Sam. 18 Nov. 2023, 19:34
0 | 0 | ||
Des visiteurs laissés pour morts dans les catacombes de Paris : une fake news à plus de 55 millions de vues sur les réseaux
L’influenceuse de TikTok et d’Instagram Americanfille connaît un succès extraordinaire avec une vidéo qui véhicule une fake news sur les catacombes interdites de Paris.
Par Ronan Tésorière
Le 15 novembre 2023 à 15h47, modifié le 15 novembre 2023 à 16h25
Le compte Instagram d'Americanfille à l'origine de la fake news sur les catacombes de Paris. Instagram.
« Les gens qui vivent à l’intérieur viendront vers vous, vous débarrasseront de votre lampe et de votre carte, et vous laisseront là, jusqu’à ce que vous mouriez ! ». Ces mots forts proviennent d’une vidéo très populaire ces derniers jours sur les réseaux sociaux. L’autrice ? Amanda Rollins, alias Americanfille, une influenceuse de nationalité américaine vivant à Paris qui publie du contenu sur TikTok et Instagram, et suivie par près d’1 million d’abonnés.
De quoi parle cette jeune Américaine, qui a choisi de vivre dans la capitale ? De l’un des lieux emblématiques de Paris. Les catacombes, plus exactement du réseau de galerie des carrières souterraines qui se situent sous la ville. La légende de sa vidéo se veut assez explicite : « Pourquoi il ne faut jamais aller dans les catacombes de Paris tout seul (en dehors de la visite guidée). C’est risqué, les gars, et en plus c’est illégal ». Jusque-là rien à redire, à ce conseil a priori à destination d’un public anglophone.
Mais voilà, le hic c’est qu’Amanda Rollins, ajoute, dans sa vidéo une anecdote, qui selon elle lui vient d’un ancien petit ami français. Elle évoque, les cataphiles, les personnes passionnées de ce réseau souterrain qui hantent occasionnellement les galeries depuis de nombreuses années. Selon l’influenceuse, ces derniers pourraient potentiellement agresser les visiteurs « indésirables » susceptibles de s’être aventurés dans le réseau en quête de frissons. Une anecdote qui, jure Amanda Rollins, « arrive vraiment ».
Cette « information » partagé à sa communauté connaît un succès incroyable. Le post TikTok et Instagram compte déjà plus de 55 millions de vues, en moins d’une semaine de publication !
Incidents et « cataflics »
Le gros problème, c’est que cette anecdote ne repose sur aucuns faits avérés. « C’est totalement faux. Évidemment, il n’y a pas de mort ni de racket dans les catacombes du fait des cataphiles », a confirmé au Parisien ce mercredi, Sylvie Gautron, major au Groupe d’intervention et de protection (GIP), de la police, qui s’occupe de la sécurité de ces lieux si particuliers. « Il peut il y avoir des incidents mais rien de ce qu’elle décrit », ajoute celle qui se définit elle-même comme une « cataflic », après avoir visionné la vidéo. « Je rappelle tout de même qu’il est strictement interdit d’y aller. En cela, au moins elle a raison », nuance l’officier de police. Ainsi chaque jour, à Paris, des patrouilles descendent dans les catacombes. Ils sont 110 agents à y être habilités.
Pour Gilles Thomas, historien, et auteur de « Les Catacombes. Histoire du Paris souterrain » (édition Le Passage), le mot même de catacombes « est une usine à fantasmes ». « Le principe des réseaux sociaux, c’est de créer une information qui sera répercutée au maximum », fulmine le spécialiste des « galeries de servitude établies au niveau des anciennes carrières souterraines de la ville de Paris », le nom officiel de ce réseau. « C’est sûr qu’un nom comme ça ne fait pas le buzz », s’amuse-t-il.
Un seul mort… en 1793 !
« Le mot catacombes a toujours été mal utilisé depuis 1786, et l’inauguration de l’ossuaire municipal de Paris, qui sont les vraies catacombes. Mais ce qui est aujourd’hui un musée ne représente qu’1/700e de la surface des anciennes carrières de Paris », rappelle notre historien du sous-sol parisien, véritable gruyère (NDLR, français), sous la capitale.
« La seule chose qui se passe éventuellement, c’est que certains cataphiles, qui descendent, s’ingénient à allumer des fumigènes pour désorienter des touristes ou la police. Mais on a toujours retrouvé les personnes égarées », rappelle l’auteur de « Paris sous Paris » (Hachette), ce que confirme aussi le GIP de la police parisienne.
« Il n’y a eu qu’une seule personne décédée dans les catacombes, c’était en 1793 ! On a retrouvé son squelette en 1804. Il s’appelait Philibert Aspairt. Il travaillait à faire des consolidations sous la ville et s’est égaré. Sa tombe est toujours sur place », précise Gilles Thomas. L’imaginaire propre aux catacombes est donc propice aux fake news assurent également nos deux interlocuteurs. Les cataphiles seraient d’ailleurs eux-mêmes souvent à l’origine de ces rumeurs morbides ou loufoques. « Ça les amuse parfois de nourrir les fake news, sur les galeries. Par exemple, on peut trouver un plan de carrières sous la place des Vosges. Alors qu’il n’y en a pas sous la place. Le but est de dissuader les personnes profanes d’y aller », conclut notre historien.
Jointe par le Parisien, l’influenceuse Amanda Rollins a tenu à s’excuser de sa méprise, dépassée par le succès de sa propre vidéo. « Personne ne meurt dans les catacombes », a-t-elle convenu, expliquant qu’après discussion avec son ancien petit ami, il avait un peu exagéré son anecdote à l’époque où il lui avait racontée. Pour mettre les choses au clair, elle a depuis publié une seconde vidéo uniquement sur TikTok pour préciser qu’il n’y avait pas eu de morts « depuis longtemps » dans les catacombes… Cette vidéo n’a été vue que 5, 4 millions de fois. La vidéo originale est quant à elle la plus vue de l’histoire du compte de la jeune femme.
--Glückauf--