Mar. 17 Fév. 2004, 16:51
hop un lien!!!
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article très interessant paru aujourd'hui dans ouest france :
Dernier voyage au pays des gueules noires
La France fait une croix sur le charbon. Au puits de La Houve de Creutzwald, en Lorraine, la dernière mine en activité remonte ses ultimes tonnes d'or noir. Au printemps, les hommes des entrailles n'iront plus au fond (voir OF d'hier). Voyage au pays des gueules noires, au coeur d'un métier qui meurt debout, à 900 m sous la terre...
7 h. La Moselle se lève tôt. Une heure déjà que l'équipe du matin a quitté la salle des pendus o๠se balancent les gardes-robes des derniers des Mohicans. C'est votre tour. Strip-tease du matin, effeuillage de l'aube. Les Houillères de Lorraine habillent leurs hôtes de pied en cap. Slip, chaussettes, Marcel blanc, chemise à carreaux, foulard bleu, chaussures de sécurité. Un masque, des lunettes, une paire de gants. Au dos de la ceinture de force, quatre kilos sur les reins. Une pile pour la « lampe de chapeau » et « l'Apeva », un appareil respiratoire de survie, vous plombent la couenne. Armand Vilmen vous ajuste tout ça comme on harnache un cheval en vous apprenant votre premier mot de mineur, le sésame du fond : « Glà¼ck auf ! » Glà¼ck auf, c'est ainsi qu'on se salue dans la nuit des boyaux de la terre. Glà¼ck auf ? à la fois « Bonjour », « Bonne chance » et « Bonne remontée ». Un mot de fraternité doublé d'un voeu. Vous pesez plus lourd qu'avant. Vous êtes déjà un caillou quand la cage s'enfonce dans la terre de Lorraine...
7 h 10. Terminus du monte-charge. Moins 500 m. La grille de sécurité s'ouvre sur une rue voà»tée comme une station de métro. On se croirait au Châtelet, les quais carrelés en moins. Tout est blanc au pays de l'or noir. « On étale du calcaire partout pour étouffer la poussière du charbon car l'air s'enflamme ici », explique Christian Maurice, l'adjoint du chef de siège de La Houve. « Creutzwald produit du flambant sec et la mine lorraine est grisouteuse et inondable. Il faut être sur ses gardes, tout le temps. On sort du charbon mais ce que l'on produit de plus, c'est de l'air et de l'eau.» La Houve souffle 130 m3 de vent à la seconde et débite 20 m3 de flotte à la minute. Pour une tonne de charbon, comptez 6 t d'eau et 8 t d'air. Les 430 mineurs encore en poste remontent journellement 3 000 t de houille. Pour sa dernière ligne droite, le puits a réduit la toile, passant de quatre à deux postes de taille. Christian Maurice, l'ingénieur qui ne s'est « jamais emmerdé une seconde » dans son travail, a une jolie phrase pour imager cette levée de pied : « On finit le bal avec les filles qu'on a. » Dernière valse dans la pénombre des abîmes...
7 h 30. Un wagon s'enfonce dans la nuit. On a calé ses fesses dedans. C'est un wagon du « kuli », un train des profondeurs qui vous rapproche de la dernière veine. Entre la surface et la tranche de charbon qui affleure, il y a 45 minutes de voyage rythmé par le cliquetis des rails et des aiguillages. Michel Zaremba, le chef porion (contremaître) a plié sa grande carcasse sur le banc de bois. Il est fait d'un bloc, Zaremba. Il pèse un quintal et 33 ans de fond et sait qu'en avril, dernier carat, tout ça est fini : « Je suis un mineur. Je sais tout faire comme tous les gars d'ici : de la menuiserie, de l'hydraulique. J'aurai passé ma vie à trouver des solutions à des problèmes, à faire que les hommes remontent vivants. Ce métier, je l'ai bien servi. Il n'y a qu'un truc qui cloche. » Quoi Zaremba ? « Moi, je ne le transmettrai à personne.» Et le chef porion se tait dans le kuli qui colimaçonne. Et le silence s'installe dans le wagon-repli de la dernière lignée d'une dynastie ouvrière. Respect.
8 h. Vous vous attendiez à du Zola... et c'est Jules Verne qui vous régale. « Voyage au centre de la terre » a déplanté « Germinal ». Pour atteindre le front de taille, vous finissez en chevauchant un... tire-fesses. à dada sur le bidet, les deux mains agrippées à la perche, la lampe du casque troue la nuit qui gagne en densité. On glisse au fil du câble. Vertigineuse plongée dans les limbes poussiéreuses. Au bout, un mineur vous happe. àa y est. Vous avez 900 m de croà»te terrestre au-dessus de la tête. L'air qui vous arrive a des effluves âpres, poivrées, caverneuses. L'air, au fond, est une matière. On pourrait le toucher. Qu'est ce ça sent ? Le mineur affecté à l'aérage de la galerie vous aide : « àa sent l'effort et le sauvage. » Le sous-sol de Lorraine a une haleine de fauve.
8 h 30. Crapahut en pente douce. Les derniers mètres sont caillouteux, inclinés à 15 degrés et amènent à la veine, à l'ultime chantier de la Houve. Tout à l'heure, vous allez longer le dernier front de taille de la dernière mine française en exercice. Chaque veine a un petit nom. Celle-là s'appelle Albert. On entend gronder Albert de loin. Albert, Théodore, Marie, Frida, étrange cadastre des abysses, douce géographie des hommes qui creusent dur, toponymie des étages du dessous. Lieux-dits qui rappellent la cartographie des lieux de pêche : « S'il y a un monde qui nous ressemble, c'est celui du large. Le mineur et le marin sont cousins germains », se risque Roger Cosquer. Ce Morbihanais d'Inzinzac-Lochrist, pur produit de l'école des mines de Nancy, acharné à penser l'après-mine avec la même énergie qu'il a dépensé à faire tourner les Houillères du temps de leur splendeur, retrouve l'esprit du pont au fond. « C'est la même économie de cueillette, le même monde hostile, la même solidarité. On y risque sa peau pareillement pour gagner sa vie. Et parfois, hélas, on la perd mais personne n'en voudra jamais à la mine comme personne n'en veut à la mer. Elles sont nourricières. »
9 h. Hallucinante ambiance. Il pleut des gouttes noires dans un grand vent d'amont. La grosse caisse de la haveuse tambourine du Bartock. On se faufile entre les piliers des vérins qui luisent comme des chromes et poussent leurs 250 tonnes soutenant le toit sous lequel s'affairent des gueules vraiment noires. Vous êtes là o๠la monstrueuse bestiole rouge venue d'Ecosse ronge la roche d'ébène. La haveuse s'acquitte de trois allers-retours, trois passes par jour en abrasant la veine de quatre mètres d'épaisseur. Albert se fait manger la peau à un kilomètre à l'heure. Il flotte dans l'air une force tellurique et cannibale. Vous vous sentez humble, petit, tout petit. Les « Glà¼ck auf ! » qui saluent le passant ont l'accent lorrain, polonais ou marocain. Front de taille, tranchée artère, infernal broyage : c'est donc ça l'empoignade ancestrale des hommes avec le caillou qui brà»le. C'est beau. Très.
10 h 30. On remonte à pas lents. Tire-fesses, kuli, trolley. Le voyage vers le haut vous bahute dans les galeries o๠l'eau va remonter quand les hommes auront vidé les lieux. La Houve finira noyée. Cent cinq années d'aventure charbonnière promises à un tombeau des eaux. L'éternité sera liquide. La Houve a un destin d'aquarium inviolable. Les Houillères laisseront sur place les interminables pelotes de tuyaux qui tapissent le parement des galeries. Le dernier jour de la dernière nuit est fixé au 23 avril. « Ce sera une petite mort. Mais elle sera belle notre mort, tu peux le croire. On va se faire un enterrement de première classe. » Les hommes remonteront en groupe derrière àric Théobald, le plus jeune d'entre eux. Lui, le gamin, l'élu des siens, aura l'honneur et la charge de desceller la sainte de son alcôve creusée dans la roche sombre. Il prendra la statue de sainte Barbe dans ses bras. Tous les autres seront derrière, à la manière d'un pèlerinage, drôle de ribambelle de paroissiens casqués, pas vraiment des enfants de Marie. Au bout, il y aura la dernière douche collective. à poil, rudes, émus et savonnés, ils chanteront avec leur voix de ventre car le mineur a autant de choeur que de coeur. Dans la vapeur d'eau et les ritournelles à l'unisson, sainte Barbe offrira un dernier sourire à ses hommes nus comme des vers. Ils finiront le bal avec la fille qu'ils ont.
François SIMON. Tout Ouest-France
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article très interessant paru aujourd'hui dans ouest france :
Dernier voyage au pays des gueules noires
La France fait une croix sur le charbon. Au puits de La Houve de Creutzwald, en Lorraine, la dernière mine en activité remonte ses ultimes tonnes d'or noir. Au printemps, les hommes des entrailles n'iront plus au fond (voir OF d'hier). Voyage au pays des gueules noires, au coeur d'un métier qui meurt debout, à 900 m sous la terre...
7 h. La Moselle se lève tôt. Une heure déjà que l'équipe du matin a quitté la salle des pendus o๠se balancent les gardes-robes des derniers des Mohicans. C'est votre tour. Strip-tease du matin, effeuillage de l'aube. Les Houillères de Lorraine habillent leurs hôtes de pied en cap. Slip, chaussettes, Marcel blanc, chemise à carreaux, foulard bleu, chaussures de sécurité. Un masque, des lunettes, une paire de gants. Au dos de la ceinture de force, quatre kilos sur les reins. Une pile pour la « lampe de chapeau » et « l'Apeva », un appareil respiratoire de survie, vous plombent la couenne. Armand Vilmen vous ajuste tout ça comme on harnache un cheval en vous apprenant votre premier mot de mineur, le sésame du fond : « Glà¼ck auf ! » Glà¼ck auf, c'est ainsi qu'on se salue dans la nuit des boyaux de la terre. Glà¼ck auf ? à la fois « Bonjour », « Bonne chance » et « Bonne remontée ». Un mot de fraternité doublé d'un voeu. Vous pesez plus lourd qu'avant. Vous êtes déjà un caillou quand la cage s'enfonce dans la terre de Lorraine...
7 h 10. Terminus du monte-charge. Moins 500 m. La grille de sécurité s'ouvre sur une rue voà»tée comme une station de métro. On se croirait au Châtelet, les quais carrelés en moins. Tout est blanc au pays de l'or noir. « On étale du calcaire partout pour étouffer la poussière du charbon car l'air s'enflamme ici », explique Christian Maurice, l'adjoint du chef de siège de La Houve. « Creutzwald produit du flambant sec et la mine lorraine est grisouteuse et inondable. Il faut être sur ses gardes, tout le temps. On sort du charbon mais ce que l'on produit de plus, c'est de l'air et de l'eau.» La Houve souffle 130 m3 de vent à la seconde et débite 20 m3 de flotte à la minute. Pour une tonne de charbon, comptez 6 t d'eau et 8 t d'air. Les 430 mineurs encore en poste remontent journellement 3 000 t de houille. Pour sa dernière ligne droite, le puits a réduit la toile, passant de quatre à deux postes de taille. Christian Maurice, l'ingénieur qui ne s'est « jamais emmerdé une seconde » dans son travail, a une jolie phrase pour imager cette levée de pied : « On finit le bal avec les filles qu'on a. » Dernière valse dans la pénombre des abîmes...
7 h 30. Un wagon s'enfonce dans la nuit. On a calé ses fesses dedans. C'est un wagon du « kuli », un train des profondeurs qui vous rapproche de la dernière veine. Entre la surface et la tranche de charbon qui affleure, il y a 45 minutes de voyage rythmé par le cliquetis des rails et des aiguillages. Michel Zaremba, le chef porion (contremaître) a plié sa grande carcasse sur le banc de bois. Il est fait d'un bloc, Zaremba. Il pèse un quintal et 33 ans de fond et sait qu'en avril, dernier carat, tout ça est fini : « Je suis un mineur. Je sais tout faire comme tous les gars d'ici : de la menuiserie, de l'hydraulique. J'aurai passé ma vie à trouver des solutions à des problèmes, à faire que les hommes remontent vivants. Ce métier, je l'ai bien servi. Il n'y a qu'un truc qui cloche. » Quoi Zaremba ? « Moi, je ne le transmettrai à personne.» Et le chef porion se tait dans le kuli qui colimaçonne. Et le silence s'installe dans le wagon-repli de la dernière lignée d'une dynastie ouvrière. Respect.
8 h. Vous vous attendiez à du Zola... et c'est Jules Verne qui vous régale. « Voyage au centre de la terre » a déplanté « Germinal ». Pour atteindre le front de taille, vous finissez en chevauchant un... tire-fesses. à dada sur le bidet, les deux mains agrippées à la perche, la lampe du casque troue la nuit qui gagne en densité. On glisse au fil du câble. Vertigineuse plongée dans les limbes poussiéreuses. Au bout, un mineur vous happe. àa y est. Vous avez 900 m de croà»te terrestre au-dessus de la tête. L'air qui vous arrive a des effluves âpres, poivrées, caverneuses. L'air, au fond, est une matière. On pourrait le toucher. Qu'est ce ça sent ? Le mineur affecté à l'aérage de la galerie vous aide : « àa sent l'effort et le sauvage. » Le sous-sol de Lorraine a une haleine de fauve.
8 h 30. Crapahut en pente douce. Les derniers mètres sont caillouteux, inclinés à 15 degrés et amènent à la veine, à l'ultime chantier de la Houve. Tout à l'heure, vous allez longer le dernier front de taille de la dernière mine française en exercice. Chaque veine a un petit nom. Celle-là s'appelle Albert. On entend gronder Albert de loin. Albert, Théodore, Marie, Frida, étrange cadastre des abysses, douce géographie des hommes qui creusent dur, toponymie des étages du dessous. Lieux-dits qui rappellent la cartographie des lieux de pêche : « S'il y a un monde qui nous ressemble, c'est celui du large. Le mineur et le marin sont cousins germains », se risque Roger Cosquer. Ce Morbihanais d'Inzinzac-Lochrist, pur produit de l'école des mines de Nancy, acharné à penser l'après-mine avec la même énergie qu'il a dépensé à faire tourner les Houillères du temps de leur splendeur, retrouve l'esprit du pont au fond. « C'est la même économie de cueillette, le même monde hostile, la même solidarité. On y risque sa peau pareillement pour gagner sa vie. Et parfois, hélas, on la perd mais personne n'en voudra jamais à la mine comme personne n'en veut à la mer. Elles sont nourricières. »
9 h. Hallucinante ambiance. Il pleut des gouttes noires dans un grand vent d'amont. La grosse caisse de la haveuse tambourine du Bartock. On se faufile entre les piliers des vérins qui luisent comme des chromes et poussent leurs 250 tonnes soutenant le toit sous lequel s'affairent des gueules vraiment noires. Vous êtes là o๠la monstrueuse bestiole rouge venue d'Ecosse ronge la roche d'ébène. La haveuse s'acquitte de trois allers-retours, trois passes par jour en abrasant la veine de quatre mètres d'épaisseur. Albert se fait manger la peau à un kilomètre à l'heure. Il flotte dans l'air une force tellurique et cannibale. Vous vous sentez humble, petit, tout petit. Les « Glà¼ck auf ! » qui saluent le passant ont l'accent lorrain, polonais ou marocain. Front de taille, tranchée artère, infernal broyage : c'est donc ça l'empoignade ancestrale des hommes avec le caillou qui brà»le. C'est beau. Très.
10 h 30. On remonte à pas lents. Tire-fesses, kuli, trolley. Le voyage vers le haut vous bahute dans les galeries o๠l'eau va remonter quand les hommes auront vidé les lieux. La Houve finira noyée. Cent cinq années d'aventure charbonnière promises à un tombeau des eaux. L'éternité sera liquide. La Houve a un destin d'aquarium inviolable. Les Houillères laisseront sur place les interminables pelotes de tuyaux qui tapissent le parement des galeries. Le dernier jour de la dernière nuit est fixé au 23 avril. « Ce sera une petite mort. Mais elle sera belle notre mort, tu peux le croire. On va se faire un enterrement de première classe. » Les hommes remonteront en groupe derrière àric Théobald, le plus jeune d'entre eux. Lui, le gamin, l'élu des siens, aura l'honneur et la charge de desceller la sainte de son alcôve creusée dans la roche sombre. Il prendra la statue de sainte Barbe dans ses bras. Tous les autres seront derrière, à la manière d'un pèlerinage, drôle de ribambelle de paroissiens casqués, pas vraiment des enfants de Marie. Au bout, il y aura la dernière douche collective. à poil, rudes, émus et savonnés, ils chanteront avec leur voix de ventre car le mineur a autant de choeur que de coeur. Dans la vapeur d'eau et les ritournelles à l'unisson, sainte Barbe offrira un dernier sourire à ses hommes nus comme des vers. Ils finiront le bal avec la fille qu'ils ont.
François SIMON. Tout Ouest-France