Mer. 20 Nov. 2002, 00:15
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Citation :Swissmetro, la fin d'un rêve à 500 km/h Sylvain Besson et Nicolas Dufour
C'est la fin d'un rêve: le projet Swissmetro, ce train à lévitation magnétique qui devait traverser la Suisse en une heure dans un tunnel souterrain, a vécu. Le 6 décembre prochain, annonçait lundi L'Agefi, les actionnaires de la société de promotion Swissmetro devront se prononcer sur une réduction drastique du capital de l'entreprise et entériner le départ de plusieurs dirigeants, notamment celui du secrétaire du conseil d'administration Pierre Weiss. L'équipe qui a porté le projet depuis 1990 a capitulé devant l'absence de perspectives de développer un jour, en Suisse, ce moyen de transport ultra-rapide.
La mort de Swissmetro était en fait programmée depuis le 26 juin dernier. Ce jour-là , le conseiller fédéral en charge des Transports, Moritz Leuenberger, adresse aux dirigeants de Swissmetro une lettre en forme d'ultimatum: la société doit apporter dans les six mois des réponses aux questions sur le financement du projet, faute de quoi la demande de concession pour une ligne souterraine Genève-Lausanne, déposée en novembre1997 déjà , serait considérée comme abandonnée. Un an et demi après le dépôt de cette demande de concession, le Département fédéral des transports (DETEC) avait demandé une première fois à Swissmetro de préciser comment son projet serait financé, sans recevoir de réponses satisfaisantes. Sa demande risque d'être déçue encore une fois: «En l'état, explique Pierre Weiss, j'avoue qu'on ne peut pas donner de réponses, mais je vais demander une prolongation du délai fixé pour répondre.»
Selon des sources proches de l'administration, l'équipe dirigeante du projet Swissmetro est responsable de cet échec. «Il aurait fallu démontrer la faisabilité technique du projet au cours des cinq dernières années, mais cela n'a pas été fait, regrette un initié. Au lieu de cela, les dirigeants de Swissmetro ont perdu du temps à rechercher des partenaires industriels, ils ont continué à parler de projets d'avenir comme la liaison Genève-Lyon ou la réalisation d'un Eurométro entre grands centres européens. Ils ont mis la charrue avant les bÅufs en déposant trop tôt leur demande de concession pour la ligne Genève-Lausanne, dont la réalisation coà»terait des milliards de francs.»
L'échec est également patent en ce qui concerne la collecte de fonds privés: «L'économie privée, que ce soit à Zurich, Bâle, Bruxelles ou ailleurs, n'a pas mis un sou, précise cet interlocuteur. Le projet est sous perfusion depuis deux ou trois ans.» L'engagement de Price Waterhouse pour démarcher de nouveaux investisseurs n'a pas eu le succès escompté. A plusieurs reprises, le président du conseil d'administration de Swissmetro, l'ancien conseiller national tessinois Sergio Salvioni, a été obligé de quémander les fonds nécessaires à la poursuite du projet à ses deux amis du Conseil fédéral, Moritz Leuenberger et Pascal Couchepin, qui semblent être les derniers membres du gouvernement à s'intéresser encore au projet.
L'explication de Pierre Weiss, le secrétaire démissionnaire, est bien différente: «Le secteur privé ne pouvait pas consacrer des ressources à ce projet sans engagement de l'Etat et, de ce côté, j'ai l'impression d'avoir assisté à une marche à reculons. Le Département des transports a découragé les investisseurs, alors que la faisabilité était quasiment établie. Cette attitude est inquiétante pour l'avenir de la recherche en Suisse.» L'argument est réfuté par un fonctionnaire qui a suivi le dossier: «Ce n'est pas un projet de la Confédération, mais un projet privé, et c'est au privé de trouver l'argent.»
Malgré l'échec désormais avéré du projet Swissmetro, l'idée de développer un jour un train à lévitation magnétique circulant dans un tunnel sous vide n'est pas complètement abandonnée. Une start-up lausannoise, le bureau d'ingénieurs GESTE, continue à travailler sur une maquette à l'échelle 1/10 qui circulerait dans un tube de 500 mètres de long. La Commission fédérale pour l'innovation et la technologie (CTI) accordera 2 millions à ce projet, baptisé ISTAR, mais à condition que des industriels contribuent pour un montant équivalent, ce qui n'est pas le cas actuellement. Selon l'ingénieur Michele Mossi, directeur de GESTE, si la situation ne se débloque pas et que la Confédération ne s'engage pas plus résolument, «il existe un risque que les personnes engagées dans le projet partent et que les connaissances accumulées depuis des années se dispersent». Pour Swissmetro, ce serait comme une deuxième mort.
«Il se fera... mais peut-être pas en Suisse»
Pour Marcel Jufer, l'un des pères du projet, Swissmetro SA n'a pas bénéficié d'un lobbying assez agressif.
Propos recueillis par Nicolas Dufour
Chercheur en électricité, Marcel Jufer est aujourd'hui vice-président de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Et avec Rodolphe Nieth (lire en page 3), il fut l'un des initiateurs du projet Swissmetro. Il dispose d'ailleurs d'un statut «d'observateur» au conseil d'administration de Swissmetro SA.
Le Temps: Comment analysez-vous ces retraits du conseil?
Marcel Jufer: Les retraits sont liés aux circonstances de la vie des entreprises et à des parcours professionnels. Je relève davantage la division par 20 du capital-actions car cela signifie que l'entreprise, en tant que SA, se met en veille. On pouvait pressentir cette évolution depuis deux ou trois ans, du fait que le projet n'est toujours pas une priorité pour les instances fédérales. Swissmetro a toujours souffert de cette situation paradoxale: avant de s'engager vraiment, les pouvoirs publics attendent des signaux provenant des partenaires privés qui, eux, misent sur une volonté politique claire.
â Est-ce à dire que le projet quitte la sphère industrielle pour ne concerner que la recherche pure?
â On doit penser à la situation en Suisse à moyen terme. Il s'écoulerait quinze ans entre la décision de construire un tronçon de Swissmetro et sa mise en service. C'est hors des délais des décisions politiques habituelles, mais la Confédération investit bien dans deux nouvelles lignes ferroviaires alpines (NLFA)... De fait, les technologies traditionnelles prennent le pas et, politiquement, on privilégie des lignes qui concernent en priorité le transport de marchandises sur le trafic de passagers. Or, les embouteillages, à l'échelle du pays, sont dus à ces deux catégories.
â Swissmetro SA n'a-t-elle pas promu trop rapidement son projet, en montrant tous azimuts les images des futures rames et des tunnels, faisant rêver les plus enthousiastes alors que tout restait à faire?
â Notre tâche, à l'EPFL, réside dans la mission de recherche. Nous tenons donc à la réalisation d'un banc d'essai à l'échelle réduite pour tester la technologie du vide partiel, qui peut aussi intéresser les trains «classiques» tels que les TGV. Swissmetro SA doit chercher les fonds, promouvoir le projet et obtenir une concession. Il fallait donc montrer l'intérêt de cette idée aux investisseurs potentiels. Ces démarches manquaient un peu de professionnalisme et de rigueur, et le lobbying auprès des politiques a été assez faible. Aujourd'hui, en plus, la situation économique ne s'y prête pas et je le comprends. Toutefois, parce que les problèmes de fond ne se résoudront pas, je reste persuadé que Swissmetro se fera dans quelques années.
â ... mais pas en Suisse?
â Ce ne sera peut-être pas le cas, en effet. Regardez le Transrapid, conçu en Allemagne: il aurait dà» relier Hambourg et Berlin, et il sera finalement développé en Chine.
Citation :Des utopies de 1992 au cynisme de 2002
Swissmetro participait d'un courant plus large, à un moment o๠l'on pensait encore à changer les choses, pas seulement à économiser de l'argent.
Jean-Claude Péclet
C'était au temps o๠la Suisse romande rêvait: d'une entrée dans l'Union européenne qui interviendrait vers 2006, soit en même temps que l'achèvement du premier tronçon de Swissmetro. C'était au temps o๠la Suisse romande chantait: la créativité ne soufflait-elle pas de l'Ouest, de ses hautes écoles dynamiques? C'était au temps o๠la Suisse romande, debout sur l'impériale, se voyait urbaine, conquérante, unie.
C'était il y a dix ans... il y a si longtemps qu'aujourd'hui les esprits réalistes sourient avec indulgence en évoquant ces utopies. Etait-ce bien raisonnable? Poser la question à propos de Swissmetro, c'est presque oublier que son «père», l'ingénieur Rodolphe Nieth avait, précédemment, étudié et dirigé la construction de la jonction ferroviaire Genève-Cornavin/Cointrin, unanimement reconnue comme une réussite. Nieth a eu l'inspiration de Swissmetro en 1974, après avoir constaté que les transports terrestres de surface donnent tous des signes de saturation et que toute amélioration se heurte à des oppositions toujours plus fortes.
Sept ans plus tard, il réunit autour de lui un groupe de professeurs de l'EPFL. Encore quatre ans, et les premiers politiciens s'engagent: Sergio Salvioni, alors conseiller national tessinois, et Robert Ducret, conseiller aux Etats. En 1989, le Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie (DFTCE) octroie un premier crédit de 500 000francs. Il est alors dirigé par le bouillonnant Adolf Ogi, qui lance un an plus tard l'idée d'un Eurometro lors de la manifestation Alp-Transit à Munich. En 1992, la société anonyme Swissmetro est créée.
Ce sont les belles années. Les Japonais sont intéressés. Adolf Ogi, travaillé au corps par Moritz Suter, patron de Crossair, lance l'idée d'un tronçon pilote Bâle-Mulhouse/Kloten le jour de la Fête nationale 1993. Le groupe ABB, le fabricant du TGV Alstom rejoint plus tard par le géant DaimlerChrysler mettent de l'argent dans la société, tout comme le Crédit Suisse, qui y investira plus de 700 000francs.
Le rêve de quelques professeurs est devenu projet, il n'est plus possible de l'observer d'un Åil distrait. C'est alors que surgissent les critiques et résistances. Une des premières attaques vient, paradoxalement, de l'EPFL. Le professeur Philippe Bovy publie en janvier 1994 une série de questions dérangeantes: les technologies non éprouvées de Swissmetro tiendront-elles leurs promesses, en matière de sécurité notamment? Le système, incompatible avec le rail traditionnel, ne va-t-il pas priver ce dernier de sa clientèle la plus intéressante? Très écouté dans les hautes sphères, son collègue de l'EPFZ Heinrich Brà¤ndli juge le projet «trop ambitieux pour la Suisse».
C'est exactement le discours que veulent entendre les CFF, qui ont d'autres chats à fouetter avec leur ruineux programme Rail 2000 et les transversales alpines. Ils ont bien mis 150 000 francs dans l'aventure, «comme au poker, pour voir le jeu de l'adversaire», dit Pierre Weiss, secrétaire général de Swissmetro. En fait, ils s'arc-boutent sur les freins. L'atmosphère est identique au DFTCE, o๠Moritz Leuenberger remplace Adolf Ogi. Comme il s'empresse de se débarrasser des meubles de son prédécesseur, le nouveau ministre met ce dossier sous la pile.
Quand, en novembre 1997, la demande de concession pour un tronçon Genève-Lausanne est déposée à Berne, l'enthousiasme s'est déjà bien dégonflé. La crise des finances publiques durcit le climat. L'évolution des esprits aussi. Lors d'un débat public organisé en 1998 sous la Bulle, à quelques pas du Palais fédéral, pour les 150 ans de la Confédération, Rodolphe Nieth affronte une salle hostile: à quoi sert toute cette mobilité, cette obsession de la vitesse? Le premier accident grave du tunnel sous la Manche renforce le scepticisme. Devenue elle aussi dubitative, la presse conteste les calculs de rentabilité.
Depuis, les promoteurs de Swissmetro n'ont cessé de courir entre les investisseurs privés, qui demandent un engagement accru des pouvoirs publics, et la Confédération, qui exige des études de faisabilité complémentaires. Les géants qui soutenaient l'idée (ABB, Crédit Suisse) ont d'autres urgences. Même au Musée des transports de Lucerne, o๠une maquette animée de Swissmetro est exposée depuis sept ans, on envisage de «la mettre à la cave» si le projet est enterré â au sens figuré cette fois.
Citation :Un projet exceptionnel
Doté d'une vitesse de pointe de 500 km/h, Swissmetro était censé relier Genève à Lausanne en 12 minutes et traverser la Suisse en une petite heure.
Le convoi, formé de véhicules pressurisés, devait se mouvoir sous vide partiel (équivalant à celui rencontré à 18 000 mètres d'altitude par le Concorde).
Il se serait déplacé à l'intérieur de deux tunnels de 5 mètres de diamètre, creusés à une profondeur de 60 à 300 mètres.
LT
Quelques dernières audaces
Nicolas Dufour
Le volet technique de Swissmetro est piloté par une start-up fondée fin 1998 à l'EPFL, GESTE. Celle-ci compte développer deux expériences pour valider les choix: un tunnel en miniature (ISTAR, à l'échelle 1/10) sur le campus lausannois, et un essai dans un tunnel sous vide partiel à l'échelle réelle, le SETAP. Selon le responsable Michele Mossi, «la démonstration de l'intérêt du vide partiel constitue le cÅur du projet». Et les applications dérivées seraient nombreuses, notamment dans la construction (tester l'étanchéité du béton sous vide) et pour former des ingénieurs en sécurité des constructions souterraines, un domaine plein d'avenir mais peu développé en Suisse.
à l'EPFL, un autre projet sera testé, le Mobilab.
Plus connu sous le nom de Serpentine, ce moyen de locomotion mixte est fait de capsules guidées le long de la route par un «magnétoglisseur» placé sous le revêtement et pilotées par une unité centrale. Cette innovation pourrait soulager les transports publics sur des lignes à modeste fréquentation, arguent ses promoteurs. Ceux-ci ont voulu installer un tronçon pilote sur les quais de Lausanne, mais des chicanes administratives ont bloqué son homologation. Il a ensuite été envisagé de relier par ce biais les campus de l'Université de Lausanne et de l'EPFL, sans susciter l'enthousiasme des deux institutions. Un petit tronçon expérimental devrait néanmoins être étudié au «Poly».
En Suisse, le géant canadien des transports Bombardier avait aussi testé la technologie du moteur linéaire, qu'utiliserait Swissmetro, dans le cadre des études sur le métro lausannois M2, soumis au vote populaire le 24novembre. Une option finalement écartée.
L'Asie à la pointe du progrès
Shanghai, Baltimore, Pittsburgh... sur toute la planète, les projets de trains à lévitation magnétique (Maglev) similaires au Swissmetro se multiplient.
Syévain Besson
On peut admirer le démonstrateur le plus avancé dans la préfecture de Yamanashi, au Japon: une voie de 42 kilomètres de long serpentant dans les montagnes y a été ouverte en 1996, et les véhicules expérimentaux y atteignent 550km/h. Mais l'ouverture de cette ligne au public a été constamment repoussée et, malgré 40 ans de recherche et d'investissements massifs, l'entrée en service du premier train à lévitation magnétique japonais se fait toujours attendre.
L'occasion était rêvée pour la Chine de prendre les devants: la construction d'un train magnétique reliant Shanghai au nouvel aéroport de Pudong grâce à une ligne de 30 kilomètres de long a commencé en avril 2001. Le maire de Shanghai devrait prendre place dans le premier train pour un parcours d'essai au début de l'an prochain, et la ligne pourrait entrer en service en septembre 2003. La technologie a été développée par les sociétés allemandes Siemens et ThyssenKrupp pour le Transrapid, qui devait relier Hambourg à Berlin grâce à une voie suspendue longue de 400 kilomètres. Ce projet a été abandonné par le
gouvernement allemand en raison de son coà»t.
Aux àtats-Unis, le gouvernement fédéral encourage la construction de lignes Maglev, et plusieurs projets sont à l'étude dans les grandes agglomérations. La sélection du tracé pour une ligne en Californie pourrait intervenir le mois prochain. Mais aucun de ces projets n'a pour l'heure dépassé le stade de la conception.
Présentés comme le moyen de transport du futur, les trains à lévitation magnétique souffrent en effet de plusieurs défauts: ils sont chers â le coà»t d'une ligne de 36 kilomètres entre Munich et son aéroport est évalué à 2,4 milliards de francs â, ils consomment beaucoup plus d'électricité que les trains traditionnels, et la puissance des champs magnétiques nécessaires à leur propulsion peut perturber d'autres appareils électriques, ce qui pose problème dans les villes. Pendant ce temps, les trains rapides de conception traditionnelle ne cessent de progresser: les derniers Shinkansen japonais peuvent atteindre 350 km/h.
-- h2o
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