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Version complète : Sous-sols, d'Ulrich Seidl
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Citation :[Image: lemonde_pet.gif]
30 septembre 2015

Catalogue déraisonné de caves autrichiennes


Ulrich Seidl dresse un échantillon sordide des sous-sols de son pays, et de leurs habitants

Trente-cinq ans. Voici déjà trente-cinq ans qu'Ulrich Seidl, qui en a 63, frappe son pays natal, l'Autriche, là où, naturellement, cela fait le plus mal. Dog Days (2001), Import-export (2006), la trilogie Paradis (2012) diront sans doute quelque chose aux amateurs. Son dernier film est un documentaire qui sonde le rapport obscur des Autrichiens à leurs caves.
La destination de Sous-sols est donc a priori très inquiétante. A titre universel d'abord, tant les liens du lieu avec le déchaînement pulsionnel sont flagrants. Quel amateur de littérature ne se souvient des Carnets du sous-sol (1864) de Fiodor Dostoïevski, ce journal intime d'un petit fonctionnaire russe tassé dans sa névrose, que le romancier élève à un degré exemplaire de macération mentale et de jouissance sordide ?
Mais c'est aussi sur un registre proprement autrichien que le film travaille, en jouant évidemment sur les réminiscences de quelques cas carabinés de psychopathie locale. On se souvient de la double et récente affaire de rapt pédophile visant, au cours d'une très longue séquestration dans le sous-sol des habitations des criminels, Natascha Kampusch et Elisabeth Fritzl. Ou encore du choix de fin de vie en bunker sécurisé d'un des plus colossaux meurtriers de tous les temps, en la personne d'Adolf Hitler.
Excentricité sordide
C'est bien dans ce sillage qu'Ulrich Seidl entraîne le spectateur, en établissant une nomenclature suffisamment effrayante des propriétaires de cave autrichiens. On trouvera donc au menu de ce film cette suite non exhaustive, filmée dans des locaux souterrains diversement aménagés. Un groupe de vieux messieurs au nez rouge qui s'entraînent au tir, louent l'Autriche éternelle et s'inquiètent de la lubricité des immigrés. Un type qui contemple dans un silence religieux, à travers la vitre d'un vivarium, le spectacle d'un boa qui terrorise longuement un hamster, avant de le gober tout cru.
Une femme en surpoids qui cajole un nourrisson en matière plastique, très réaliste, qu'elle vient de sortir d'une boîte quelconque. Un joueur de cor qui s'est installé un ravissant musée à la gloire du nazisme. Un gros esclave velu qui lèche goulûment sa maîtresse, une géante à cheveux roses qui lui broie les précieuses avec divers appareillages et réclame " le contrôle total " sur le scrotum de son partenaire. Une sorte de gringalet en string new age qui se vante, auprès d'une jeune personne replète qui vend ostensiblement ses charmes, d'une puissance éjaculatoire qui ferait de lui une sorte de Superman spermatique. Un " monsieur Walter " en culotte de peau et zizi à l'air, vieux pervers qui frappe avec un sourire constipé les chairs flapies d'une bénévole de l'association Caritas, section femmes battues.
Arrêtons là cette description, qui a pour ambition corollaire de suggérer les limites, assez rapidement atteintes, de ce type de films : le choix des " cas " qui tire clairement l'échantillon vers une sorte d'excentricité sordide, le montage alternatif et saucissonnant qui tourne en rond et reste à la surface des choses, le tableau univoque de l'humanité ainsi épinglée, l'effet de catalogage, enfin, qui n'est pas ce qu'on attend de l'approche d'un documentariste à l'égard de ses personnages. Sous-sols est, à ce titre, davantage une farce noire, un essai polémique, un exercice de détestation qu'un documentaire à proprement parler. Cette hypothèse est d'ailleurs la seule qui permettrait de tirer de ce film, sinon une cruelle complicité, du moins une souriante indulgence.
Jacques Mandelbaum


© Le Monde