d'alpinisme. Le style peut être défini comme le choix conscient d'un ensemble de règles pour un jeu-d'alpinisme donné. Ainsi donc, si un alpiniste suit les règles acceptés pour un jeu donné, il grimpe à la fois en style classique et de façon éthique. Mauvais style et alpinisme non éthique sont synonymes et consistent en l'adoption de règles d'un jeu plus simple (plus élevé dans la hiérarchie), par exemple l'alpinisme de montagne alpine par rapport à l'expédition. D'un autre côté, un alpiniste peut choisir de grimper en meilleur style, et grimper en l'occurrence de façon éthique, en adoptant les règles d'un jeu inférieur dans la hiérarchie au jeu qu'il joue effectivement. Un bon exemple serait la manière dont John Gill a appliqué les règles du bloc à certains problèmes d'alpinisme de falaise, réalisant des passages extrêmement difficiles sans protection à une grande hauteur au-dessus du sol.
Le petit noyau de grimpeurs d'élite peut de la sorte s'exprimer en grimpant en meilleur style que l'alpiniste moyen (à la façon d'aristocrates jouant un jeu plus exigeant que celui de la majorité démocratique), ce qui ouvre un espace suffisant à l'expression personnelle tout en évitant, semble-t-il, le traditionnel rôle de l'aristocratie en matière de leadership et de direction. En fait, le rôle de leaders de ces grimpeurs vis-à -vis de la majorité n'est qu'indirect leur responsabilité n'est pas tant de déterminer et d'instituer de nouvelles règles éthiques fonctionnant comme normes que d'en montrer la praticabilité en grimpant avec un style supérieur et conséquent. Ce faisant, ils posent des jalons dans le sdirections d'évaluation possibles des jeux-d'alpinisme, ce qui est la seule façon dont les changements peuvent se produire, si l'on refuse de subir les finasseries des fabricants de matériel.
Que l'on me permette de donner un exemple. Le plus parlant est la manière dont les règles du jeu des grandes parois ont évolué dans la vallée du yosemite grâce à l'influence des meilleurs grimpeurs du moment dont la préoccupation première était de réaliser leurs propres ascensions dans le meilleur style possible plutôt que d'imposer un ensemble arbitraire de règles à la communauté des grimpeurs. Après que la praticabilité de l'ascension des plus importantes parois de degré VI (Tejada-Flores parle ici du degré californien d'ensemble, qui se réfère à des itinéraires de plusieurs jours. N. d. T.) sans recourir à des tactiques de siège eut été prouvée, les alpinistes furent suffisamment impressionnés pour accepter cette nouvelle approche comme règle de base, à tel point qu'aujourd'hui même les alpinistes n'appartenant pas à la communauté grimpante du Yosemite (comme les deux Français qui firent le Nose à El Capitan au primtemps 1966) l'accepte comme allant de soi.
D'une façon moins spectaculaire, les règles de tous les jeux-d'alpinisme sont constamment sujettes à changement : elles deviennent de plus en plus restrictives de façon à préserver le défi fondamental que recherche l'alpiniste des incursions d'une technologie en pleine évolution. Le laisser-faire actuel des jeux supérieurs disparaît lentement par décalage vers le haut de la complexité des règles.
La victime prévisible sera bien entendu le jeu de l'Expédition qui disparaîtra complètement lorsque le jeu Super-Alpin le supplantera. Ce dernier est non seulement le plus récent mais, en un sens, le plus créatif des jeux-d'alpinisme, car en ce cas, la nature des difficultés rencontrées est tellement sévère qu'il s'écoulera beaucoup de temps avant que les avancées technologiques commencent ne serait-ce qu'à empiéter sur la satisfaction personnelle du grimpeur. Les possibilités sont par ailleurs immenses. Il est même possible d'imaginer le jour oà¹, équipée d'un matériel de bivouac ultra-moderne, une cordée de deux alpinistes partira pour faire un sommet de 8000 mètres tout comme aujourd'hui l'on part faire une voie dure au Grand Teton (au Wyoming. N. d. T.) ou au mont Blanc.
Je pense qu'à ce point cet article devrait toucher à sa fin. Non que les spéculations concernant l'avenir de l'alpinisme soient futiles ou inintéressantes, mais parce que nous nous sommes déjà suffisamment éloignés de notre sujet initial. Que l'alpinisme continuera d'évoluer est une certitude, bien qu'il soit beaucoup moins certain que la notion de jeux-d'alpinisme soit la meilleure base pour envisager cette évolution. Mais cette base, ou tout nouveau cadre pour penser à , et parler de, ce que nous faisons effectivement lorsque nous grimpons est certainement au moins une étape valable en direction du futur.
cité dans: L'alpinisme: un jeu?
les notions de jeu, de libre et de nature dans le discours de l'alpinisme.
David Belden eds Aroura 1994